Reconnaissance faciale, une technologie déjà oubliée ?
Alternatives. À défaut de reconnaissance faciale, d’autres technologies font leur apparition sur le marché. Détection d’attributs de physionomie générale, recherche par similitudes, virtualisation des données… Outre le fait d’être des technologies basées sur la vidéo, toutes ont comme point commun d’embarquer de l’intelligence artificielle.
Reconnaissance faciale, les rares cas d’usage
Bien que très fortement limitée, la reconnaissance faciale reste utilisable dans de très rares cas d’usage. Responsable d’équipe grands comptes et projets chez Hikvision, fabricants de solutions IoT et des systèmes de sécurité vidéo, Laurent Scetbon fait le point sur le sujet.
« En France, ce n’est pas complètement interdit. C’est autorisé dans deux cas particuliers : pour les postes de contrôle aux frontières (dans les aéroports notamment) et à l’entrée des casinos de jeux, pour les interdits de jeu. Ce sont les deux seules autorisations que la Cnil remet plus ou moins régulièrement », nous confie l’intéressé.
« Le problème ce n’est pas la technologie, qui est très avancée. Technologiquement, c’est très au point. »
Laurent Scetbon, responsable d’équipe grands comptes et projets chez Hikvision.
Malgré ces restrictions, cette technologie semble pourtant au point sur le plan technique. « Le problème ce n’est pas la technologie, qui est très avancée. Technologiquement, c’est très au point », assure notre interlocuteur avant de nous expliquer le mode de fonctionnement de la reconnaissance faciale.
« On a deux technologies : une basée sur la vidéosurveillance pure et une sur la vidéosurveillance augmentée, dans le cadre du contrôle d’accès. On va faire comme avec les smartphones : de la stéréoscopie et de la gestion du volume du visage, pour reconstituer le visage en 3D et éviter qu’une photo mise devant le terminal permette de faire croire qu’il y a un individu devant. »
Un cap franchi dans certains pays européens
Contrairement à la France, plusieurs pays ont d’ores et déjà franchi le cap. « Il y a des pays, même en Europe, qui acceptent la reconnaissance faciale, sous couvert du RGPD, dans lequel les données sont sécurisées avec des mots de passe complexes, voire doubles mots de passe, dans des bases de données non-cloud mais en local, avec une traçabilité particulière. En Espagne ou dans d’autres pays d’Europe, on a le droit – dans des conditions restrictives – de déployer la reconnaissance faciale, » prétend Laurent Scetbon.
Recherches et option de confort
Dans les pays où elle est déployée, la reconnaissance faciale possède diverses utilisations. « C’est utilisé notamment en milieu urbain pour la recherche de personnes criminelles. Cela peut aussi être utilisé pour de la biométrie dans des sociétés privées, dans lesquelles des consultations et des demandes sont faites auprès du personnel, via le comité d’entreprise ou l’équivalent, précise- t-il. Ils demandent au personnel s’il accepte la biométrie non restrictive, c’est-à-dire la biométrie sans badge. Dans des laboratoires pharmaceutiques, il y a des terminaux de reconnaissance faciale, pour éviter de toucher ou contaminer quelque chose, ou lorsque l’on a les mains sales. Ce n’est pas systématisé, mais c’est une option de confort qui est proposée pour permettre une avancée technologique dans des lieux de haute sécurité ».
Même en milieu privé, le RGPD doit être respecté. « Il faut bien entendu un dossier conforme au RGPD : les données doivent être sous clé, il faut repérer qui a accès et qui n’y a pas accès, ne pas permettre l’extraction de dossier de visages… Ce sont des choses restrictives qui sont dans les fonctionnalités de nos produits. »
« Un sujet au point mort »
Reste que, comme Hikvision nous l’expliquait dans le numéro 572 de Face au Risque (mai 2021) « Vidéosurveillance, les nouveaux usages », cette technologie est pour le moment à l’arrêt en France.
« À moins que la Cnil ne propose quelque chose, la reconnaissance faciale est un sujet qui est pour l’instant complètement au point mort. Mais il peut toujours y avoir des rebondissements et des surprises… », réitère Laurent Scetbon. Au printemps 2021, le groupe déclarait ainsi avoir misé sur la détection d’attributs de physionomie générale. Une technologie « RGPD compatible » car n’intégrant aucune donnée biométrique.
L’intelligence artificielle, source d’alternatives
Dans le même style que la détection d’attributs de physionomie générale, on retrouve également les recherches par similitudes.
« La contrainte RGPD, c’est de ne pas associer quoi que ce soit à une personne. On utilise donc le terme de similitude. Plutôt que de chercher un visage, on va chercher un élément qui est commun sur un certain nombre de vidéos pour faire la recherche d’une personne en particulier. On peut aussi le faire pour la recherche d’un véhicule par exemple », nous explique Remy Deutschler, country manager France pour Milestone Systems, fournisseur de logiciels de gestion de vidéo sur VMS.
Afin de rendre cette intelligence artificielle performante, qu’importe son cadre d’application final, reconnaissance faciale ou non, il est nécessaire de l’entraîner.
« Il faut nourrir cet outil de données. Il faut qu’il s’entraîne sans cesse et qu’il se retrouve face à des situations diverses et variées pour que, le jour où il se retrouve dans une situation réelle, il soit aussi efficace que possible, y compris dans des situations que l’on n’aurait pas pu imaginer », ajoute le représentant de Milestone Systems. Et dans un pays aussi réglementé que la France, difficile d’alimenter de manière optimale ces algorithmes d’intelligence artificielle.
« En France, et de manière générale dans les pays de l’ouest de l’Europe, les contraintes sont tellement fortes dans le domaine public que cela a un effet de dissuasion. À comparer à la Chine, Israël ou même certains autres pays du continent européen, où il n’y a pas de contrainte quant à l’anonymisation des données. Ils récupèrent les données quelles qu’elles soient sur le domaine public et s’en servent pour entraîner leurs algorithmes dans les logiciels d’intelligence artificielle », poursuit notre interlocuteur.
Virtualisation et floutage
Face à cette limite, Milestone Systems opte depuis quelque temps pour la « virtualisation des données ».
« L’objectif est de partir de vidéos publiques et de les anonymiser complètement. Cela reste des données exploitables pour entraîner les algorithmes. On est toujours en capacité de dire s’il s’agit d’un objet, d’un véhicule ou d’une personne… sauf que l’on n’a plus la couleur du véhicule, sa plaque ou le faciès de la personne. On utilise la donnée publique, on la transforme en virtuelle. Et à partir de ce virtuel-là, qui correspond quand même à des mises en situations réelles, on va pouvoir entraîner notre algorithme. »
Le champ des possibles quant à cette virtualisation reste infini d’après Remy Deutschler : « Maintenant, est-ce que derrière cette virtualisation il y a d’autres applicatifs qui peuvent en sortir… Très certainement, mais on ne sait pas lesquels aujourd’hui. Il y a tellement de cas d’usage qui sont possibles, avec la vidéo d’une manière générale et sans parler de virtualisation, que cela pourrait très bien servir dans le domaine industriel sur un site de production en virtualisant les images d’une usine ».
« Avec les technologies que l’on a à disposition aujourd’hui, on peut tout imaginer. Mais l’objectif est que tout devienne complètement anonyme. »
Rémy Deutschler, country manager France pour Milestone Systems.
À noter que le groupe a également développé des technologies de floutage des images afin de maintenir cette politique d’anonymisation. « Avec les technologies que l’on a à disposition aujourd’hui, on peut tout imaginer. Mais l’objectif est que tout devienne complètement anonyme, qu’il n’y ait pas d’association qui soit faite entre une image et un nom ou une personne », rappelle-t-il.
Des limites à lever sur l’intelligence artificielle
S’il reconnaît volontiers que la position réglementaire en France sur la reconnaissance faciale peut être un frein pour développer certaines affaires, Remy Deutschler préfère néanmoins rester prudent sur ces questions.
« C’est intéressant qu’il y ait des organismes comme la Cnil avec des garde-fous et des contrôles. Il faut toujours essayer de trouver le juste milieu… Le problème, c’est que nous n’avons pas tous la même idée du “juste milieu”. On sait qu’il y a des technologies disponibles qui pourraient faciliter la tâche des opérateurs, voire être un confort pour les citoyens dans certains cas, mais il y a des contraintes réglementaires qui font qu’on ne peut pas s’en servir. Cela évolue petit à petit. La mentalité des gens aussi évolue », conclut-il.
Article extrait du n° 584 de Face au Risque : « Reconnaissance faciale » (juillet-août 2022).
Eitel Mabouong – Journaliste
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