Les dépenses de sécurité bouleversées par la crise sanitaire

19 janvier 202110 min

Bilan et perspectives. Conséquence de la pandémie, les directeurs sécurité ont profondément revu leurs chantiers prioritaires et ont majoritairement bénéficié de budgets à la hausse.

Extrait du n°568 de Face au Risque « Continuité d’activité et résilience en période de Covid-19 » (déc. 2020 – janv. 2021).

Priorité à la sécurité des salariés sur leur lieu de travail

Tel est en résumé le mot d’ordre qui a prévalu dans les entreprises durant la crise sanitaire. Une stratégie qui a évidement des conséquences sur les budgets sécurité puisque ces mesures de protection n’étaient initialement pas prévues.

Plus de la moitié des directeurs sécurité (53 %) déclarent ainsi avoir augmenté leurs dépenses en 2020 par rapport à l’année précédente, tandis qu’elles ont été identiques dans 16 % des cas et en baisse pour 31 % d’entre eux, selon un sondage réalisé en septembre auprès des donneurs d’ordres par En Toute Sécurité et publié dans son Atlas 2020 (voir vidéo ci-contre).

Et la tendance est encore plus marquée pour les prévisions budgétaires 2021 : 64 % des directeurs sécurité déclarent bénéficier d’une hausse de leurs investissements, 22 % auront le même montant et seulement 14 % une somme moindre.

« La sécurité de nos clients, collaborateurs et intervenants en magasin étant notre priorité, des moyens supplémentaires ont été alloués. Les budgets sécurité étant particulièrement prioritaires en de telles circonstances, ils ont été réévalués au regard des besoins », explique Jean-Pascal Ramon, directeur sécurité France du groupe Carrefour.

Dans l’immédiat, cela est évidemment passé par l’achat de matériels de protection (masques, gel, gants), ce qui n’a pas forcément été très simple au début de la pandémie. Les directeurs sécurité ont dû aussi s’assurer que la sécurité des sites – vidés à cause du télétravail ou encore occupés par les salariés – était adaptée au confinement et à une situation sanitaire dégradée. Le renforcement du contrôle des entrées a ainsi été la règle.

Dans une optique plus longue, des investissements ont été décidés pour améliorer le contrôle d’accès électronique en misant sur le sans contact, tandis que de nouvelles caméras de surveillance ont été installées afin qu’il n’y ait pas d’angle mort aux entrées.

En général, les directeurs sécurité ont eu pour consigne de ne pas lésiner sur la qualité des équipements. Ils sont d’ailleurs 77 % à trouver que la qualité de service de leurs prestataires s’est améliorée depuis deux ans, selon le sondage d’En Toute Sécurité.


« Notre cœur de métier est la gestion de crise en toutes circonstances.
Nous avons dû faire face à un nouveau risque et nous nous sommes adaptés. »

Jean-Pascal Ramon, directeur sécurité France du groupe Carrefour.

Néanmoins, nombre de donneurs d’ordres ont cherché à faire des économies. Une nouvelle phase de guerre des prix a été entamée avec la crise sanitaire. C’est en tout cas le sentiment des dirigeants d’entreprises de sécurité : 47 % d’entre eux estiment que les donneurs d’ordres ont davantage fait jouer la concurrence pour faire baisser les tarifs, 29 % seulement sont d’une opinion contraire et 24 % ne se prononcent pas, selon le même sondage. 53 % de ceux qui ont répondu par l’affirmative trouvent que l’impact a été fort.

Des missions supplémentaires

Durant la crise sanitaire, les directeurs sécurité ont aussi vu leurs missions évoluer. « Notre cœur de métier est la gestion de crise en toutes circonstances. Nous avons dû faire face à un nouveau risque et nous nous sommes adaptés », résume le directeur sécurité France de Carrefour.

La lutte contre la pandémie est ainsi devenue leur préoccupation n° 1. Les directeurs sécurité se sont en effet trouvés en première ligne durant cette période exceptionnelle. Bien souvent, leurs priorités ont changé. Ils ont par exemple mis en place une cellule de veille pour détecter l’évolution prévisible de la pandémie. Une tâche d’autant plus complexe lorsqu’ils font partie d’un groupe international. Dans ce cas, ils ont dû organiser et superviser l’évacuation des salariés installés dans des zones ou des pays jugés dangereux.

Une grande partie des directeurs sécurité ont révisé le plan de continuité d’activité (PCA) de leur entreprise qui n’était pas toujours adapté à ce type de situation inédite. Ils ont souvent été l’organisateur de la cellule de crise mise en place par la direction générale, s’occupant notamment de la transmission des consignes sanitaires au personnel. Et ils ont participé activement à la préparation de la reprise du travail au moment du déconfinement.

Le maître-mot a été la réactivité par rapport à des circonstances incertaines et en évolution très rapide. Ainsi à la CCI de Paris Île-de-France qui gère notamment 19 écoles, il a fallu à la fois préparer la réouverture des établissements, gérer le risque sanitaire et le risque terroriste à la rentrée de l’automne, souligne Thierry Menuet, responsable du service de prévention des risques, coordinateur sécurité et gestion de crise.

Maintenir le même niveau de sécurité

«Il n’est pas question de baisser la garde en matière d’investissements en sécurité: crise sanitaire ou pas, crise économique ou pas, les risques sont là », souligne de son côté Bruno Ayrault, conseiller sécurité, sûreté, gestion de crise de Paris Musées, établissement public qui réunit quatorze musées de la capitale.

En effet, même s’ils sont fermés au public durant le confinement, les musées poursuivent leurs activités. « Les travaux continuent, notamment pour moderniser la sécurité incendie et la vidéosurveillance. De plus, nous avons l’obligation permanente de protéger notre patrimoine et nous préparons la réouverture de nos établissements lorsque viendra le déconfinement », ajoute-t-il.

Même approche au château de Versailles : « L’objectif est de maintenir le même niveau de sécurité. Durant la période de confinement, tout le personnel de sécurité est présent sur le site et nous avons même renforcé les rondes de surveillance. C’est une période de travail normal – avec aucun chômage partiel – même si nous n’accueillons pas le public », explique Olivier Jauneau, chef du département de prévention et de sécurité incendie.


Les directeurs sécurité ont dû s’assurer de la sécurité des sites vidés,
à cause de leur fermeture ou du télétravail, et les rondes de surveillance ont été renforcées.

Depuis cet automne, certains sites ont durci leur dispositif de sécurité en raison de la recrudescence de la menace terroriste, ce qui passe notamment par l’installation de nouveaux équipements de sécurité physique et électronique.

A contrario, des budgets ont été ponctuellement révisés à la baisse durant le premier confinement et dans une moindre mesure pendant le second. En effet, certains bureaux, magasins ou sites industriels ont été totalement fermés plusieurs semaines.
Dans cette situation, on estime que le nombre d’agents de sécurité présents est alors divisé par dix par rapport à une période normale.

Plusieurs catégories de dépenses en baisse

Par ailleurs, la situation est bien plus brutale pour les sites qui prennent de plein fouet l’épidémie de Covid-19. C’est le cas des aéroports dont le trafic aérien a baissé de plus de 60 % en 2020 par rapport à l’année précédente. Sachant que les prestations de sûreté aéroportuaire sont directement liées à l’activité des aéroports, on peut imaginer une baisse d’environ 60 % du chiffre d’affaires des sociétés spécialisées dans ce domaine.

Même conséquence désastreuse pour les sociétés de surveillance humaine opérant sur le seul créneau de l’événementiel: leur activité est en chute libre, de l’ordre de -70 %. Les dépenses de protection rapprochée ont été divisées par deux en 2020, en raison de la quasi-disparition des déplacements de personnalités et de la suppression des spectacles.

Avec la fermeture de certains magasins – et plus généralement à cause du ralentissement de l’économie –, le transport de fonds a aussi été à la peine, avec une estimation de 18 % de baisse pour cette activité en 2020.

Les dépenses en formation de sécurité ont également été en baisse en raison de la fermeture des centres durant les deux confinements, avec une perspective de -16 % en 2020.

Le coup d’arrêt dans le bâtiment durant le premier confinement a eu des conséquences néfastes sur la serrurerie (-18 % selon les estimations d’En Toute Sécurité) et dans une moindre mesure sur la sécurité incendie (-12 %).

En revanche, la cybersécurité reste en croissance en 2020, en raison de la multiplication des attaques durant la crise sanitaire, de même que des secteurs porteurs comme les drones de surveillance, la télésurveillance résidentielle et la téléassistance.

Un recul historique

Au total, l’activité des sociétés de sécurité devrait être en recul de 7 % en 2020 à 27,8 Mds €. Une tendance à comparer avec celui du PIB de la France qui devrait baisser de 11 %, selon les prévisions de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ou de la Banque de France. La profession de la sécurité ne s’en sort donc pas si mal!

Il faut quand même ajouter que ce recul est historique : 2009 a été la seule année dans le négatif depuis la Seconde guerre mondiale, mais avec une ampleur bien moindre (-1 %). Il s’agit cependant d’un véritable choc par rapport à une année 2019 plutôt satisfaisante, marquée par une croissance de 3,8 % du chiffre d’affaires de la profession.

Sauf nouveau confinement strict et de longue durée au cours des prochains mois, il est assez probable que la croissance sera de nouveau au rendez-vous en 2021 pour la sécurité. Bien peu de secteurs économiques peuvent en dire autant.

À noter que 93 % des directeurs sécurité interrogés affirment que la crise sanitaire aura encore des conséquences sur leurs missions en 2021. Ils pensent par exemple qu’ils devront maintenir les dispositifs exceptionnels déjà mis en place, comme la limitation des voyages, le renforcement des contrôles à l’accueil ou la sensibilisation du personnel aux risques cyber.

Plus globalement, ils affirment qu’ils devront adopter une nouvelle stratégie de sécurité.

Patrick Haas

Patrick Haas

Journaliste depuis 1975, directeur d’En Toute Sécurité, journal spécialisé dans l’information et l’analyse stratégique pour la profession de la sécurité, Patrick Haas a fait une grande partie de sa carrière dans la presse généraliste : 10 ans à l’Agence France Presse, 18 ans aux pages économiques du Figaro dont il a été chef de service et un an à France Soir comme directeur général.

Parallèlement, il fonde En Toute Sécurité en 1988 qui est un concept unique en Europe par son approche rédactionnelle. Il créé également l’Atlas, seul panorama économique des entreprises de sécurité, et édite une gamme de onze études de marché sur différents secteurs de la sécurité. Il est également conseiller pour diverses organisations professionnelles et salons de la sécurité, tout en intervenant lors de nombreux colloques pour délivrer ses analyses.

Patrick Haas a également fondé Expertise & Stratégie, une société de conseil qui fournit des prestations sur mesure.

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