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Incivilités à la SNCF : éviter que la situation ne déraille
À bord des trains ou en gare, les agents de la SNCF sont victimes de nombreuses incivilités, voire d’agressions verbales ou physiques. Face à l’ampleur du phénomène, le groupe mène une véritable démarche de prévention et de protection. Formation, campagne de sensibilisation, moyens matériels : explication avec Patrick Auvrèle, directeur Sécurité de SNCF Voyageurs.
Concernant les incivilités et violences envers votre personnel, quels sont les principaux risques et les postes les plus exposés ?
Patrick Auvrèle. Les incivilités, violences verbales ou physiques touchent tous nos agents en relation avec les clients. C’est un véritable fléau. Cela touche les hommes et les femmes, dans les trains, notamment les chefs de bord – les « contrôleurs » pour le grand public – mais aussi les agents au sol dans les espaces d’information, de vente, après-vente…
Nos agents sont principalement exposés à des incivilités. Cela commence souvent par quelque chose de banal. À bord, les pieds sur un siège, un peu de bruit dans un wagon, une gêne entre deux voyageurs pour entrer ou sortir. Ou au sol quand quelqu’un manque son train, n’a pas le billet qu’il faut, n’arrive pas à l’obtenir… Mais ce n’est pas à prendre à la légère. D’abord, la répétition finit par créer une charge mentale qui peut être difficile à vivre. Ensuite, cela peut dégénérer et finir par une agression verbale forte, voire physique, et l’incivilité devient alors un outrage, c’est-à-dire une infraction punie par la loi. Il peut s’agir d’un outrage verbal, avec agression verbale et une altercation qui peut générer un choc psychologique. Ou d’un outrage physique, à savoir des coups avec parfois une invalidité temporaire ou définitive.
Quel état des lieux dressez-vous ?
P. A. Ce sont principalement des incivilités qui remontent du terrain. On constate d’ailleurs une progression très forte depuis la crise sanitaire, et cela continue de croître. On estime une augmentation de 57 % sur le premier semestre 2023 par rapport à la même période l’année dernière. Il y a certes une forte reprise du trafic, mais cela n’explique pas une telle augmentation. On sent une réelle tension – et pas seulement dans les transports. C’est probablement dû à un contexte social, économique, post pandémie.
Les outrages sont également nombreux. En 2021, 5 330 actes de violence verbale ou physique ont été commis contre un agent de la SNCF. Soit 14 actes par jour. Parmi tous ces incidents, 900 ont donné lieu à une déclaration d’accident de travail. Si le nombre est à peu près constant, les outrages génèrent des conséquences très fortes puisqu’ils représentent un quart de nos accidents du travail avec arrêt pour SNCF Voyageurs.
« Notre première démarche est une démarche de prévention. Tous nos personnels en contact avec le public sont sensibilisés et formés à la relation clientèle et à la gestion des conflits. »
Patrick Auvrèle, directeur Sécurité de SNCF Voyageurs.
Comment faites-vous face à ces incivilités et violences ?
P. A. Notre première démarche est une démarche de prévention. Tous nos personnels en contact avec le public sont sensibilisés et formés à la relation clientèle et à la gestion des conflits. On leur apprend à ne pas s’obstiner sous prétexte de vouloir régler une situation d’irrégularité, à accepter de « lâcher » à un moment donné.
On les forme au respect des distances de sécurité, à des postures, de manière à ne pas s’exposer physiquement. On leur apprend qu’il faut toujours être un peu décalé, de biais, et avoir une ligne de fuite pour pouvoir reculer et éviter de prendre un coup. On leur apprend aussi à surveiller l’environnement. Il y a souvent plusieurs personnes et ce n’est pas forcément la personne avec laquelle l’agent est en train de dialoguer qui va devenir agressive. Cette formation est réalisée par des formateurs professionnels en interne, ou des pairs qui ont déjà été victimes d’agression verbale ou physique. À la théorie s’ajoutent des entraînements pratiques avec des jeux de rôle, des exercices. Nous avons des salles aménagées qui simulent des espaces dans les trains et nous créons des saynètes pour vérifier que les agents ont le bon comportement face aux situations d’agression.
Tout ceci est vu lors de la formation initiale des contrôleurs puis avec la formation continue, avec des rappels tous les ans. Selon les situations, les événements vécus, cela peut aller d’une à plusieurs journées tous les ans. C’est un investissement continu.
Vous sensibilisez également le public. Vous avez notamment lancé une campagne en novembre 2022.
P. A. C’est exact. Nous avons fait le choix d’une campagne volontairement choc, inédite, pour marquer les esprits tant en externe qu’en interne. Nous avons repris sur grande affiche des verbatim remontés par nos personnels. Nous avons voulu montrer à l’ensemble des voyageurs, qui dans la très grande majorité se comportent très bien, que ce n’était pas toujours le cas et que nos personnels subissent au quotidien ce genre d’incivilités/outrages. Nous avons également rappelé sur ces affiches les peines d’amende et de prison encourues. En interne, nous avons voulu rappeler que nous n’acceptons pas ces situations et que nous sommes solidaires des agents qui subissent ça au quotidien.
La SNCF a lancé en novembre 2022 une campagne choc pour interpeller sur les violences verbales dont sont souvent victimes ses agents.
P. A. Il y a également des agents de médiation – il s’agit de personnes en réinsertion sociale, notamment sur le réseau TER et Transilien – qui viennent au contact des voyageurs au sujet des incivilités. Ils ne pénalisent pas mais expliquent ce que les voyageurs risquent s’ils ont les pieds sur un fauteuil, s’ils fument… Cela apaise beaucoup de situations. Ils sont très présents en Île-de-France, et de manière moins conséquente en province.
Nous faisons aussi des opérations très préventives de sensibilisation dans les milieux scolaires et avec les associations de quartier. En Île-de-France, entre 2022 et début 2023, plus de 25 000 élèves, principalement des collégiens, ont été sensibilisés sur deux thèmes : le comportement dans le train et les incivilités/violences et le risque ferroviaire (électrique, heurts contre un train). Les régions organisent aussi ces interventions en milieu scolaire.
Comment accompagnez-vous les personnels victimes d’agression ?
P. A. Les victimes se confient le plus souvent aux managers de proximité. Quasi systématiquement, nous proposons un entretien pour en discuter et éviter un choc psychologique non traité. Une démarche de soutien est en place, avec recours possible à une cellule psychologique, la médecine du travail… Des préventeurs sont également présents, en appui des pôles sécurité dans les différents établissements. Par ailleurs nous déposons souvent plainte, dès lors qu’il y a une déposition d’un agent.
D’autres actions sont-elles mises en place concernant la prévention des incivilités ou actes violents ?
P. A. Nous pouvons citer notre organisation, adaptée selon l’analyse de risques : en Île-de-France, les agents fonctionnent systématiquement par brigade d’au minimum deux agents. On ne fait plus faire de contrôles seul, contrairement à d’autres territoires en province. Par ailleurs, quand on fait une opération un peu musclée de contrôle complet de tous les voyageurs, nous avons l’appui de notre surveillance générale, la police ferroviaire SNCF, et de forces de l’ordre. Notre direction Sûreté est en relation permanente avec les forces de l’ordre, on partage énormément les informations, on les sollicite assez fréquemment et ils interviennent très rapidement. On a un soutien très fort.
Nous portons également une attention particulière à l’aménagement des espaces et aux procédures mises en place. J’ai, dans mes équipes, des spécialistes des facteurs organisationnels et humains (FOH). Nous veillons à ce que les installations en gare, à disposition du public et de nos personnels, ne soient pas de nature à mettre en difficulté les agents en cas de situation tendue. Par exemple, pour les accueils embarquements, il y a dans les grandes gares parisiennes des sas de contrôles. Faut-il se positionner devant ou derrière les portes ? Cela fait partie des discussions et réflexions que nous avons. Il y a ceux qui pensent que l’agent est protégé derrière la porte, et ceux qui pensent que cela empire la situation, qu’il faut être à proximité des voyageurs. La réponse n’est pas la même selon les configurations des gares, la population, les trains de jour ou de nuit… On teste, on expérimente, en prenant en compte les facteurs humains.
Côté protection, certains matériels peuvent-ils aider les personnels ?
P. A. Tous les agents en contact avec des voyageurs ont à leur disposition, depuis plus d’un an, une application que nous avons baptisée « sûreté » et qui permet de déclencher en toute discrétion une alerte en actionnant ou bougeant son téléphone, lorsque l’application est active. Cela permet de rentrer en relation avec un centre spécialisé de surveillance à distance (en interne) qui va écouter la conversation, et en fonction de ce qui se passe, déclencher une intervention interne (de la police ferroviaire) ou externe si nécessaire.
L’application est peu utilisée et heureusement, mais peut-être pas suffisamment. Quand les agents sont en situation difficile, ils espèrent jusqu’au bout pouvoir l’apaiser et la maîtriser. C’est un point sur lequel on doit encore travailler. Et les interventions ne sont pas immédiates, les agents doivent donc gérer la situation pendant au moins quelques minutes. Cela a été utile dans les cas les plus graves. L’autre dispositif très efficace et très utilisé, ce sont les caméras piétons.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif ?
P. A. 1 800 agents se sont portés volontaires pour expérimenter le dispositif. C’est un petit boîtier porté au niveau du thorax, avec l’inscription « caméra piéton » et l’œilleton parfaitement visibles. À tout moment, quand la conversation s’envenime, l’agent peut dire « à partir de maintenant, notre conversation est enregistrée et filmée » et appuyer sur un bouton rouge pour activer la caméra, qui enregistre de manière rétroactive les 30 secondes précédentes, souvent précieuses. C’est un grand succès : les agents qui portent ces caméras sont ravis. D’après les retours d’expérience, l’activation de la caméra apaise l’échange dans 94 % des cas. Nous continuons l’expérimentation.
Seuls des personnes habilitées de la direction Sûreté ou des officiers de police judiciaire sont autorisés à visionner ou écouter. L’utilisation de la caméra nécessite par ailleurs quelques conditions : quelques heures de formation et il faut que la personne soit assermentée et volontaire. Mon objectif, en tant que directeur Sécurité, est qu’à terme tous les agents en charge de la relation avec la clientèle soient équipés d’une caméra piéton quand ils sont en service. Vu le taux d’efficacité et le sujet qui n’est pas anodin, ne nous en privons pas.
800 agents de la SNCF expérimentent l’utilisation d’une caméra piéton depuis plus d’un an. D’après les retours d’expérience, l’activation de la caméra apaise l’échange dans 94 % des cas.
Article extrait du n° 595 de Face au Risque : « Incivilités : quelles réponses ? » (septembre 2023).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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