TMS : Vernet fait de l’ergonomie une culture d’entreprise

10 décembre 20219 min

Retour d’expérience. Vernet France, qui conçoit et fabrique des solutions de régulation thermostatique, s’est attaquée il y a une dizaine d’années à la problématique des troubles musculo-squelettiques (TMS). Investissements techniques, modification de l’organisation, formation, aspect biomécanique, l’entreprise n’a rien laissé au hasard.


Une approche pluridisciplinaire et participative, c’est la clé de la réussite de Vernet dans la lutte contre les TMS, d’après Jonathan Johann, responsable sécurité-sûreté-environnement pour Vernet France. Il y a une dizaine d’années, quand il a pris son poste, les ports de charges et les postures contraignantes étaient à l’origine de la grande majorité des accidents dans l’entreprise.

Avec ses deux sites en France, à Ollainville (Essonne) et Cinq-Mars-la- Pile (Indre-et-Loire), l’entreprise fabrique des solutions de régulation thermostatique destinées à trois secteurs : l’énergie motrice (pour l’automobile entre autres), l’habitat (sanitaire, chauffage…) et la distribution avec les pièces détachées. Un peu plus de 500 personnes y travaillent (en majorité du personnel féminin), sur les 900 que compte le groupe Vernet, aussi implanté à l’international.

Usure prématurée des salariés

Sur ces sites de production, la fabrication et l’assemblage nécessitent l’utilisation de machines spéciales, cadencées et de machines-outils. Des tests d’endurance, de durabilité sont réalisés, comme beaucoup d’opérations manuelles de chargement/ déchargement ou d’autres opérations très minutieuses.

Dans ce type d’activités, les ports de charges, les gestes répétitifs et les postures contraignantes peuvent vite devenir problématiques.

« Vernet a une culture familiale d’entreprise. Beaucoup de salariés ont démarré avec l’entreprise dans les années 1970-1980 et sont toujours là. Ces personnes ont subi l’usure du temps et des machines, explique Jonathan Johann. Les TMS dans l’entreprise concernent principalement les parties épaule, coude et poignet. Il y a une dizaine d’années, l’entreprise a pris de plein fouet cette usure biomécanique prématurée des salariés. »

L’entreprise a donc décidé de réagir. Pour limiter les dégâts sur ce personnel déjà « usé », aujourd’hui proche de la retraite, et préserver les nouvelles générations.

Réduire le risque des TMS à la source

L’entreprise a décidé d’intégrer une notion profonde d’ergonomie en interne, dans le travail et dans la conception des moyens de production. Pour réduire le risque à la source, Jonathan Johann et son équipe ont analysé les différents postes et ont identifié douze situations prioritaires, comme une installation de dégraissage, des machines d’assemblage, des postes de manutentionnaires…

L’entreprise s’est attaquée à toutes les faces des TMS à travers notamment :

L’une des premières actions a été de réduire le poids des bacs, dans lesquels sont déposés les composants fabriqués qui passent de machine en machine. « Nous sommes passés à des bacs plastiques de 12 kg, contre des bacs qui pouvaient peser plus de 25 kg avant, et nous essayons aujourd’hui de travailler avec des bacs de 10 voire 8 kg », précise le responsable SSE. Ces cinq dernières années, plus de 80 équipements d’aide à la manutention ont été déployés : des tables élévatrices, des potences d’aide à la manutention, des dessertes à niveau constant, des transpalettes à ciseaux, des chariots électriques…

Jonathan Johann a analysé, avec l’aide des salariés concernés, chaque poste pour supprimer les double manipulations ou manutentions et les tâches sans valeur ajoutée. « Par exemple, une personne mettait les pièces dans un bac puis les transférait dans un autre bac pour la pesée. Aujourd’hui, la balance est intégrée au poste de travail et c’est pesé en direct », illustre-t- il.

Les bacs qui contiennent les pièces fabriquées ont par ailleurs été mis à hauteur convenable pour éviter les postures contraignantes. Et l’organisation des établis et l’approvisionnement des pièces ont été revus. La polyvalence et les compétences des salariés ont également été développées pour assurer la rotation des postes et alterner tâches contraignantes et contrôle qualité par exemple.

Vernet est entré dans le programme de prévention TMS Pro de l’Assurance Maladie en 2016. À cette occasion, Jonathan Johann a suivi une formation spécifique sur le sujet et est devenu référent TMS. Trente managers de proximité ont été formés à l’ergonomie et à la détection de situations dangereuses. L’équipe Méthodes, qui compte dix personnes et conçoit les machines, a été quant à elle formée à l’ergonomie de conception dans les moyens de production.

Tous les salariés sont bien évidemment formés aux gestes et postures. « Nous fonctionnons beaucoup en formation minute lors de la mise en place de nouveaux process par exemple, raconte le responsable SSE. Nous faisons aussi beaucoup de sensibilisation sur les TMS et la santé au travail en général à travers des panneaux d’affichage et des vidéos qu’on diffuse sur des écrans disposés dans chaque atelier. »

Des salariés ont par ailleurs été formés pour réaliser des audits minute sur les questions de prévention et de protection. Des contrôles sont ainsi réalisés quotidiennement sur le poids des bacs, le port des bouchons d’oreille…

Un ostéopathe est intervenu auprès des personnes de plus de 50 ans. Il s’est rendu sur chaque poste de travail, aussi bien pour la partie production que dans l’administratif, pour donner des préconisations pour améliorer les gestes et postures.

L’aménagement de l’unité de dégraissage

À la sortie, les pièces étaient réparties dans des bacs de 10 à 12 kg de façon manuelle (c’est là que les opérateurs s’assurent du poids des bacs pour le reste des ateliers). Ces bacs étaient portés pour être posés sur une balance, puis placés sur une palette à même le sol. Les opérateurs portaient en moyenne 15 bacs par heure.

En 2017, plusieurs améliorations ont été apportées, avec notamment le remplacement des bacs métal par des bacs plastiques, la mise à hauteur des palettes et l’achat de nouveaux équipements : un transpalette électrique, des potences d’aide à la manutention et un système de déchargement assisté avec pesée. Désormais, l’opérateur utilise une potence d’aide à la manutention pour poser les bacs à l’entrée de l’unité de dégraissage. À la sortie, une autre potence permet de déposer les bacs sur la balance. Grâce à un transpalette électrique, la palette de sortie est à bonne hauteur pour que l’opérateur puisse faire glisser le bac sans le porter.

Conception ergonomique des machines

Outre l’aménagement de l’outil de production existant, l’entreprise a aussi intégré la démarche ergonomique en amont, dans la conception des machines futures. « Nos machines ne sont pas loin du million d’euros et sont souvent dessinées par nos équipes des Méthodes en interne. Si ces machines, qui vont voir passer plusieurs générations d’opérateurs, sont mal conçues, il peut y avoir de grosses répercussions derrière », observe Jonathan Johann. Il a donc mis en place, en interne, des exigences sur l’ergonomie, basées sur des normes ISO.

Le document « Aide à l’adaptation ergonomique d’un moyen de production » comprend des exigences concernant notamment l’accès au poste de travail, les dimensions du poste de travail, les postures et efforts au poste de travail, les manutentions manuelles et les ambiances de travail (bruit et éclairage). Ce document est systématiquement transmis, via le cahier des charges, au fabricant de la machine.

« Nous nous rendons aussi chez le fabricant avec des opératrices pour valider le projet de machine. Avant, nous simulions le travail sur une maquette en carton à taille réelle. Depuis trois, quatre ans, nous utilisons la réalité augmentée, raconte le responsable SSE. Nous avons détourné un logiciel de conception pour faire de l’ergonomie. Grâce à un plan 3D de la machine, qu’on vient mettre dans un espace de travail, on va pouvoir simuler les différentes prises de pièces, les assemblages, circuler autour de la machine et faire les modifications nécessaires. »

Soutien de la direction contre les TMS

L’approche pluridisciplinaire menée par l’entreprise a payé. Sur les cinq dernières années, Vernet France a réduit de 90 % les accidents du travail liés au port de charges et de 80 % ceux liés aux postures contraignantes. Le nombre d’accidents du travail liés aux gestes répétitifs a, lui, été divisé par trois. Le site d’Ollainville a par ailleurs reçu, en 2019, un Trophée de la Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France pour son engagement dans la prévention des TMS.

« Tout ceci a été une démarche de longue haleine mais aujourd’hui, on peut dire que l’ergonomie fait partie de la culture de l’entreprise, se réjouit Jonathan Johann. Grâce à l’implication de tous, et notamment de la direction qui nous a soutenus et nous a permis d’investir plusieurs centaines de milliers d’euros dans les aides techniques et l’aménagement des postes de travail, l’ergonomie est désormais une normalité. » Preuve en est, si au début de la démarche, le responsable SSE gérait le budget dédié à l’ergonomie, aujourd’hui, c’est intégré, naturellement, au budget de chaque service.

L’entreprise, qui s’est lancée dans une démarche ISO 45001 (Systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail) et vise la certification pour le milieu de l’année prochaine, continue à identifier les situations dangereuses pour les modifier. Un nouvel atelier va être remanié. Et après le travail des opérateurs et des manutentionnaires, c’est désormais celui de la maintenance qui va être revu sous l’angle des TMS.


Article extrait du n° 571 de Face au Risque : « Troubles musculo-squelettiques : réalités et prévention » (avril 2021).

Gaëlle Carcaly
Journaliste

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.