Pratiques addictives en milieu de travail : une prise en compte délicate mais nécessaire
En raison des effets potentiels catastrophiques qu’elles peuvent entraîner sur la santé et la sécurité des individus, les consommations de substances psychoactives constituent un problème majeur qu’il convient d’adresser aussi bien dans la sphère sociale que dans le milieu du travail. Quelques pistes pour aiguiller les employeurs dans ce difficile exercice.
De quoi parle-t-on ?
Alcool, stupéfiants, médicaments psychotropes… De telles substances sont susceptibles de s’inviter dans le monde professionnel, aucun secteur d’activité ou poste de travail ne pouvant se considérer comme épargné.
Pour autant, la question n’est que peu abordée ouvertement au sein des entreprises. En lien notamment avec ce tabou, le caractère socialement stigmatisant et inquiétant de l’addiction, bien que le phénomène soit connu de longue date et même en augmentation depuis la crise Covid.
Reste que ces usages constituent un danger pour la santé et la sécurité des travailleurs, quand bien même ceux-ci ne seraient qu’occasionnels. Les consommateurs de ces substances sont en effet exposés, en fonction des produits considérés, à des risques de baisse de vigilance, de concentration, de dépression, d’hypertension, de cancers ainsi qu’à la survenue d’accidents.
Il est donc nécessaire que l’entreprise mette en place des mesures de prévention vis-à-vis du risque lié aux pratiques addictives, tout en gérant la prise en charge et l’accompagnement des personnes en difficulté. S’agissant d’un mécanisme de consommation multifactoriel, à la frontière entre la sacro-sainte vie privée et le monde professionnel, la tâche s’avère ardue.
L’employeur doit toutefois avoir conscience qu’il est lié ici par son obligation de sécurité, qui lui impose de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » sous peine de voir sa responsabilité engagée (article L.4121-1 du code du travail).
La démarche de prévention
Face à ces enjeux majeurs, l’employeur ne doit donc pas reculer devant la difficulté à s’emparer de ce sujet, aussi délicat soit-il. Il lui appartient d’établir un état des lieux de la situation au sein de son entreprise. Les résultats de cette analyse permettront de déterminer s’il est nécessaire d’inscrire de manière spécifique le risque lié aux pratiques addictives dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) de l’entreprise.
Pour ce faire, il est nécessaire de confronter les éléments factuels constatés sur le terrain avec la littérature scientifique et sociologique disponible, dont l’étude permettra de mieux appréhender les facteurs et les modes de consommation ainsi que l’impact de cette consommation sur le travail et la santé des individus. L’employeur doit ainsi s’intéresser :
- au niveau de consommation des principales substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis, médicaments psychotropes…) ;
- aux liens entre ces pratiques de consommation et l’activité professionnelle (culture du métier, moments conviviaux et fédérateurs au sein de l’entreprise, stratégie de compensation des salariés pour pallier des problèmes au travail…) ;
- aux conséquences induites par ces pratiques (dégradation de l’état de santé des consommateurs, accidents de trajet et du travail…).
Sous certaines conditions, l’employeur peut être amené à mettre en place des opérations de contrôle tels que des éthylotests, des éthylomètres ou des tests salivaires pour le dépistage de stupéfiants.
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Afin de définir la démarche de prévention appropriée, il est recommandé de mettre en place un comité ad hoc pour piloter la prévention des pratiques addictives au sein de l’entreprise. Il s’agit de mettre à profit les compétences des ressources internes et externes (CSE, IPRP, SPST…) pour rassembler un ensemble d’indicateurs et mettre en œuvre des moyens de prévention spécifiques. Parmi ces mesures, quelques indispensables :
- l’encadrement de la consommation de substances psychoactives ;
- la prévention des facteurs favorisant les pratiques addictives ;
- l’organisation des secours en cas d’urgence ;
- l’accompagnement constant des travailleurs à travers des actions de formation et d’information.
Contrôle des situations à risque : entre rigueur et proportionnalité
Au regard de son obligation de sécurité, l’employeur pourrait être tenté de régler le problème en adoptant une politique de tolérance zéro refusant toute consommation de substances psychoactives au sein de l’entreprise.
Si, pour le tabac et les drogues, la réglementation lui donne en tout état de cause raison, la situation est plus nuancée en ce qui concerne l’alcool. L’article R.4228-20 du code du travail autorise en effet la consommation d’une liste limitative de boissons alcoolisées au travail : vin, bière, cidre et poiré.
L’employeur qui souhaite aller plus loin en interdisant purement et simplement toute consommation d’alcool dans l’entreprise doit faire attention au principe de proportionnalité. Consacré à l’article L.1321-3 du code du travail, celui-ci implique que le règlement intérieur ne puisse « contenir de dispositions portant aux droits des personnes et aux libertés des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
La jurisprudence, attentive au respect de ce droit fondamental, a été amenée à censurer de telles clauses d’un règlement intérieur à défaut pour celles-ci d’être « fondées sur des éléments caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque » (Conseil d’État, 12 novembre 2012, n° 349365). Il convient donc de justifier, en fonction de l’activité de l’entreprise et des risques spécifiques présents aux postes de travail concernés, l’interdiction de la consommation d’alcool, voire de tout état d’imprégnation alcoolique des salariés (Conseil d’État, 8 juillet 2019, n° 0420434).
« Les consommateurs de ces substances sont exposés (…) à des risques de baisse de vigilance, de concentration, de dépression, de cancers, d’hypertension, ainsi qu’à la survenue d’accidents. »
Afin de s’assurer du respect par les salariés de ces mesures, l’employeur peut être amené à mettre en place des opérations de contrôle telles que des éthylotests, des éthylomètres ou des tests salivaires pour le dépistage de stupéfiants.
Là encore, il doit adopter une démarche prudente et proportionnée et respecter les critères de légalité entourant ces pratiques, principalement définis par la jurisprudence (Conseil d’État, 5 décembre 2016, n° 394178 ; cour d’appel d’Amiens, 27 janvier 2021, n° 19/04143). À ce titre, les opérations de contrôle doivent être prévues par une clause du règlement intérieur ou une note de service.
L’usage d’un éthylotest ou d’un test salivaire ne peut être envisagé qu’à l’égard des travailleurs pour qui la consommation d’alcool ou de substances illicites présenterait un risque pour leur propre sécurité, celle de leurs collègues ou des tiers (salariés affectés à des opérations de travail en hauteur, à la conduite de véhicules, à la manipulation de machines dangereuses…).
Il est donc exclu de procéder au contrôle de l’alcoolémie de l’ensemble des salariés ou de manière aléatoire. La procédure doit être mise en oeuvre de telle façon que les résultats soient confidentiels et que les intéressés puissent contester le contrôle (en demandant une contre-expertise ou en exigeant de passer un second test par exemple).
Les opérations doivent être effectuées par une personne qualifiée. Les actes biologiques, tels que les prises de sang, ne peuvent être réalisés que par un médecin. En cas de refus de se soumettre du salarié, il n’est pas possible de le forcer ; il doit à titre de mesure de prévention être écarté du poste de travail et pris en charge par le service sécurité ou le service médical.
Article extrait du n° 601 de Face au Risque : « JOP 2024 : à vos marques, prêts ? » (mai-juin 2024).
Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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