Télétravail : une nécessaire évolution des pratiques ?

11 septembre 20208 min

Le confinement imposé par la pandémie de Covid-19 a contraint 25 % des actifs à recourir au télétravail. La grande majorité de ces travailleurs et des directions des entreprises souhaitent poursuivre ce mode de fonctionnement de façon régulière ou ponctuelle, ce qui implique de mettre en place une nouvelle organisation.

Télétravail et confinement

Le 17 mars 2020, la totalité de la population française se retrouve confinée en application du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 et de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020. Il s’agit alors de faire face à l’épidémie de Covid-19 en interdisant les déplacements hors du domicile, à l’exception des déplacements pour les motifs définis. Dans le cadre de plans de continuité, les entreprises sont dans l’obligation d’organiser le télétravail de leurs collaborateurs.

Cette situation inédite est une forme de télétravail contraint et non formalisé. Le ministère du Travail estime qu’un quart des actifs a été concerné.

Ce télétravail massif questionne sur la mise en œuvre d’une nouvelle relation managériale au sein des entreprises. Les services RH ont été largement sollicités. Et ils se sont mobilisés afin d’assurer une continuité de service et de production.

Télétravail post-Covid

Le 11 mai 2020, le déconfinement n’a pas sonné la fin de la période de télétravail. Certains collaborateurs ont continué de travailler à domicile. La période «d’après» se présente dès lors comme un défi organisationnel pour les entreprises. Un enjeu d’agilité et d’adaptabilité, avec la nécessité de préserver la santé physique et mentale des télétravailleurs et un climat social favorable. Car le télétravail contraint, non anticipé est peut-être une forme de télétravail dégradé.

L’étude de perception CSA pour Malakoff-Humanis réalisée en avril 2020 montre que 33 % des télétravailleurs estiment que ce contexte particulier de télétravail a un impact négatif sur leur charge de travail. Un tiers d’entre eux estiment que leur santé psychologique s’est dégradée. Et un quart des télétravailleurs confinés déclarent que leur santé physique s’est également détériorée.

Une enquête CGT réalisée le 4 mai 2020 sur 34 000 salariés, relative aux conditions de travail et d’exercice de la responsabilité professionnelle durant le confinement, fait ressortir « un télétravail mis en place en mode dégradé » qui conduit à une augmentation du temps et de la charge de travail, notamment pour 40 % des encadrants. Autant de facteurs qui contribuent à générer d’importants risques psychosociaux.

De nouvelles pratiques managériales

Le sondage Malakoff-Humanis de mai 2020 révèle que 84 % des télétravailleurs ont manifesté leur souhait de pratiquer le télétravail après le confinement, de manière régulière (pour 44 %) ou ponctuelle (40 %).

Et selon une étude réalisée par l’ANDRH (Association nationale des DRH) en sortie de confinement, 85 % des DRH interrogés considèrent souhaitable de développer de manière pérenne le télétravail dans leur organisation. 99 % considèrent que les pratiques managériales seront bouleversées. Un quart d’entre eux indiquent avoir développé de nouveaux modes de travail (Agile, Lean…).

Il n’est cependant pas envisageable de reproduire l’organisation du travail à distance comme une organisation classique. Le rôle des managers est primordial.

La relation managériale va tendre vers davantage d’autonomie avec une contrepartie en matière d’obligations de résultat, de responsabilisation. Il s’agira par exemple, de déléguer, de veiller à ne pas multiplier les réunions inutiles, à communiquer clairement sur l’organisation, la stratégie et le fonctionnement de l’entreprise. Le manager devra être en mesure de lâcher prise et de faire confiance. Grâce à une communication constructive, une transparence renforcée, un dialogue adapté, la relation managériale sera profondément enrichie.

Les risques psychosociaux

Les services RH ont agi dans l’urgence pour gérer des collaborateurs à distance. Certaines entreprises n’avaient jamais expérimenté le télétravail. La question des risques psychosociaux en sortie de confinement est pertinente. En effet, malgré des bénéfices reconnus (diminution des temps de trajet, meilleure concentration, autonomie…), le télétravail subi en période de confinement, exercé dans un cadre contraignant (à domicile dans un espace parfois réduit et sans espace dédié, avec parfois un conjoint en télétravail et des enfants) peut présenter des risques.

Cette forme de travail dégradé peut engendrer isolement, stress, hyperconnectivité. Le management peut exercer une forme de contrôle et de pression qui pourrait conduire au harcèlement. Le harcèlement moral par le manager est donc un risque qui peut ne pas avoir été anticipé.

De nombreux contentieux pourraient naître.

Si le salarié en télétravail est victime de l’un ou plusieurs des agissements constitutifs de harcèlement moral, il pourra saisir le Conseil de prud’hommes et invoquer une situation de harcèlement moral. Ceci afin de se voir octroyer des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il a subi.

Des dérives amplifiées par le télétravail

Le salarié en télétravail ne devra donc pas être volontairement isolé ou mis à l’écart. Il devra toujours se voir fournir du travail, pouvoir être en lien avec sa hiérarchie, bénéficier du soutien nécessaire à l’accomplissement de ses missions, ne pas être surchargé et ne pas être incité à une hyper-connectivité. En effet, de telles conditions de travail pourraient laisser supposer une forme de harcèlement managérial. Le manager harceleur (ou le pervers narcissique) met en place des mécanismes divers :

  • culpabilisation ;
  • critique et dévalorisation ;
  • report de sa responsabilité sur ses collaborateurs ;
  • communication floue ;
  • changement fréquent d’opinions ;
  • mensonges.

En cas de télétravail, les possibilités de déviance sont amplifiées. L’impossibilité d’échanger en face-à-face, la distance avec les collègues et le n+2 pourraient contribuer au développement de pratiques perverses de management (lire également « Télétravail et harcèlement managérial : une situation dangereuse »).

Les outils de prévention

L’attention des services RH doit donc être attirée sur la nécessité d’identifier ces risques potentiels, de mettre en place des outils de prévention et d’élaborer une communication appropriée.

Parmi les points à envisager, on notera :

  • renforcer le dialogue social afin de signer un accord ou une charte s’ils font défaut ;
  • former les collaborateurs au télétravail ;
  • s’assurer de l’ergonomie du poste de travail à domicile ;
  • élaborer un guide de bonnes pratiques ;
  • encadrer les outils technologiques utilisés ;
  • développer le management délégatif avec une obligation de résultat et non de moyen ;
  • assurer une surveillance renforcée de la santé au travail ;
  • développer les soft skills des collaborateurs: agilité, autonomie, résistance au stress, auto-organisation, gestion du temps, communication numérique, adaptabilité, gestion des priorités.

Pour le déploiement du télétravail de manière pérenne, l’employeur devra donc s’appuyer sur les représentants du personnel. Il pourra également mettre en place des comités de projet paritaires, des groupes de managers interservices et envisager des réunions avec les collaborateurs afin d’impliquer les salariés dans la démarche. Il pourra aussi solliciter l’Anact. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail a développé un kit pédagogique afin d’accompagner les entreprises dans la mise en place du travail à distance.

Dialogue social : vers un accord interprofessionnel ?

Les services RH doivent ainsi envisager l’opportunité d’un dialogue renforcé au sein de l’équipe dans le cadre d’actions de prévention et d’une organisation du travail repensée (audit des risques psychosociaux notamment). Le dialogue social sera un outil indispensable au suivi de ce nouveau mode d’organisation du travail, notamment à travers la négociation obligatoire relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Au niveau national, en 2002, un accord-cadre européen a permis d’encourager le télétravail salarié en prévoyant la garantie de l’égalité des droits entre les télétravailleurs et les autres salariés. En 2005, le législateur français intervient dans le même sens avec la signature d’un Accord national interprofessionnel (ANI), qui sera conforté en 2012 par la loi Warsmann.

Actuellement les syndicats et organisations patronales sont engagés dans des discussions autour du télétravail. Une réunion de « diagnostic » s’est tenue le 2 juillet 2020. Ces discussions visent à élaborer un bilan du travail à distance. Les syndicats souhaitent négocier de nouvelles règles avec le patronat, pour limiter les dérives du travail à distance.

Le Medef, de son côté, est réticent. Les partenaires sociaux tiendront une dernière réunion le 11 septembre sur le télétravail. Elle pourrait donner lieu soit au lancement d’une négociation interprofessionnelle, comme le souhaitent les syndicats, soit à un simple « diagnostic partagé », comme le veut le Medef.

La question de la négociation d’un nouvel accord inter-professionnel divise patronat et syndicats. CGT, CFDT et CFE-CGC plaident pour de nouvelles règles du jeu alors que le travail à distance s’est imposé dans de nombreux métiers. Certaines entreprises souhaitent sa généralisation quand d’autres craignent des surcoûts (prise en charge de l’abonnement internet, équipements, frais de restauration à domicile…).

Caroline Diard

Caroline Diard

Docteur en sciences de gestion de l’institut Mines-Télécom Business School, Caroline Diard est professeur associé en management des RH et Droit à l’EDC Paris Business School. Elle intervient dans les domaines du droit du travail, politique de rémunération et dialogue social, vidéoprotection et télétravail. Elle a été précédemment DRH dans une société de biotechnologies et consultante.

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