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Agents de sécurité : des missions qui peuvent être à risques psychosociaux
Violence, pression, intensité de travail, les agents de sécurité sont confrontés à des situations parfois éprouvantes et susceptibles, si on n’y prend garde, d’avoir des effets sur leur santé physique et/ou psychologique. Quelles sont ces situations et comment prévenir les risques ? Éléments de réponse avec Agnès Oberlin, responsable Sécurité à l’hôpital Simone Veil, le centre hospitalier de Troyes.
Risques psychosociaux : l’explosion
L’équipe Sécurité de l’hôpital de Troyes
Agnès Oberlin est la responsable Sécurité incendie/Environnement du Centre hospitalier de Troyes (CHT). Celui-ci compte près de 2 500 salariés (personnels médical et administratif – chiffres 2020, effectifs en équivalent temps plein) et un peu plus de 1 000 lits. Elle est secondée par un adjoint et manage 18 agents de sécurité (8 Ssiap2 et 10 Ssiap1). Ils sont présents dans l’établissement, par équipe de trois, 24 h/24 et 7 j/7. Ils assurent la prévention et la sécurité incendie de l’établissement, contrôlent les équipements de sécurité, effectuent une grande partie de la maintenance du matériel incendie, rédigent les permis de feu, assurent la gestion des conflits…
Le contrôle et les filtrages des entrées du CHT sont, quant à eux, assurés par une entreprise extérieure de sécurité privée.
L’équipe Sécurité incendie est très sollicitée depuis le début de la crise sanitaire. Pour prévenir les RPS, Agnès Oberlin s’appuie principalement sur trois leviers : l’organisation, la communication et la formation. Par ailleurs, « les risques psychosociaux des agents de sécurité sont évoqués dans le Document unique », indique-t-elle.
L’accompagnement des équipes
« Le premier confinement a été une période très ʺdésorganisanteʺ, confie Agnès Oberlin. Il faut se souvenir qu’au début, on n’avait pas de vaccins, pas de tests, qu’on ne connaissait pas la maladie. L’hôpital a été complétement réorganisé avec des circuits Covid, des zones d’habillage et de déshabillage, tout cela clairement identifié avec de la signalétique, des barrières… Ça a été un moment où il fallait être très réactif, ingénieux. La période a été très anxiogène. Le niveau d’information sur le virus était extrêmement bas. On savait qu’on avait affaire à quelque chose d’extrêmement virulent. On avait les images de ce qui s’était passé en Italie. On était dans l’état d’esprit d’assiégés qui attendent l’armée adverse ! »
Avec l’aide de son adjoint, la responsable Sécurité a alors beaucoup accompagné ses équipes et a largement communiqué. « On était très présents. On arrivait de bonne heure le matin et on restait systématiquement jusqu’à la relève de l’équipe de nuit. On donnait toutes les informations dont on disposait. » Agnès Oberlin savait aussi dire quand elle n’avait pas les réponses à leurs questions. « Je pense que ce sont des moments où il faut faire corps avec ses équipes. On est tous embarqués dans le même bateau. On avait besoin que nos agents de sécurité incendie soient rassurés, qu’ils n’aient pas la sensation d’être livrés à eux-mêmes. Mais aussi qu’ils aient consciences des risques qu’ils encouraient. » Car les quinze premiers jours, les masques étaient une denrée rare. Mais heureusement, très rapidement, l’ensemble du personnel a pu en bénéficier, ce qui était rassurant pour les équipes.
Lors du premier confinement, on avait besoin que nos agents de sécurité incendie soient rassurés, qu’ils n’aient pas la sensation d’être livrés à eux-mêmes. Mais aussi qu’ils aient consciences des risques qu’ils encouraient.
Agnès Oberlin
Responsable Sécurité incendie/Environnement
du Centre hospitalier de Troyes (CHT)
Organisation des filtrages
Depuis l’été 2021, la loi contraint les établissements de santé à exiger un passe sanitaire, sauf pour les urgences, tout en précisant que la présentation du passe ne doit pas être un obstacle à l’accès aux soins. La difficulté pour le personnel de sécurité privée qui filtre les entrées est alors de savoir comment évaluer les situations d’urgence. Se pose aussi le problème du secret médical car les équipes de sécurité n’ont pas à connaître les raisons médicales pour lesquelles les patients viennent en consultation.
« D’emblée, à l’hôpital de Troyes, nous nous sommes mis dans une démarche qui préservait les fonctions de chacun. Nous avons mis en place un centre de dépistage pour les patients qui viennent en consultation sans passe sanitaire ainsi que pour leurs accompagnants “nécessaires“. Ces dépistages sont effectués par des soignants. Quand un patient est positif, c’est le soignant qui contacte le service de soins concerné, qui évalue alors le degré d’urgence de la consultation et décide si celle-ci peut être reportée. »
Avec cette organisation, la décision ne revient pas aux agents de sécurité. En revanche, c’est eux qui interdisent l’entrée aux visiteurs qui ne présentent pas un passe à jour.
Gérer les conflits
La violence s’est développée depuis plusieurs années dans les établissements de soins. Et le phénomène s’est intensifié depuis le Covid-19, notamment à cause des filtrages à l’entrée.
« Avant la crise sanitaire, n’importe qui pouvait entrer librement dans un hôpital. Dès le premier confinement, nous avons mis en place des mesures de restriction. Les gens les acceptaient parce que l’environnement national global faisait comprendre ces mesures. Avec le déconfinement, l’hôpital a maintenu des contraintes importantes : filtrage des entrées, visites limitées… Et les moments de plus grande agressivité ont correspondu à ces périodes de relâchement national. Il y avait alors une totale incompréhension du public par rapport aux règles qui continuaient à être mises en place à l’hôpital. »
Au CH de Troyes, ce sont les agents de sécurité incendie qui sont chargés de la gestion des conflits. « Ce sont des moments qui restent durs pour les agents », reconnaît Agnès Oberlin. L’hôpital est tenu d’accueillir tout le monde, « mais certains patients sont agités à cause de leur pathologie, certains peuvent être violents à cause de l’incompréhension de leur état, comme les patients en début d’Alzheimer. Des familles s’emportent car elles n’ont pas de réponses à leurs questions, les alcooliques et toxicomanes sont agressifs… Et puis il y a des gens qui pensent avoir plus facilement ce qu’ils sont venus chercher en hurlant. À partir du moment où l’on bascule dans l’injure et l’agressivité et que les personnels hospitaliers n’arrivent pas à résoudre le conflit, ils appellent les agents de sécurité incendie qui sont formés à la pacification, à la discussion, à l’abaissement de la crise émotionnelle. Leur arrivée modifie le rapport de force. »
Il arrive cependant, dans un cas sur dix environ, que leur intervention ne suffise pas. « On passe alors la main à la police. »
Depuis la crise Covid, le CHT a noté une augmentation de ce type d’interventions. Les soignants se trouvent souvent dans de petits espaces et la violence est d’autant plus difficile à encaisser.
Au service des urgences, un agent de sécurité privée est maintenant présent en permanence, 24 h/24. Les agents de sécurité incendie peuvent lui prêter main forte en cas de difficultés. Ils sont reliés par talkie-walkie.
Effectuer des debriefs
Intervenir sur un conflit est un acte qui demande du courage et de la subtilité car un hôpital ne peut pas mettre un patient dehors. « C’est éprouvant pour les agents. C’est pourquoi il est important de réaliser un débrief après une intervention. Il se fait de façon très naturelle, entre eux, au PC de sécurité, un endroit où les agents sont à l’abri. Cela leur permet d’encaisser ces situations où ils peuvent même être parfois pris à partie de façon personnelle. » Là encore, le recours à la communication est un moyen de prévenir les RPS.
Reconnaissance en interne de la fonction
Le fait d’intervenir en matière de conflit a considérablement modifié la perception que pouvait avoir le personnel soignant des équipes de sécurité. Celles-ci sont maintenant perçues comme une ressource aidante. Ce n’était pas forcément le cas avant où les agents de sécurité étaient perçus avec un rôle de contrôle : ne pas caler les portes, laisser les issues de secours dégagées… « C’est clairement plus valorisant pour eux à présent », note Agnès Oberlin.
Des formations à la gestion des conflits
Pour pouvoir intervenir efficacement et sans se mettre en danger, les agents de sécurité incendie sont formés à la gestion des conflits. Une partie de la formation concerne la réglementation, « car il est très important de rester dans un cadre légal », souligne notre interlocutrice. Puis les agents sont formés aux techniques de pacification, de repérage
d’agressivité, de maintien d’une personne sans lui faire de mal, de dégagement…
« Je donne comme consigne à mes agents de ne jamais s’investir dans une situation qui pourrait mettre en péril leur intégrité physique. Ils interviennent d’ailleurs toujours à deux dans la gestion de conflits, ajoute-t-elle. Nous allons effectuer prochainement une nouvelle vague de formations. Je souhaite que chacun des agents de sécurité de mon service suive ce type de formation tous les deux ou trois ans. »
La pression des agents de sécurité
La pression figure parmi les facteurs de RPS. Or, les agents de sécurité sont également soumis à une certaine pression. « Par exemple, dans les établissements hospitaliers, après une certaine heure le soir ou le week-end, il ne reste plus grand monde. À charge pour la petite équipe de sécurité de gérer seule toutes les problématiques qui se présentent. Ce sont donc des personnes qui doivent avoir la capacité de prendre des décisions pour régler des situations qui ne sont pas forcément de leur ressort habituel : une rupture de canalisation, un afflux massif de personnes aux urgences… Il peut se passer plein de choses la nuit à l’hôpital qui peuvent avoir un impact sur la prise en charge des patients et qui doivent être résolues », affirme Agnès Oberlin.
Il arrive parfois que ses agents l’appellent en dehors de ses horaires de travail et elle vient gérer la situation avec eux. Mais ils ont plus de scrupules à la déranger la nuit, confie-t-elle…
Pour les aider dans ces prises de décision, elle mise là encore sur la communication. « Au quotidien, on leur donne beaucoup d’informations sur les différents enjeux. À partir du moment où ils ont un bon niveau d’information, ils sont capables de prendre les bonnes décisions. »
Et le droit à l’erreur existe. « Quand on est dans une situation où on est seul et qu’on n’a pas une vision complète des choses, il peut arriver de prendre une mauvaise décision. Mais en aucun cas cela leur sera reproché. On débriefe, on analyse ce qu’il s’est passé, on fait un retour d’expérience… L’idée est de progresser en permanence sur les événements qui arrivent. »
Au quotidien, on donne [aux agents de sécurité] beaucoup d’informations sur les différents enjeux. À partir du moment où ils ont un bon niveau d’information, ils sont capables de prendre les bonnes décisions.
Agnès Oberlin
Responsable Sécurité incendie/Environnement du Centre hospitalier de Troyes (CHT)
Une cellule psychologique pour le personnel
Depuis la crise sanitaire, un phénomène de lassitude touche l’ensemble des personnels de l’hôpital. Et il est doublé d’une perte des ressources car certains sont malades du Covid. « Les salariés sont fatigués, usés. L’hôpital a été très impacté par cette crise sanitaire et on n’est toujours pas revenu au niveau d’avant », constate Agnès Oberlin.
Un soutien psychologique a donc été mis en place depuis plusieurs mois avec le concours de la cellule Qualité de vie au travail du CHT. Des partenariats ont été signés avec des psychologues et psychiatres qui n’exercent pas à l’hôpital. Les salariés peuvent faire appel à ces professionnels s’ils en éprouvent le besoin.
Article extrait du n° 580 de Face au Risque : « Troubles psychosociaux : l’explosion » (mars 2022).
Martine Porez – Journaliste
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