Interview. « Le bois est combustible, c’est donc un matériau de construction particulier »

7 novembre 20239 min

De nombreux acteurs attendent avec impatience la future réglementation incendie concernant la construction bois dans les ERP. Les sapeurs-pompiers en font partie. Le point avec le lieutenant-colonel Pierre Prévost, chef du groupement prévention du Sdis59 et membre de la commission Prévention de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, qui participe au groupe du travail sur la révision du règlement de sécurité incendie des ERP.

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Pourquoi l’usage du bois dans la construction est-il un sujet si sensible en matière de sécurité incendie ?

Pierre Prévost. L’usage du bois n’est pas quelque chose de fondamentalement nouveau. Historiquement on a toujours construit un peu en bois, avec des limites à la construction qui ne sont pas nouvelles. Je pense par exemple à l’ordonnance royale de 1667, qui prescrit une protection en plâtre de certains éléments en bois, dans le contexte du grand incendie de Londres en 1666. Aujourd’hui, il est courant de construire des salles de sport par exemple avec structure apparente en lamellé collé et des habitats individuels. Ce qui a changé, particulièrement depuis la loi relative à la transition écologique (2015), c’est qu’on a commencé à croiser le bois dans des projets de plus grande ampleur : des parcs de stationnement aériens, des immeubles d’habitation de 3e ou 4e familles, potentiellement des IGH et toutes sortes d’ERP, avec une volonté de laisser le bois apparent. Les projets se sont généralisés, notamment avec l’arrivée de la RE2020 qui contraint la construction en matière d’écologie.

Or, même si le bois a de bonnes qualités de réaction et de résistance au feu – il « s’autoprotège » par carbonisation –, il reste combustible. C’est donc un matériau de construction particulier. Il faut prendre en compte sa participation dans le développement d’un incendie.

Et la réglementation actuelle ne le fait pas ?

P. P. Le règlement de sécurité pour les ERP – mais cela vaut aussi pour la réglementation concernant les bâtiments d’habitation, les IGH et les bâtiments à usage professionnel – n’a pas été fait pour des bâtiments à structures combustibles. On ne peut donc pas atteindre avec certitude les objectifs sous-jacents du règlement, et notamment des conditions d’évacuation différée et d’intervention pour les secours acceptables pour les ERP, l’habitation et les bâtiments à usage professionnel et l’effondrement impossible pour les IGH.

Par ailleurs, les essais existants notamment en matière de résistance au feu sont faits pour du béton ou de l’acier. On suit une courbe normalisée d’incendie, la courbe ISO 834, pour évaluer la résistance au feu du produit testé. Or cette courbe est faite pour des matériaux incombustibles. Si on veut tester un poteau en bois porteur par exemple, il faudra éteindre régulièrement le four pour suivre la courbe ISO 834. Ce n’est donc pas représentatif d’un feu réel. Enfin, les conditions de mise en œuvre d’un chantier et l’usage d’un bâtiment sont deux choses à prendre en compte, et plutôt défavorables pour le bois au vu de la finesse nécessaire dans sa mise en œuvre.

La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, comme beaucoup d’acteurs, souhaite une résistance au feu intrinsèque (résistance du bois à nu) minimale, complétée par une protection.

Lieutenant-colonel Pierre Prévost
Chef du groupement prévention du Sdis59 et membre de la commission Prévention de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France

Lieutenant-colonel Pierre Prévost

En quel sens ?

P.P. Il est possible de protéger le bois par une protection passive rapportée : on parle d’encapsulage, avec du plâtre en général. Il faut absolument chasser les vides de construction et il faut que la pose soit faite dans les règles de l’art. Car s’il y a une faiblesse, le feu va passer. Une fois que le feu sera dans le bois, on ne le verra pas forcément, et il sera difficile d’y accéder.

Il y a aussi la question de l’usage par les occupants, qui vont venir éventuellement détériorer la protection passive pour accrocher quelque chose ou enlever le plâtre pour laisser le bois apparent. Il y a un véritable problème de contrôle chantier/après-chantier. Sachant que pour l’évacuation et l’intervention, le maintien des protections est essentiel. Beaucoup de retours d’expérience montrent que les interventions sur des feux de bâtiments à structures combustibles nécessitent beaucoup de moyens humains car les conditions d’intervention sont extrêmement éprouvantes. Tous les départements n’auront pas forcément des moyens suffisants dans un délai court.

Quelles sont les demandes de la FNSPF sur le sujet ?

P. P. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, comme beaucoup d’acteurs, souhaite une résistance au feu intrinsèque (résistance du bois à nu) minimale, complétée par une protection. C’est la position que nous avons défendue dans le groupe de travail interministériel sur la révision du règlement de sécurité auquel je participe.

Par ailleurs, nous pensons qu’il est nécessaire de raisonner comme le fait la préfecture de police de Paris avec sa doctrine publiée en juillet 2021, à savoir en termes de bâtiments à structures combustibles, quel que soit l’usage. C’est le bois, apparent ou non, et la hauteur qui vont conditionner les mesures plus ou moins contraignantes (encapsulage, sprinkleur…). Cela permet de penser réversibilité et multi-usages.

Il faut aussi sanctuariser les cheminements d’évacuation et d’intervention au moyen de matériaux non combustibles, renforcer la défense extérieure contre l’incendie durant la phase chantier ainsi que les conditions d’isolement par rapport aux tiers. Ces exigences existent dans la doctrine LCPP/BSPP.

Où en est le groupe de travail interministériel sur la révision du règlement de sécurité?

P. P. Le groupe, très dynamique et transparent, se réunit régulièrement les jeudis depuis plusieurs mois pour traiter des ERP du premier groupe (modification des articles CO et AM). Le sujet est complexe et on sent le BPRI pris en étau entre les services de secours qui demandent une résistance au feu intrinsèque et la limitation du bois apparent, et la filière bois qui considère que c’est un matériau comme un autre qui ne nécessite donc pas de contrainte supplémentaire. C’est complexe de traduire réglementairement un sujet technique quand on ne veut pas le traiter de manière différenciée. Attention, cela ne veut pas dire le « maltraiter ». Il faut reconnaître cette différence pour retrouver un niveau d’égalité entre les matériaux. Les services de secours ne sont pas contre le bois. Nous connaissons ses qualités mais aussi ses défauts, et il s’agit là de traiter ces derniers.

L’objectif du ministère était d’obtenir un juste milieu, ce qui semble être le cas. Il a fallu vraiment batailler pour obtenir cette résistance au feu intrinsèque qui, au final, ne devrait pas être écrite précisément, mais sous-entendue par une exigence de bois massif avec des qualités de résistance au feu minimale, qui semble déjà insuffisante au regard de l’existence de structures combustibles qui ne sont pas en bois (matériaux composites). Je crains cependant que l’on s’oriente vers des solutions qui ne seront pas satisfaisantes car trop techniques et donc difficilement compréhensibles, ou impossibles à mettre en œuvre.

Lieutenant-colonel Pierre Prévost

Quelle que soit l’issue donnée aux textes en préparation, je reste à titre personnel convaincu qu’une réglementation spécifique “bâtiments à structures combustibles”, quel que soit l’usage, est la voie la plus pertinente techniquement.

Lieutenant-colonel Pierre Prévost
Chef du groupement prévention du Sdis59 et membre de la commission Prévention de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France

En attendant cette réglementation, les projets se multiplient. Comment faites-vous ?

P. P. On s’appuie sur la doctrine LCPP/BSPP – c’est notre référence dans le département du Nord – mais ensuite les particularités du projet arrivent et l’on évalue ce que l’on peut autoriser ou non. Le sujet reste compliqué, sachant que les niveaux d’expertise ne sont pas les mêmes selon les départements. Nous craignons parfois de rater quelque chose et allons souvent bien entendu dans le sens de la sécurité afin d’éviter un sinistre important, mais cela nous dérange aussi de contraindre un projet qui ne le mériterait peut-être pas si on avait ce cadre réglementaire.

Dans notre département, les pétitionnaires viennent quasiment systématiquement nous consulter, suite à une obligation émanant du préfet du Nord de le faire pour tout projet à structures combustibles de plus de 8 mètres de haut, quelle que soit sa destination. On arrive à appliquer peu ou prou la doctrine parisienne, avec parfois des semi-abandons. On est aujourd’hui souvent sur des planchers mixte béton/bois avec système de « poteaux-poutres », un encapsulage, un peu pénalisant au niveau carbone et parfois des solutions de sprinkleurs.

Un dernier message ?

P. P. Quelle que soit l’issue donnée aux textes en préparation, je reste à titre personnel convaincu qu’une réglementation spécifique « bâtiments à structures combustibles », quel que soit l’usage, est la voie la plus pertinente techniquement. On construit avant tout en bois, l’activité est dans ce cas moins « dimensionnante » en matière de sécurité incendie. Mais le travail interministériel semble malheureusement toujours complexe à mener.

En l’absence de règlement englobant tous les champs d’activités des bâtiments à structures combustibles, les porteurs de projets subiront toujours des interprétations variables sur le territoire, particulièrement nombreuses depuis la disparition de la Commission centrale de sécurité.

Enfin, ne pas réglementer certaines constructions, et notamment les habitations collectives de la 2e famille, pourrait mener à des sinistres dramatiques et, en réaction, à des contraintes encore plus fortes, à l’instar du traitement actuel des façades suite à l’incendie de Grenfell.


Article extrait du n° 597 de Face au Risque : « Construction bois et sécurité incendie » (novembre 2023).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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