Avis d’expert : “Se réinterroger sur le règlement de sécurité”

21 octobre 20225 min

Le lieutenant-colonel Pierre Prévost, chef du groupement Prévention du Sdis 59 et membre de la commission Prévention de la FNSPF, nous donne son avis sur le système de dérogations actuel et sur ce que va changer la loi Essoc.

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“On traite régulièrement des demandes de dérogations en ERP, prévus dans le code de la construction et de l’habitation (CCH) et dans le règlement de sécurité. Le plus souvent, le pétitionnaire arrive avec une demande de dérogation, après des échanges préalables. On s’attache à ce qu’il y ait des mesures réellement compensatoires. Par exemple, installer une détection automatique incendie alors qu’il manque des dégagements ne paraît pas très opportun, ça l’est plus quand on a une carence de stabilité au feu.

Pour qu’il y ait dérogation, il doit normalement y avoir impossibilité technique et une compensation acceptable, qui ne diminue pas le niveau de sécurité. Le coût exorbitant d’une mesure en regard de ce qu’elle va apporter entre désormais parfois en ligne de compte, mais jamais au prix de la sécurité incendie.

Lieutenant-colonel Pierre Prévost, chef du groupement Prévention du Sdis 59

Lieutenant-colonel Pierre Prévost
Chef du groupement Prévention du Sdis 59, membre de la commission Prévention de la FNSPF, conseiller technique zonal (zone de défense et de sécurité Nord) et intervenant à l’Ensosp.

Multiplication des dérogations

Les demandes de dérogations sont de plus en plus fréquentes car culturellement tout le monde s’est imprégné de cette approche. Le texte n’évoluant plus depuis le choc de simplification, cela a eu deux conséquences majeures :

  • le besoin prégnant d’une doctrine nationale, qui manque cruellement – nous avions, lorsqu’elle existait encore, les avis de la commission centrale de sécurité (CCS) dont on s’inspire encore beaucoup aujourd’hui ;
  • la multiplication des dérogations car les modes de construction et les pratiques ont évolué (co-working, coliving, réversibilité, bâtiment du quart d’heure…).

Essoc est pour nous une opportunité de cadrer les projets exceptionnels et de retrouver la collégialité qui existait avec la commission centrale. Le travail le plus intéressant est celui de la définition des exigences fonctionnelles, des grands objectifs à atteindre. Lors de groupes de travaux, on a dû se réinterroger sur tous les articles du CCH, en toiletter certains, en mettre à jour. On a essayé d’introduire un maximum de choses qui permettaient de régler les problèmes du quotidien. C’était passionnant et cela a permis de se réinterroger sur le règlement de sécurité. On a redéfini certaines notions.

On milite à la FNSPF pour que les commissions continuent à jouer leur rôle actuel dans le cadre des SEE.

Le recours aux SEE

Ensuite, on parle beaucoup des solutions d’effet équivalent (SEE). Aujourd’hui, la difficulté pour la Fédération, c’est d’avoir une visibilité sur ce qui va être soumis au champ incendie, dont l’évacuation par exemple, et au final on se recentre sur la résistance au feu et le désenfumage. Or, ces deux sujets sont déjà traités par l’ingénierie de sécurité incendie (ISI).

Au fur et à mesure que cela avance, on a l’impression que l’ambition initiale se restreint. Et je pense qu’il ne faut pas la restreindre, même s’il ne s’agit pas d’y aller à marche forcée. Les SEE en rapport avec l’évacuation sont par exemple un sujet passionnant et porteur. Le traitement des SEE reste flou pour nous pour le moment. À partir de quand fait-on appel à une dérogation, une ISI ou une SEE ? On a apprivoisé l’ISI, on commence à avoir vraiment confiance et aujourd’hui on ajoute une couche d’incertitude avec les SEE.

Il y a peut-être un autre angle de travail : libérer […] la construction en adaptant nos règlements aux exploitations actuelles.

Un manque de mise à jour des textes

Dans l’ingénierie de sécurité incendie, on est associé aux scénarios. Pour le moment la sollicitation des commissions de sécurité n’est pas clarifiée ; à ce jour, les services incendie ou la CCDSA ne sont pas consultés en habitation et code du travail. C’est l’un de nos sujets de préoccupation. On milite à la FNSPF pour que les commissions continuent à jouer leur rôle actuel dans le cadre des SEE.

J’ai l’impression, et c’est très personnel, que parfois l’Administration cherchant légitimement à ne pas être contraignante en oublie qu’elle est aussi une aide pour le milieu de la construction, à travers des référentiels éprouvés. Il faut réfléchir aux raisons qui font qu’on déroge. La plupart du temps c’est un manque de mise à jour de nos textes sur la façon d’exploiter. Il y a peut-être un autre angle de travail : libérer parallèlement à cette ambition portée par les SEE la construction en adaptant nos règlements aux exploitations actuelles. C’est d’ailleurs une piste de travail à travers le rapprochement des réglementations ERP de 5e catégorie et code du travail.


Article extrait du n° 586 de Face au Risque : « La réglementation incendie en reconstruction » (octobre 2022).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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