Covid-19. Mode d’emploi des mesures de déconfinement

7 mai 202010 min

En cette période de déconfinement et de crise sanitaire, les employeurs s’inquiètent du risque de mise en jeu de leur responsabilité en raison de l’obligation de sécurité qui pèse sur eux.

En ce temps d’urgence sanitaire, les maires tentent d’obtenir un texte de loi qui les exonérerait de leur responsabilité liée à des mesures inappropriées ou mal respectées dans leur commune. La presse s’en est fait l’écho à plusieurs reprises et l’on devine une pression forte des élus locaux sur le Gouvernement.

C’est peut-être le célèbre jeu de la patate chaude, autour d’un feu de camp dont il faut se séparer avant de se brûler les doigts.

Et l’on peut se demander si le même jeu ne va pas se dérouler lors du déconfinement dans les entreprises en raison de l’obligation de sécurité qui pèse sur elles.

Depuis que le Premier ministre a rappelé les employeurs à leur obligation pénale lundi 4 mai 2020 devant le Sénat, ces derniers sont aussi inquiets que les maires s’agissant du risque de mise en jeu de leur responsabilité.

L’obligation de moyens renforcée

Pourtant, la responsabilité de l’employeur a été sérieusement atténuée depuis une décision de la Cour de cassation du 25 novembre 2015. Celle-ci a jugé qu’une entreprise ne pouvait être condamnée pour manquement à l’obligation de sécurité si elle montrait qu’elle avait tout mis en œuvre pour que ce manquement n’arrive pas, notamment en respectant les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail. C’est qu’on appelle, en termes plus juridiques, une obligation de moyens renforcée.

Le Gouvernement définit des moyens à mettre en place

On ne compte plus les cénacles qui se réunissent et dissertent pour déterminer les mesures à prendre afin de protéger les salariés.

Le Gouvernement a tenté de définir les moyens qu’il fallait mettre en œuvre. Sans que l’on sache cependant s’il a agi seul, en concertation avec les organisations syndicales salariées ou avec les organisations patronales.

La démarche s’est d’abord voulue pragmatique avec l’élaboration de référentiels par métiers. Et le ministère du Travail a publié le 3 mai dernier un « Protocole national de déconfinement ».

De son côté, la justice a fait entendre sa voix au chapitre. Ceci au travers de plusieurs affaires dont la presse s’est fait l’écho et notamment celle concernant l’entreprise Amazon.

Quelles sont donc les principales questions qui ressortent de la cacophonie ambiante ?

Les locaux

Une des préoccupations majeures, tant des pouvoirs publics que des chefs d’entreprise, est l’organisation du travail dans les locaux.

Le ministère du Travail y consacre de longs développements dans son protocole de déconfinement.

  • La surface

Chaque salarié doit pouvoir bénéficier d’au moins 4 m2 pour respecter la distanciation sociale, tant avec ses collègues qu’avec les clients. Ce qui donne lieu à de savants calculs.

En effet, il faut d’abord calculer la surface résiduelle en partant de la surface totale et en y déduisant les aires de circulation, les rayonnages, les réserves, etc. Puis l’on divise la surface résiduelle par 4 m2. Et l’on aboutit ainsi au nombre de personnes qui peuvent être présentes dans les locaux, salariés ou clients.

  • Gérer les flux

L’entreprise doit éviter que ne se forment des files d’attente en étalant, par exemple, les horaires d’arrivée des salariés.

Elle doit également délimiter des zones d’attentes. Par exemple pour les clients qui ne pourraient entrer immédiatement dans un magasin.

Cependant, il est difficile d’imaginer dans des immeubles de grande hauteur l’usage de l’ascenseur par une personne unique sous prétexte de vouloir rester à plus d’un mètre d’une autre personne.

  • La désinfection

L’entreprise est également tenue de mettre en place des mesures de désinfection des éléments qui sont touchés par un grand nombre de salariés différents. Comme par exemple les tourniquets d’accès.

A cela s’ajoute bien sûr la désinfection de l’ensemble des locaux.

Equipement de protection individuelle

Toutes les directives gouvernementales incitent au port de vêtements de protection (essentiellement les masques) si les mesures de distanciation sociale ne peuvent pas être maintenues. Et l’on ne peut qu’approuver cette décision.

Les masques FFP1 ou les masques alternatifs à usage non sanitaire dits « grand public », développés dans le cadre de la pandémie de Covid-19, sont ceux qui doivent être utilisés dans l’entreprise.

Les gants ne sont sans doute qu’une fausse protection puisque la transmission du virus se ferait essentiellement par les muqueuses.

Le Gouvernement recommande même d’éviter d’en porter, considérant qu’ils sonnent un faux sentiment de protection et deviennent ainsi des vecteurs de transmission.

Faut-il former ou informer les salariés ?

Il faut informer les salariés du bon usage des équipements individuels de protection. Ceci soit par note de service, soit par voie d’affichage.

Est-il possible de sanctionner un salarié qui ne porterait pas de masque ?

Le non-respect de mesures de sécurité liées au Covid-19 peut donner lieu à des sanctions. Il serait alors indispensable de les prévoir dans une annexe au règlement intérieur.

En effet, la Cour de cassation considère qu’aucune sanction disciplinaire autre que le licenciement ne peut être prise à l’encontre d’un salarié si celle-ci n’a pas été prévue par le règlement intérieur.

Rappelons également que toute sanction doit être proportionnée à la faute. Par exemple, une simple omission, qui ne relèverait pas d’une volonté de ne pas respecter les mesures de sécurité, ne peut à mon sens conduire qu’à un rappel.

Que faire des masques usagés ?

Le ministère du Travail détaille, dans son protocole national de déconfinement, la gestion des masques usagés :

« Les déchets potentiellement souillés sont à jeter dans un double sac-poubelle, à conserver 24 heures dans un espace clos réservé à cet effet avant élimination dans la filière ordures ménagères. Lorsqu’ils sont réutilisables, leur entretien, notamment leur nettoyage selon les procédures adaptées, doit être organisé. »

Il appartient donc aux entreprises de se rapprocher de leur service interne ou externe de nettoyage pour mettre en place une collecte appropriée des masques usagés.

Les caméras thermiques et la prise de température

Les caméras thermiques permettent de relever la température des salariés à distance. Elles ont connu un engouement certain ces dernières semaines. Des entreprises notoires s’en sont équipées à grand frais.

Mais ces caméras sont-elles pour autant une solution ?

Il convient tout d’abord de rappeler qu’une grande partie des malad,es du coronavirus sont asymptomatiques et qu’ils n’ont pas de fièvre. De telle sorte que ces caméras ne peuvent déceler d’éventuels cas de coronavirus qu’à hauteur de 20 % des malades potentiels.

Une caméra thermique a donc un rôle assez limité, mais elle peut permettre de rassurer les salariés.

Par ailleurs, la Cnil ne souhaite pas que les mesures de température qui constituent des données personnelles, soient enregistrées.

Enfin, le ministère de l’Intérieur a indiqué qu’il n’entrait pas dans la mission des agents de sécurité relevant du Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité) de prendre la température des salariés entrant sur un site.

Dans son protocole de déconfinement, le ministère du Travail déconseille un contrôle de température à l’entrée des établissements/structures. Mais il explique quelques lignes plus loin la réglementation à suivre. Il est indiqué que ces mesures de prise de température « peuvent faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L.1321-5 du code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité avec communication simultanée au secrétaire du comité social et économique, ainsi qu’à l’inspection du travail ».

L’intelligence artificielle

D’autres caméras ont maintenant été développées faisant appel à des technologies d’intelligence artificielle. Elles permettent de déceler si les personnes présentes sur un site portent un masque.

Compte tenu des règles applicables à la surveillance des salariés, à celles sur la mise en place de la surveillance vidéo et aux contraintes inhérentes au respect de la vie privée, la mise en place de caméras détectant l’absence de masques n’est pas aisée, mais elle peut être utile.

Réaction face à un salarié présentant les symptômes

Il est indispensable de mettre en place des procédures pour pouvoir réagir si un salarié présente des symptômes.

Si le salarié a apparemment des signes graves comme une sensation d’étouffement, il faut appeler le Samu. En cas de soupçons plus légers, il faut lui demander de retourner chez lui et de consulter un médecin.

Il faut ensuite bien entendu organiser la désinfection du poste de travail et identifier les salariés qui ont été en contact avec leur collègue malade pour les inciter à se faire dépister.

Le droit de retrait

Question souvent soulevée par les employeurs : un salarié peut-il refuser de venir travailler en estimant que les mesures de sécurité sont insuffisantes ?

L’article L.4131-1 du code du travail prévoit qu’un salarié doit alerter immédiatement l’employeur « de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

L’employeur doit alors diligenter une enquête pour savoir si le signalement du salarié est justifié ou non.

Si, à la suite de l’enquête, l’employeur arrive à établir que le danger n’existe pas, le salarié qui a fait valoir son droit de retrait est tenu de reprendre immédiatement le travail sous peine d’être sanctionné.

Le salarié peut refuser de travailler tout en percevant son salaire si le danger est grave et imminent.

Un licenciement effectué alors qu’un droit de retrait est justifié est nul.

Thibault du Manoir de Juaye

Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, il a commencé à travailler en cabinet d’avocats en 1987 et a créé le sien en 1995. Il est ancien auditeur de l’IHESI (aujourd’hui INHESJ) et de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale Session IE). Il s’est ainsi spécialisé depuis plus d’une vingtaine d’année sur les problèmes de sécurité et de sureté de l’entreprise.
Il a écrit seul plusieurs ouvrages parmi lesquels Le droit pour dynamiser votre business publié aux Editions d’Organisation, lui a valu l’obtention du prix 2005 du meilleur ouvrage d’intelligence économique décerné par l’Académie de l’IE, le droit de l’intelligence économique aux éditions LITEC (Groupe LEXIS NEXIS) en 2007, les robes noires dans la guerre économique aux éditions du nouveau monde en 2011 et en avril 2016, le secret des affaires, à nouveau aux éditions Lexis-Nexis et co-écrit avec Sabine Marcellin.
Au sein de son cabinet, il conseille ou assiste des sociétés de sécurité privée ce qui lui permet d’avoir une connaissance approfondie du secteur et des organismes régulateurs.

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