Sécurité globale. Le « discontinuum » de sécurité

6 juillet 20218 min

Dans ses aspects relatifs à la sécurité privée, comment qualifier la loi sur la sécurité globale : pétard mouillé ? Espoir déçu ? En effet, les professionnels de la sécurité privée avaient espéré un texte plus complet. La loi comporte en revanche de nombreuses dispositions concernant les polices municipales ou intéressant les forces de l’ordre.

Article extrait du n° 573 de Face au Risque : « ERP et Covid-19 : l’impact sur la sécurité – sûreté » (juin 2021).

L’adoption de la loi

À la genèse de la loi sur la sécurité globale, il y a la proximité de la Coupe du monde de rugby en 2023 et, surtout, les Jeux olympiques de 2024. La France veut en effet éviter le fiasco qui s’est produit à Londres en 2012 : à dix jours de leur ouverture, le dispositif de sécurité était remis en cause.

Deux députés avaient été mandatés pour rédiger un rapport sur la sécurité privée : Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue. Ce rapport a finalement été déposé en novembre 2018 et était très proche des aspirations des entreprises.

Dans le prolongement de leur rapport, ces deux députés ont déposé en janvier 2020 une proposition de loi comportant de nombreuses suggestions novatrices.

Coup de théâtre, en octobre 2020, ils retirent leur proposition de loi initiale pour déposer un nouveau texte très édulcoré par rapport au précédent, sous l’influence du Gouvernement dit-on. Cette proposition de loi est soumise au Parlement selon la procédure accélérée qui réduit les débats et discussions. Elle est alors connue du grand public au travers de son article 24 qui, dans un premier temps, interdisait de filmer les forces de l’ordre en action. On se souvient des manifestations nombreuses qui ont conduit à une réécriture de cet article 24.

Après un passage en commission mixte paritaire qui a gommé les différences entre l’Assemblée nationale et le Sénat, cette proposition de loi a finalement été adoptée le 15 avril 2021.

La loi est soumise pour certaines de ses dispositions à la censure du Conseil constitutionnel qui devrait rendre sa décision dans le courant du mois de mai. Son texte est donc encore susceptible d’évoluer.

Petite « réformette » pour la sécurité privée

Les dispositions concernant la sécurité privée relèvent d’une petite « réformette » à tel point que le Groupement des entreprises de sécurité, connu sous son acronyme GES, a protesté contre le texte.

Quelles sont alors les principales dispositions concernant la sécurité privée ?

Réglementation de la sous-traitance  

Il y a tout d’abord une réglementation de la sous-traitance, avec la création d’un article L.612‑5‑1 du code de la sécurité intérieure dont les dispositions sont bien au-deçà de ce qu’espéraient les professionnels.

Tout d’abord, la sous-traitance en cascade est limitée à deux niveaux, c’est-à-dire que le sous-traitant peut sous-traiter ses prestations à une entreprise qui ne peut elle-même sous-traiter.

Ensuite, la sous-traitance ne peut pas porter sur la totalité du marché. Ainsi, le sous-traitant – ou l’entrepreneur principal qui voudrait sous-traiter – doit justifier de l’absence d’un savoir‑faire particulier, du manque de moyens ou de capacités techniques ou d’une insuffisance ponctuelle d’effectifs.

Préalablement à l’acceptation du sous‑traitant dans les conditions prévues à l’article 3 de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 précitée, le donneur d’ordres s’assure que les motifs de recours à la sous‑traitance ont été validés par l’entrepreneur principal ayant contracté avec lui.

Ces nouvelles dispositions entrent en vigueur douze mois après la publication de la loi. Les contrats conclus avant cette date ne sont donc pas soumis à ces dispositions.

La sous-traitance en cascade est limitée à deux niveaux : le sous-traitant peut sous-traiter ses prestations à une entreprise qui ne peut pas elle-même sous-traiter. 

Création d’un pilori moderne

Sauf si la Commission locale d’agrément et de contrôle (Clac), territorialement compétente, en décide autrement, la sanction consistant en une interdiction temporaire d’exercer est publiée sur le site internet du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). La durée de la publication est également définie dans la décision. Les décisions des Clac sont exécutoires de plein droit, même en cas de recours préalable devant le Cnaps ou de saisine des tribunaux. Si la décision d’interdiction temporaire est annulée à la suite, rien n’est prévu pour réparer les conséquences d’une publication qui n’aurait pas lieu d’être. Et même s’il existe des recours dans le droit commun, la réparation sera difficile.

Élargissement du champ d’application de la réglementation de la sécurité privée

La profession avait espéré que certaines professions proches de la sécurité privée soient soumises également au livre VI du code de la sécurité intérieure. Assez habilement, il a été prévu (est-ce une manière de botter en touche ?) que, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport examinant l’opportunité de réglementer certaines activités au titre du livre VI du code de la sécurité intérieure. L’objectif est de contrôler la moralité et l’aptitude professionnelle des personnes qui les exercent, en particulier :

  • la conception, l’installation et la maintenance des dispositifs de sécurité électronique ;
  • la fourniture de services de conseil dans les domaines de la sécurité et de la sûreté ;
  • la fourniture de services de sécurité à l’étranger ;
  • la sécurité incendie (nouveau).

La loi décide également que les dirigeants d’un établissement secondaire d’une entreprise de sécurité doivent être titulaires d’un agrément comme c’est le cas pour les dirigeants de ces sociétés.

Reste en suspens le statut des différents personnels qui ne participent pas directement à des missions de sécurité et qui ne relèvent donc pas des dispositions de l’article L.611-1 du code de la sécurité intérieure. Le Cnaps soutient régulièrement que tout le personnel d’une entreprise de sécurité doit être titulaire d’une carte professionnelle ou d’un agrément. Mais cette position est fortement contestée. Il est dommage que la loi n’ait pas éclairci ce point.

Les dirigeants des services internes de sécurité de l’entreprise doivent être désormais titulaires d’un agrément, comme les dirigeants des entreprises de sécurité.

Par ailleurs, le statut des agents de sécurité est en partie modifié sur plusieurs points dont la suppression de l’agrément pour les palpations de sécurité.

Les dirigeants des services internes de sécurité de l’entreprise doivent être désormais titulaires d’un agrément, comme les dirigeants des entreprises de sécurité. 

Vers une réforme du Cnaps ?

Enfin, le Gouvernement est autorisé par ordonnance à réformer le Cnaps qui est donc l’organe administratif qui régule la profession. Cette disposition est la réponse à un rapport de la Cour des comptes remontant à 2018 qui avait énergiquement critiqué le Cnaps. En effet, les praticiens ne peuvent que regretter les dysfonctionnements qu’ils constatent et espérer que la future réforme mette fin à des situations inacceptables.

Comme son nom l’indique, cette loi voulait englober tous les aspects de la sécurité. Mais force est de constater que ses dispositions, à de rares exceptions près, concernent surtout la sécurité publique et les forces de l’ordre.

Si le Gouvernement maintient sa position et continue à ignorer les aspirations des professionnels de la sécurité privée, il faudra parler désormais de « discontinuum » de sécurité.

Il faut néanmoins espérer que la sagesse l’emportera, notamment à l’approche des JO, et que le Parlement entérinera des réformes permettant notamment l’usage de technologies, tout en assurant la protection des droits du citoyen.

Le Premier ministre a d’ailleurs nommé un parlementaire, le 21 avril 2021 pour rédiger un rapport sur l’utilisation des technologies de sécurité et leur acceptabilité par la population. Est-ce déjà les prémices d’un complément et d’une réforme de la loi sur la sécurité globale ?

Thibault du Manoir de Juaye

Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, il a commencé à travailler en cabinet d’avocats en 1987 et a créé le sien en 1995. Il est ancien auditeur de l’IHESI (aujourd’hui INHESJ) et de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale Session IE). Il s’est ainsi spécialisé depuis plus d’une vingtaine d’année sur les problèmes de sécurité et de sureté de l’entreprise.
Il a écrit seul plusieurs ouvrages parmi lesquels Le droit pour dynamiser votre business publié aux Editions d’Organisation, lui a valu l’obtention du prix 2005 du meilleur ouvrage d’intelligence économique décerné par l’Académie de l’IE, le droit de l’intelligence économique aux éditions LITEC (Groupe LEXIS NEXIS) en 2007, les robes noires dans la guerre économique aux éditions du nouveau monde en 2011 et en avril 2016, le secret des affaires, à nouveau aux éditions Lexis-Nexis et co-écrit avec Sabine Marcellin.
Au sein de son cabinet, il conseille ou assiste des sociétés de sécurité privée ce qui lui permet d’avoir une connaissance approfondie du secteur et des organismes régulateurs.

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