Approche performancielle dans la sûreté nucléaire

21 octobre 20227 min

Au moment où les acteurs de l’incendie s’interrogent sur le degré de liberté introduit dans la réglementation par le dispositif de solution d’effet équivalent et ses conséquences, il est intéressant de se pencher sur le secteur du nucléaire. Au Commissariat à l’énergie atomique, le risque incendie est maîtrisé au travers d’une approche performancielle.

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Créée en 1945 sous le général de Gaulle, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est un organisme public de recherche à caractère scientifique, technique et industriel. Ses champs de recherche se sont élargis au cours du temps à la physique, la chimie, la biologie ou encore la microélectronique, mais sa mission originelle demeure : mener des recherches et des travaux en lien avec les sciences de l’atome.

Installation nucléaire de base

En 2021, le CEA employait 21 148 salariés répartis sur 10 sites. Neuf de ces sites sont des centres de recherche, qui abritent chacun une ou plusieurs installations nucléaires de base (civile ou militaire).

Selon la définition de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), une installation nucléaire de base (INB) est une « installation qui, de par sa nature ou en raison de la quantité ou de l’activité des substances radioactives qu’elle contient, est soumise à des dispositions particulières en vue de protéger les personnes et l’environnement ». Cela peut être un réacteur nucléaire de recherche, un centre de stockage ou un laboratoire.

Une INB est placée sous l’autorité réglementaire de l’ASN.

Risques majeurs

En matière d’installation et de sûreté nucléaire, le risque de criticité est connu : il s’agit du risque de déclenchement intempestif d’une réaction neutronique en chaîne, difficilement contrôlable, qui peut surgir dans toutes les phases d’exploitation des matières fissiles.

Parmi les autres risques principaux, on peut mentionner le risque d’irradiation, le risque de contamination et le risque chimique.

Les données de l’IRSN indiquent que « depuis 1945, une soixantaine d’accidents de criticité se sont produits dans le monde (…). Ils n’ont pas provoqué de rejets radioactifs significatifs, mais des irradiations importantes entraînant 19 décès ».

Risque incendie

Dans ce contexte, le CEA dispose d’un pôle de compétence incendie, rattaché à la Direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire, dont la mission est de veiller à la maîtrise du risque incendie sur tous les sites.

« L’incendie est le risque majeur, quelle que soit l’installation considérée, explique Laurent Bouriez, responsable du Pôle de compétence incendie du CEA. Au total, nous avons plus de 5 000 bâtiments dont 78 INB ou installations individuelles, 500 ICPE, un certain nombre de laboratoires de sécurité biologique de niveau 2 ou 3, et une trentaine d’ERP. En plus de leur profil d’ingénieur du nucléaire, les membres du Pôle de compétence incendie savent maîtriser 4 à 5 réglementations en matière d’incendie. »

Démonstration de sûreté

Lorsqu’on examine la réglementation d’une INB (voir le menu déroulant, ci-dessous), on est frappé par deux choses : le niveau des exigences définies, avec notamment les concepts de défense en profondeur et de redondance. Et la relative latitude laissée à l’exploitant dans la méthode et les dispositifs de protection mis en place, selon le cadre ainsi défini. Les termes de l’article 1er 2.2 de l’arrêté « incendie » du 20 mars 2014 ne laissent subsister aucun doute : « Une démonstration de maîtrise des risques liés à l’incendie est présentée par l’exploitant dans le rapport de sûreté. » Plus loin, « l’exploitant justifie que ces mesures permettent d’atteindre, compte tenu de l’état des connaissances et des meilleures techniques disponibles, des pratiques et de la vulnérabilité de l’installation, un niveau de protection à l’égard des risques liés à l’incendie aussi élevé que possible, dans des conditions économiques acceptables ».

Deux textes principaux s’appliquent à la maîtrise du risque incendie dans les INB :

La réglementation des INB a pour objectif de prévenir et limiter les risques que peut présenter l’installation envers les intérêts définis par l’article L.593-1 du code de l’environnement : la sécurité, la santé et la salubrité publiques, la protection de la nature et de l’environnement.

La sécurité nucléaire représente l’ensemble des dispositions prises visant à garantir la protection des intérêts définis. Selon l’ASN, elle recouvre « la sécurité civile en cas d’accident, la protection des installations contre les actes de malveillance, la sûreté nucléaire et la radioprotection ».

La sûreté nucléaire est ainsi définie par l’ASN : « L’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement (…), ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. »

Les éléments relatifs à la maîtrise du risque incendie dans une INB sont contenus dans le rapport de sûreté, lequel est élaboré puis soumis par l’exploitant à l’ASN, le service instructeur étant l’IRSN. Ce rapport de sûreté est soumis à réexamen tous les 10 ans.

Approche et méthodologie propres

Laurent Bouriez explique l’originalité de cette approche de la démonstration de la sûreté de fonctionnement d’une installation nucléaire : « L’analyse de sûreté nucléaire par l’exploitant consiste à analyser tous les risques présents dans l’installation, en fonction d’exigences définies et d’objectifs à atteindre fixés par la réglementation. Cette analyse prend plusieurs années. Forcément, le risque incendie fait partie de ces risques à considérer. »

Le responsable du Pôle compétence incendie du CEA poursuit : « Si l’objectif de maîtrise des risques nous est donné par la réglementation et par l’autorité de tutelle, en revanche la méthodologie pour l’atteindre est développée par l’exploitant nucléaire, ce qui engage de facto sa responsabilité. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de modèle-type pour faire une démonstration de sûreté nucléaire. L’exploitant développe sa propre méthodologie, il fait son analyse de risques, il définit un certain nombre de dispositions, et il vérifie que ces dispositions lui permettent d’atteindre les objectifs. C’est plus compliqué que de suivre un texte réglementaire et de l’appliquer, par rapport aux autres réglementations. Cela implique de rassembler des compétences, et de pouvoir maîtriser les délais et les coûts. Mais lorsqu’on considère qu’il n’y a pas deux installations nucléaires de base identiques, cette démarche paraît plutôt logique. »

Incompatibilité entre deux objectifs visés

Dans le chapitre 4.3 de l’arrêté du 20 mars 2014, le conflit éventuel entre la ventilation et le désenfumage est abordé. En effet, dans l’état de fonctionnement normal d’une INB, la ventilation des locaux participe, en plus de son rôle classique, au confinement en maintenant constamment en dépression les zones contenant des éléments radioactifs. En cas d’incendie, non seulement les équipements de ventilation peuvent être directement impactés, mais l’obligation de confinement des matières radioactives interdit tout désenfumage avec rejet direct vers l’extérieur, sans filtration de ces rejets. La réglementation prévoit ainsi dans l’article 4.3.1 que « dans le cas où les objectifs visés s’avèrent incompatibles, la démonstration de maîtrise des risques liés à l’incendie justifie la solution retenue ». Sur quoi s’appuie cette démonstration ? « Sur l’état de l’art, sur les bonnes pratiques et parfois sur modélisation via l’ingénierie de sécurité incendie, explique Laurent Bouriez. Ce qui caractérise l’approche performancielle c’est qu’à un moment il faut faire un choix : soit on recourt au jugement de l’ingénieur, avec quelques petites adéquations de calcul, soit on cherche des éléments dans les autres réglementations qui permettent d’étayer le raisonnement. Ou alors on fait appel à de la modélisation. »


Article extrait du n° 586 de Face au Risque : « La réglementation incendie en reconstruction » (octobre 2022).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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