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Vers des budgets sécurité moins généreux en 2024
Après deux années de dépenses conséquentes, surtout en systèmes électroniques, la plupart des directeurs sécurité vont probablement devoir se serrer la ceinture en 2024.
Un contexte porteur pendant deux ans
Les dépenses de sécurité ont connu un pic historique en 2022 et 2023. En effet, les menaces se sont multipliées, l’inflation est forte, tandis que les évolutions technologiques s’accélèrent si bien que les directeurs sécurité sont plus nombreux à porter leur choix sur des solutions innovantes pour la protection des sites dont ils ont la charge.
Les ventes de la filière prise au sens large (surveillance humaine, sécurité électronique et incendie, etc.) ont ainsi atteint un niveau record en 2022 à 40 milliards d’euros, en hausse de 7 %, selon les statistiques publiées dans l’Atlas d’En Toute Sécurité. Et les prévisions pour 2023 sont dans la même veine avec une augmentation de 6,3 %.
« Les ventes de la filière ont atteint un niveau record en 2022 à 40 Mds €, en hausse de 7 %. Les prévisions pour 2023 sont dans la même veine avec une augmentation de 6,3 %. »
Il faut remonter à 2002 pour trouver une croissance plus dynamique (+7,8 %), mais le contexte était assez différent puisqu’il s’agissait d’une année marquée par des investissements liés aux attentats de septembre 2001 aux États-Unis qui ont nécessité de remettre à plat tous les dispositifs de sécurité des sites.
Le contexte inflationniste élevé (+5,2 % en 2022 et +5,8 % l’année suivante) fournit une partie de l’explication de ces bons résultats. Les hausses de salaires, l’envolée des tarifs énergétiques et des transports, les augmentations de prix de certains composants sont en effet largement répercutées par les sociétés de sécurité auprès de leurs clients. Même si les négociations sont parfois âpres, la tendance est bien là.
Une demande à un niveau historique
Les performances brillantes de la profession s’appuient également sur une demande forte provenant des directeurs sécurité opérant dans les entreprises, les administrations et les collectivités territoriales. Elle s’est particulièrement manifestée dans les sites sensibles comme les OIV (opérateurs d’importance vitale), les lieux pouvant constituer des cibles d’attaques terroristes, les sites classés Seveso, mais aussi dans les transports publics et des niches de marché comme les data centers.
L’anticipation et la prévention des risques peuvent également être un moteur de la croissance d’une entité. « Plus un musée est protégé, plus il peut prétendre aux prêts d’œuvres d’art de grande valeur », souligne Yann Brun, conseiller sûreté au ministère de la Culture. Une incitation qui favorise évidemment les dépenses.
Malgré une pression forte de leur direction des achats ou des finances pour diminuer les coûts, les directeurs sécurité cherchent en général à privilégier la compétence de leurs prestataires, ce qui se traduit évidemment par des tarifs plus élevés.
Illustration à La Comédie Française : « À l’occasion d’un appel d’offres lancé en 2021, j’ai réussi à convaincre ma direction que la qualité se paie, alors que beaucoup d’entreprises privilégient encore les bas coûts. J’ai donc insisté pour que les critères d’attribution du marché soient pondérés à 60 % pour la technique et à 40 % pour le prix. Et non l’inverse », explique Simon Angermann, responsable de la sûreté et de la sécurité incendie de ce bâtiment emblématique inauguré en 1799.
À cet égard, le sondage d’En Toute Sécurité réalisé durant l’été dernier auprès des directeurs sécurité est révélateur (cf. le schéma ci-dessous) : 85 % déclarent que leur budget est en hausse en 2023, contre 64 % l’année précédente. 9 % seulement affirment que leurs dépenses ont été moins importantes (contre 17 %) et 6 % que les montants n’ont pas évolué (contre 19 %).
À signaler que cette tendance haussière quasi unanime ne s’était jamais exprimée à un tel niveau dans les sondages similaires organisés par En Toute Sécurité depuis leur création voici dix ans.
Évolution du budget des directeurs sécurité
en pourcentage
Source : sondage En Toute Sécurité, septembre 2023
La sécurité électronique en tête
Les directeurs sécurité ont manifestement orienté leurs dépenses de fonctionnement vers la sécurité électronique (cf. le schéma ci-dessous). La vidéosurveillance vient en effet en tête de leurs achats (26 %). Certes, la surveillance humaine arrive en seconde position (25 %), mais elle est suivie par le contrôle d’accès (15 %), la sécurité incendie (12 %) qui intègre de plus en plus d’électronique, l’alarme anti-intrusion (11 %) et la cybersécurité (11 %). Cette dernière devient une vraie préoccupation pour les donneurs d’ordres puisque ce poste ne comptait que pour 4 % dans le sondage de l’année précédente. Si l’on prend la question par l’autre côté – les ventes des sociétés de sécurité – on remarque également un boom de l’activité dans la plupart des segments de la sécurité électronique : +22,5 % pour les drones de surveillance, +12 % pour la télésurveillance résidentielle, +9 % chacun pour la vidéosurveillance, le contrôle d’accès et la cybersécurité, soit largement au-dessus de la moyenne de 7 % enregistrée en 2022. Dans la surveillance humaine, la progression a été de 4,9 %.
Répartition des dépenses de fonctionnement pour la sécurité en 2023
Source : sondage En Toute Sécurité, septembre 2023
Le basculement de la surveillance humaine vers la vidéosurveillance devient tangible dans les chiffres : si la première activité a progressé de 22 % au cours des dix dernières années, la seconde a bondi de 58 %. Et il en est de même pour le contrôle d’accès et l’alarme. Un exemple spectaculaire mis en exergue par Securitas : un de ses clients en surveillance humaine, opérant dans le monde de la finance aux États-Unis, a conclu l’été dernier un contrat de 40 M$ en sécurité électronique. Une approche que le groupe suédois cherche à généraliser. Tout comme la plupart des autres entreprises de surveillance humaine, d’ailleurs.
Néanmoins, il n’est pas rare de voir les effectifs des agents de sécurité augmenter sur un site, soit pour un événement ponctuel, soit parce que les menaces évoluent, ou encore parce que la technique ne permet pas tout. C’est par exemple le cas à La Comédie Française. « Nous ne disposons pas de portiques de contrôle, ni de magnétomètres. Nous sommes en effet assujettis à une ouverture des portes une heure avant le début du spectacle, ce qui nous limite, en termes de délais, au contrôle visuel des sacs et des manteaux. Pour assurer cette fluidité, tout en maintenant un bon niveau de sûreté, nous privilégions l’effectif. Nous avons ainsi renforcé le nombre et la qualité de nos agents », affirme son responsable de la sûreté.
Si le marché de la sécurité devrait ralentir en 2024, ce sera à l’exception de la surveillance humaine qui connaîtra une demande très forte en raison des Jeux olympiques.
Des chantiers très variés
Au sein de leur enveloppe budgétaire, les directeurs sécurité s’attèlent à plusieurs chantiers à la fois.
« L’harmonisation des dispositifs de sécurité arrive au premier rang des chantiers prioritaires avec 22 % des réponses. »
Selon le sondage d’En Toute Sécurité (cf. le schéma ci-dessous), l’harmonisation des dispositifs de sécurité arrive au premier rang avec 22 % des réponses. Bien souvent, les décisions concernant l’achat des équipements et la nature de leur configuration se sont faites ces dernières années au niveau de chaque site, même si des prestataires ont été sélectionnés à l’échelle nationale par la direction sécurité d’un groupe. Ce phénomène a pris encore plus d’ampleur dans les entreprises présentes à l’étranger où les choix s’effectuent pays par pays.
Les chantiers prioritaires des directeurs sécurité
Source : sondage En Toute Sécurité, septembre 2023
Cette période d’autonomie relative semble révolue. La tendance est à une reprise en main par la direction sécurité ou plus exactement celle-ci veut disposer d’une synthèse globale des risques et des incidents, ce qui suppose des outils communs.
Depuis un an, Orange travaille dans cette direction. « Nous allons renforcer la protection globale de nos sites stratégiques, grâce à la mise en place en octobre 2022 d’un nouveau département rassemblant une équipe d’une vingtaine de personnes. Nous avons besoin d’une entité “chapeau” disposant d’une capacité d’analyse à 360°, d’une vision globale dépassant les frontières, capable de détecter une fragilité dans n’importe quel coin du monde afin d’assurer un pilotage centralisé et maîtrisé de la politique sécurité », explique Arnaud Verhille, directeur sécurité, anticipation et gestion de crise du groupe. Une équipe d’experts est d’ores et déjà chargée d’élaborer des « invariants » sécuritaires, quel que soit le pays d’implantation.
La seconde préoccupation des directeurs sécurité est la formation de leur personnel (18 % des réponses), tandis qu’ils souhaitent également investir dans les nouvelles technologies de sécurité (12 %).
Les incivilités arrivent en quatrième position (11 %). Il faut dire que ce fléau se répand dans de nombreuses catégories de sites. Outre les banques, les transports ou les enseignes de distribution, on recense aussi ce genre de comportement dans des lieux plus inattendus comme les parcs de loisir.
« Notre personnel est parfois confronté à des agressions verbales, résultant d’un voyage parfois long et difficile, auquel s’ajoute une attente à l’entrée du parking ou de l’impossibilité d’entrer au spectacle qui a déjà commencé. Nous cherchons alors à faire redescendre la pression en énonçant la contrainte et en apportant une solution », déclare Mathieu Naudin, directeur sécurité du site du Puy du Fou qui accueille plus de deux millions de visiteurs par an.
Un ralentissement de la croissance en 2024
L’embellie des dépenses de sécurité pourrait cependant ne pas perdurer. Une majorité des directeurs sécurité prévoit encore un budget en hausse en 2024, mais ce pourcentage est en net repli, selon le sondage d’En Toute Sécurité : 58 %, soit pratiquement trente points de moins que pour l’année précédente.
En outre, 28 % anticipent des dépenses en baisse, soit trois fois plus qu’en 2023.
Le contexte économique général particulièrement incertain explique l’arrivée de ces premiers nuages à l’horizon. Par ailleurs, l’inflation devrait significativement ralentir en 2024 (+2,6 %, selon les prévisions des autorités), si bien que la répercussion sur les contrats de sécurité devrait avoir moins d’ampleur.
Autre explication : les dépenses de sécurité ont toujours un aspect cyclique. Il serait donc logique qu’après trois années particulièrement fastes, le ralentissement soit à l’ordre du jour. On peut imaginer que ce phénomène touchera la sécurité électronique, la sécurité intérieure de l’État (équipements de maintien de l’ordre et de prévention du terrorisme, etc.) et peut-être aussi la cybersécurité.
Une exception à cette tendance : la surveillance humaine connaîtra une demande très forte à cause des Jeux olympiques. Pas seulement pour les épreuves sportives, mais aussi pour tous les événements qui seront organisés autour (expositions, spectacles, conventions, etc.). De même, en raison de la multiplication prévisible des déplacements de spectateurs et de personnalités, dont un grand nombre venant de l’étranger, la sûreté aéroportuaire et la protection rapprochée enregistreront de belles performances.
Article extrait du n° 598 de Face au Risque : « 2023-2024 : zones de turbulences » (décembre 2023).
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