Sécurité incendie. Désenfumage des monuments historiques : aspirations et inspiration

8 septembre 202012 min

Le 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris était la proie des flammes. Comme beaucoup de bâtiments avant elle, la cathédrale a été victime d’un feu sous la toiture. Les combles, les charpentes et les greniers sont des points faibles des édifices anciens et les feux peuvent s’y développer de manière irréversible. Le désenfumage fait partie de ces stratégies qui permettent d’enrayer le phénomène d’emballement et d’intervenir en sécurité.

Les combles, points vulnérables

La basilique Saint-Donatien de Nantes, le parlement de Bretagne, l’hôtel de ville de La Rochelle, l’hôtel Lambert à Paris. Quatre événements, quatre lieux, trois décennies mais à chaque fois des ingrédients similaires au feu survenu à Notre-Dame de Paris : un incendie dans les combles, souvent lié à des travaux et avec, à la clé, la destruction quasi complète du bâtiment.

Les toitures et les combles des monuments historiques partagent les mêmes vulnérabilités face au risque incendie : rarement accessibles au public, souvent fermés, ils sont pour ces raisons souvent négligés des études de danger qui s’intéressent d’abord à la sauvegarde du public, ensuite à la sauvegarde des œuvres. La disparition du bâtiment lui-même, en tant qu’œuvre à part entière, n’est parfois même pas envisagée. Pourtant les toitures anciennes recèlent une masse combustible importante, certes difficile à allumer, mais tout autant à éteindre.


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Les combles sont en hauteur, parfois inaccessibles à des engins classiques comme ce fut le cas à Notre-Dame de Paris. Ils peuvent être aussi encombrés de fatras divers. Les cheminements sont parfois complexes et exigus. En cas d’incendie, ils deviennent un redoutable piège pour les sauveteurs. Comme ils sont peu visités, ils abritent des utilités, cheminements de câbles ou de tuyaux, qui seraient ailleurs jugés disgracieux mais qui fournissent aussi parfois l’allumage, voire l’aliment du sinistre.

À Notre-Dame, l’alimentation électrique temporaire d’une cloche a été blâmée tout comme celle de l’ascenseur pour gagner les échafaudages. Mais aucune preuve tangible n’a pu renforcer ces hypothèses.

L’effet cocotte-minute

Lorsque le feu survient, le foyer initial se trouve alimenté par sa propre chaleur. C’est l’effet cocotte-minute: les gaz et aérosols de combustion montent jusqu’au faîte du toit, une partie se disperse sur l’ensemble de la toiture et une autre redescend vers le foyer initial. Ce mouvement de convection renforce le foyer initial en l’alimentant en chaleur, comme dans un insert. La fumée qui envahit en quelques minutes le volume rend l’approche du foyer d’autant plus périlleuse.

L’action du désenfumage

Dans ces conditions, le désenfumage vise à évacuer les gaz chauds, notamment pour permettre une approche des secours et limiter l’effet de convection.

Dans un bâtiment moderne, des ouvertures (trappes, exutoires, etc.) permettent de réaliser cette action soit de manière naturelle, soit dans certains cas de manière mécanique en poussant depuis la partie basse les gaz de combustion vers la partie haute du bâtiment.

Si ces dispositions sont prévues, c’est d’abord et avant tout pour permettre l’évacuation en bon ordre du public.

Olivier Jauneau est responsable unique de sécurité et chargé de la sécurité des spectacles vivants auprès de la présidente de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. Il rappelle que le désenfumage n’est pas obligatoire dans les toitures. Il l’est dans les escaliers protégés et les lieux recevant du public.


Le désenfumage des bâtiments historiques représente une micro-niche avec moins
d’une trentaine de projets par an en France générant des ventes comprises
entre 300 000 et 500 000 €.

Il y a pourtant un paradoxe au désenfumage. Ce qu’il permet de gagner en visibilité et en sécurité pour les secours, il le fait perdre en temps d’intervention: un feu bien ventilé brûle plus vite qu’un feu couvant. C’est donc une arme à utiliser avec intelligence et connaissance des lieux.

Le lieutenant-colonel Thierry Burger, officier de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris mis à disposition pour emploi auprès du ministère de la Culture, est conseiller technique pour les Monuments historiques, particulièrement les monuments d’État mais aussi les vingt écoles d’architectures. Il précise que généralement, « les bâtiments historiques privilégient le désenfumage naturel car il permet de ne pas dénaturer les lieux ». Ce que confirme Olivier Jauneau: « Ce sont souvent les ouvrants et les fenêtres qui servent à cet usage car les plafonds sont généralement très hauts. »

Un marché de niche

Dans le marché de niche du désenfumage sur-mesure, le désenfumage des bâtiments historiques représente une micro-niche avec moins d’une trentaine de projets par an en France générant des ventes comprises entre 300 000 et 500 000 €. « Tout dépend du volume du bâtiment et du nombre de châssis qu’il faut prévoir », précise pour sa part Gilles Fusser, directeur des ventes projets chez Souchier et Genatis.

Souvent basés sur des produits certifiés, ces produits faits main ne disposent pas toujours de marquage. Pour garantir leur pérennité dans le temps, l’entreprise a développé en complément un service de maintenance spécifique pour ces matériels qui demandent un soin particulier.

Le désenfumage s’intègre dans une stratégie plus large de sauvegarde de l’édifice. Il est d’ailleurs commandé la plupart du temps par des dispositifs électroniques comme le centralisateur de mise en sécurité.

Associer le compartimentage

Si le désenfumage a bien été pris en compte dans le plan de mise en sécurité des cathédrales de novembre 2019 établi à la suite de l’incendie de Notre-Dame, il n’est pas forcément le point principal relève Thierry Burger : « Il faut s’assurer d’abord que les règles techniques sont bien respectées et vérifier notamment que les aspects organisationnels sont bien pris en compte. »

Dans de nombreux cas, selon lui, la stratégie choisie ne relève pas d’un désenfumage au sens réglementaire du terme mais plutôt d’une approche « pragmatique » et, dans tous les cas, il faut l’associer au compartimentage.


Souvent basés sur des produits certifiés, ces produits spécifiques sont faits main et demandent une maintenance particulière.

Et de citer l’exemple du monastère de la Grande Chartreuse près de Grenoble.

Cinq hectares d’emprise dont quatre de toiture avec la présence de grands volumes de combles, non recoupés de surcroît, communiquant souvent avec ceux des bâtiments contigus.

Plusieurs fois des feux de combles se sont produits. Ces lieux ne reçoivent pas de public mais le désenfumage et le compartimentage ont fait partie des recommandations émises à l’occasion des travaux de restauration des couvertures, avec toutes les problématiques que cela peut poser.

« Car le compartimentage peut avoir des conséquences sur le plan structurel. Par exemple pour les cathédrales, les voûtes sont assez fragiles et le compartimentage risque d’alourdir les structures et de répercuter la charge sur le bâtiment. Sans compter qu’on a parfois des ventilations naturelles sur des charpentes séculaires comme à Notre-Dame qui, compartimentées, peuvent conduire à des désordres sanitaires. »

Ainsi au cours de réaffectations, des pièces ont pu devenir impropres. « On a pu s’apercevoir parfois trop tard que les aménagements décidés avaient perturbé les conditions de ventilation réfléchies et pensées il y a plusieurs siècles. »

Champignons, insectes ou autres désordres peuvent alors survenir. « Il reste très délicat d’intervenir sur des bâtiments anciens », précise Thierry Burger.


« On a bien fait le travail quand il ne se voit pas, qu’il est invisible,
qu’il se confond et respecte l’architecture d’époque »


Un avis que partage Olivier Jauneau. « Prenons les appartements du roi à Versailles, s’il faut démonter une mosaïque de marbre, aucune entreprise ne peut vous garantir qu’une fois déposée, elle pourra être parfaitement remontée. »

Bien évidemment, intervenir dans ces bâtiments nécessite un savoirfaire que met en avant Gilles Fusser. Tous les croquis et les plans sont d’abord visés par l’architecte des bâtiments de France. « On part sur la base de produits certifiés qu’on adapte. »

Dans ce travail de « haute couture », l’essentiel n’est pas toujours le prix. « On a bien fait le travail quand il ne se voit pas, qu’il est invisible, qu’il se confond et respecte l’architecture d’époque », précise-t-il.

Du fait des faibles volumes et du savoir-faire nécessaire, il y a peu de concurrence sur ce marché où les projets se concentrent autour de Paris avec quelques unités seulement en province lorsque des anciens bâtiments sont convertis en salle de réception ou en musées.

Des aménagements spéciaux dans les toitures

Pour Thierry Burger, le désenfumage des toitures « a du sens si on peut permettre aux sapeurs-pompiers d’intervenir soit par les communications existantes, soit par l’extérieur par des sortes de trouées par lesquelles ils peuvent accéder aux combles. »

En fonction du sinistre, du tirage, du sens des fumées, un seul accès limite l’intervention. C’est pourquoi, l’une des stratégies consiste à multiplier les points d’accès (« au moins deux, voire trois ») pour permettre une intervention en toute sécurité.

Engagé dans le schéma directeur de sécurisation incendie du château de Versailles, Olivier Jauneau connaît bien ce problème et l’a traité depuis plus de 10 ans. « Nous avons mis au point ce qu’on appelle des “points de fragilité” ».

Ils permettent aux pompiers de créer des amenées d’air frais directement dans la toiture. Le plomb a été façonné pour permettre de découper facilement des trappes. Chaque trappe est immatriculée (au-dessus et en dessous) et est repérée notamment avec des éléments rétro-réfléchissants. « La structure est faite de manière à ce qu’il n’y ait que 4 cm à découper et aucun autre obstacle tel que des poutres ou des traverses. Ce sont des points de désenfumage mais également d’extraction pour le secours par exemple. »


« 98 % des salles sont sous détection incendie.
On diminue le risque en étant plus précoce »


Pour Olivier Jauneau comme pour Thierry Burger, ces aménagements ne suffisent pas en eux-mêmes. Il faut nécessairement associer du compartimentage. « Les combles sont compartimentés, y compris ceux de la galerie des glaces où il a fallu faire appel à des cordistes spécialisés. À Versailles, on traite le désenfumage de manière très particulière, ce ne sont pas des organes de désenfumage classiques, pas forcément visibles, pas forcément existants. Nous sommes beaucoup plus sur la notion que sur la réglementation. Ça reste aléatoire. »

Détecter l’incendie

Le directeur sécurité préfère insister sur la détection incendie. « 98 % des salles sont sous détection incendie, se félicite-t-il. On diminue le risque en étant plus précoce. L’humain peut être défaillant c’est pourquoi nous avons associé beaucoup de technologies, y compris lors des travaux avec des systèmes de détections temporaires d’incendie, des rondes régulières et nous avons aussi prévu en plus des contrôles avec des caméras thermiques. »

Pour le préventionniste, Notre-Dame n’a pas été le catalyseur. Pour lui c’est plutôt l’incendie de la Cité des Sciences en octobre 2015, à la veille de sa réouverture.

Même impression au niveau du ministère de la Culture. Certes, Notre-Dame a été regardée de près, mais c’est l’incendie du Parlement de Bretagne dans la nuit du 4 au 5 février 1994, qui avait conduit le ministère à se doter d’un deuxième conseilleur technique (le premier était en charge des musées). Depuis cette date, des visites des cathédrales sont faites sur un rythme quinquennal. Elles vont au-delà des visites des commissions de sécurité avec une vision beaucoup plus large puisqu’elle inclut la sauvegarde des œuvres.

Du sur-mesure

S’agissant des combles, Thierry Burger commente: « Il s’agit d’abord de réunir un ensemble d’acteurs et d’interlocuteurs pour trouver ensemble une solution qui ne sera pas forcément réglementaire – puisque ce n’est pas imposé. C’est vraiment de la dentelle, du sur-mesure. On s’inspire des règles ERP pour faire du compartimentage et du désenfumage, en termes de surface utile par exemple, tout en recherchant la solution qui soit adaptée aux contraintes de l’édifice. Il faut faire preuve d’imagination et être novateur, mais l’approche est d’abord opérationnelle. »


« Chaque édifice a ses problématiques et est unique.
Il faut éviter les solutions stéréotypées »


Car là encore, pour Thierry Burger, le désenfumage n’est pas systématique. « Dans certains cas, on peut même réfléchir à de l’extinction automatique. Tout est toujours lié et il faut appréhender le bâtiment de manière très large : les cathédrales sont souvent enclavées dans un tissu urbain. Qu’en est-il du rayonnement en cas d’incendie ? On a vu la chaleur dégagée à Paris menaçant des habitations situées en vis-à-vis côté nord de la cathédrale. Les engins pouvaient accéder au parvis, mais ce n’est pas toujours le cas. De plus, des anciens caveaux ou souterrains peuvent fragiliser les abords et interdire l’accès aux façades. »

« Chaque édifice a ses problématiques et est unique, conclut-il. Il faut se garder de tout dogmatisme et éviter les solutions stéréotypées qui seraient imposées sans appropriation des Sdis. »

Dans les cathédrales comme dans les monuments historiques, il n’y a pas encore de solutions miracles.

David Kapp
Journaliste

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