Feu de combles à l’hôtel de ville de La Rochelle

17 avril 201912 min

Le 28 juin 2013 en début d’après-midi, un incendie éclate dans les combles du magnifique hôtel de ville de La Rochelle, le plus ancien de France encore en activité – depuis 1298 ! Par sa forme et son développement particulier, il rappelle à plusieurs titres l’incendie survenu ce lundi 15 avril 2019 à Notre-Dame de Paris. Retour sur un sinistre où conjointement aux longues opérations de lutte contre le feu, la préservation des nombreuses œuvres d’art a mobilisé pompiers et personnels municipal.

Ceci est une légende Alt

Il est 14 heures ce vendredi 28 juin 2013. Alors que des volutes de fumée grise s’élèvent au-dessus du centre-ville de La Rochelle, un premier appel pour feu dans une réserve au 2e étage de la mairie est reçu par les pompiers. Il sera suivi de nombreux autres…

Peu après l’arrivée des cinq premiers véhicules, le comble du corps principal « Renaissance » perce et laisse voir un virulent brasier dévorant la charpente, alors que de la fumée filtre du comble contigu. L’ensemble des 200 employés a évacué avant l’arrivée des secours. Une première lance sur échelle attaque le foyer principal. Tandis que des reconnaissances sont effectuées à l’intérieur pour trouver des accès au comble et bloquer le feu au plus près, un solide échafaudage recouvrant la façade principale va être investi pour y rechercher des points d’attaque.

Malgré l’action des premières lances, le feu se développe horizontalement dans l’ensemble du comble du corps principal… Qui devient bientôt un impressionnant brasier menaçant les toitures environnantes.

Feu hôtel de ville La Rochelle - illustration René Dosne

Œuvres d’art évacuées

À 14 h 50, deux fourgons supplémentaires et une 3e échelle ont été demandés. À 15 h 10, cinq lances sont en manoeuvre sur le feu qui malgré tout progresse, tandis qu’un groupe de pompiers, spécialement désignés, organise l’évacuation des oeuvres d’art conjointement avec les responsables du patrimoine et le personnel de la mairie qui les mettent en lieu sûr. Empruntant un dédale d’escaliers de bois et d’étroits couloirs reliant les bâtiments, les pompiers investissent l’îlot à partir des rues périphériques, cherchant de nouveaux points d’accès au feu. Il existe de profondes courettes, des toits pentus et rendus glissants par l’eau des lances, rendant l’évolution dangereuse.

Bientôt, le comble du corps « Renaissance » n’est plus qu’un fin squelette noirci émergeant de la fumée poussée par un vent fort. Des retombées de braises rougeoient entre les poutres séculaires décorées et les parois de bois de la salle des fêtes, située juste en dessous.

Dans tous les locaux des niveaux inférieurs, pompiers et employés s’activent à soustraire les oeuvres d’art, objets, tableaux, tapisseries, aux atteintes des fumées et de l’eau. Mais les toitures de deux bâtiments contigus s’enfument bientôt, alors que le foyer principal s’apaise. Le feu a gagné le comble à usage d’archives du bâtiment abritant la salle du conseil municipal et la « salle des Gentilhommes » qui recèlent elles aussi des objets précieux, et le comble plus réduit d’un bâtiment abritant le « salon bleu » et la salle d’accueil…

Coiffées de zinc et de planches épaisses, les toitures ne cèdent pas immédiatement… Contraignant les flammes à s’étendre horizontalement. À 18 h 15, alors que le feu est circonscrit, plusieurs foyers difficilement accessibles persistent. L’évacuation des oeuvres d’art se termine. Cinq occupants d’immeubles en vis à vis sont évacués.

Implanté dans le coeur historique de La Rochelle, l’hôtel de ville est édifié dans un îlot de 2 500 m² fait d’une quinzaine d’habitations anciennes, de trois à quatre étages, presque toutes occupées par les services municipaux et reliées entre elles par un dédale de couloirs et d’escaliers souvent non encloisonnés.

Le monument historique, siège de l’incendie, occupe 1 000 m². Dont une cour fortifiée de 300 m². Fait de pierre et de bois, le corps principal de deux niveaux (220 m² au sol) abrite au 1er étage la « Grande galerie », salle des fêtes et des mariages, aux poutres peintes et sculptées et aux cheminées monumentales. Elle est coiffée d’un comble à double pente à pignons de pierre. Trois autres corps de moindre surface s’accrochent au bâtiment principal, pour former un « L » délimitant une cour cernée de remparts.

Si l’hôtel de ville est bordé d’une rue et d’une place sur ses faces nord et ouest, il est mitoyen aux bâtiments de l’îlot sur les faces est et sud. Occupé par un personnel nombreux, c’est aussi un établissement recevant du public (ERP).

Implanté dans le coeur historique, l’hôtel de ville de La Rochelle est imbriqué dans un îlot. Photo Sdis 17 - Sylvain Roussillon

L’hôtel de ville de La Rochelle est imbriqué dans un îlot.
Photo Sdis 17. – Sylvain Roussillon.

La lutte contre les propagations est délicate. La percée de faux plafonds dans les bureaux, ou la découpe à la scie thermique depuis les échelles met à jour de virulents foyers… Qui n’attendent qu’un peu d’air pour s’activer. La menace semble tentaculaire tant les vides inaccessibles sont importants dans ce type de constructions anciennes.

Vers 1 heure, le 29 mai, le feu est maîtrisé. L’usage de l’eau est toujours limité et les derniers foyers sont débusqués à la caméra thermique. Un fastidieux dégarnissage des toits de zinc doublés d’isolant se poursuit aux projecteurs, dans un brouillard de fumée… Permettant enfin de passer le message « feu éteint » à 5 h 30. Mais l’opération est loin d’être terminée. Des opérations d’épuisement doivent en effet être effectuées dans les niveaux inférieurs et les sous-sols. Le risque d’effondrement de planchers surchargés d’éléments de charpente et d’eau est évalué, par mesure laser en certains points, alors qu’il apparaît que la façade de pierre du corps principal s’est déformée.

La sauvegarde et l’expertise des objets d’art et autres mobiliers se poursuit sous la direction du service du patrimoine.

Si les dégâts bâtimentaires sont très importants (destruction complète de la toiture du corps « Renaissance », toitures annexes, salle des fêtes très endommagée), l’essentiel des biens précieux a été évacué rapidement. Une faible part, détériorée par l’eau ou la fumée, devra toutefois être restaurée. Près de 80 sapeurs-pompiers ont été engagés.

Opérations longues et pénibles

Utilisation de l'échaffaudage. Photo Xavier Léoty

Établissement recevant du public de type « W – L » de 5e catégorie (la partie recevant du public est restreinte), l’hôtel de ville et ses annexes sont équipés d’un système de sécurité incendie (SSI) de catégorie A.

À la détection de fumée, sont asservis l’alarme d’évacuation, la fermeture de quatre portes coupe-feu et le déverrouillage de trois issues. Plusieurs agents de sécurité incendie assurent la surveillance des bâtiments.

S’il n’y a pas de RIA, il y a de nombreux extincteurs réglementairement implantés. Les escaliers sont équipés d’exutoires à commande manuelle. Plusieurs poteaux d’incendie publics sont implantés en périphérie de l’îlot. Bien que les rues soient étroites, elles sont accessibles aux échelles aériennes. L’établissement est répertorié.

Après un feu aussi retors, les pompiers n’ont de cesse d’inspecter les décombres afin de comprendre et reconstituer le cheminement du feu. L’histoire de ce sinistre est vraisemblablement la suivante. Le feu éclate pour une raison à découvrir dans le comble du bâtiment contigu au corps principal (salle des Échevins). Celui-ci sert de réserve au service communication… Papiers, cartons, objets promotionnels et quelques volumes de spiritueux vont y alimenter un virulent brasier.

Les parois du comble, de 80 m² environ, sont doublées de laine minérale et de placoplâtre, en faisant un volume étanche difficile à percer pour le feu. Celui-ci va donc emprunter un étroit passage dans le mur pignon de pierre pour entrer dans le comble principal de 220 m². Là, rien ne s’oppose à son développement… Pas de compartimentage, pas d’exutoires, charpente apparente et très pentue le transformant rapidement en un énorme feu de camp…

Le feu gagne le comble suivant par une ouverture d’aération de moins d’1 m² dans le mur pignon opposé. Une cinquantaine de mètres carrés supplémentaires sont envahis.

Plan de sauvegarde des biens culturels (PSBC), incendie La Rochelle.

Suite à cet incendie, l’ancienne préfète (Béatrice Abollivier) avait demandé aux maires de chaque commune siège d’un musée ou d’un bâtiment à forte valeur historique de répertorier ses œuvres d’art.

Mais il y a une cible plus facile : le comble volumineux rempli d’archives du bâtiment qui abrite la salle du conseil municipal et d’autres salles prestigieuses. Dans l’axe des flammes poussées par le vent, il sera gagné à son tour… Le feu y trouvant un faux comble coiffé d’une épaisse couche de planches et de zinc. C’est là que les opérations les plus longues et pénibles se déroulent jusqu’au lendemain, des trouées devant être effectuées en lignes d’arrêt avant que le dégarnissage complet ne soit réalisé.

Toutefois, le feu ne redescend que dans la salle des fêtes, de nombreux vides et doubles parois de bois garnissant murs et plafonds rendant la maîtrise des propagations difficile. Enfin, un comble d’une quinzaine de mètres carrés, situé contre le corps principal, s’effondre… Emportant successivement les planchers jusqu’au rez-de-chaussée. Sans heureusement y propager le feu !

Conjointement à l’attaque, les pompiers ont activé un secteur « sauvegarde du patrimoine », dont la procédure figurait dans le plan d’établissement répertorié, grâce au travail effectué en amont par le service prévention, avec les services du patrimoine, pour tous les musées de la ville. C’est l’un des enseignements de l’incendie du Parlement de Bretagne en 1994.

Selon un ordre d’urgence, les œuvres les plus précieuses sont localisées… Photographiées… Et leur mode d’accrochage précisé. Tout cela afin de faciliter leur évacuation en cas de péril. Ce fut ici la concrétisation d’un bel exemple de collaboration interservices. L’incendie est détecté rapidement, peu après 13 h 30, le comble concerné disposant d’un double niveau de détecteurs : au plafond et dans le faux plafond.

Certains membres du personnel regagnent leur bureau

Localisé depuis le local SSI, il entraîne l’envoi du responsable sécurité du site pour la levée de doute, alors que l’alarme d’évacuation retentit au bout de 5 minutes. Après un parcours complexe, le responsable débouche dans le comble et découvre le foyer… Déjà trop violent pour être combattu avec des extincteurs. Il alerte les secours.

Conjointement, l’évacuation du personnel ne pose pas de problème particulier, bien que certains, ne ressentant pas les effets visibles ou olfactifs du feu, aient momentanément rejoint leurs bureaux dès l’arrêt de l’alarme… Au bout de 5 minutes ! Celle-ci se déclenche à nouveau lors du passage du feu dans la zone suivante… Entraînant cette fois l’évacuation complète. Lorsque, 10 minutes après l’appel, les pompiers se présentent, le feu a plus de 40 minutes de vie…

Le feu se propage par la toiture. Photo Xavier Léoty

Plusieurs monuments anciens et historiques perdent leurs combles chaque année. Nous en avons relaté de nombreux dans nos colonnes :

  • Incendie de la gare de Limoges (Face au Risque n° 344, juin 1988)…
  • Incendie meurtrier des combles de l’hospice de Grandvilliers (Face au Risque n° 215, septembre 1985)…
  • Feu de combles de la Seita à Morlaix (Face au Risque n° 319, janvier 1996)…
  • Dôme et annexes de l’université de Lyon (Face au Risque n° 356, octobre 1999)…
  • Combles des Arts et Métiers de Lille (Face au Risque n° 394, juin-juillet 2003)…
  • Feu du château de Lunéville (Face au Risque n° 392, avril 2003)…

Qu’ils soient le résultat de travaux de toiture (soudure avec en prime explosions de bouteilles de gaz !) d’origine électrique ou autre, ils prennent rapidement une grande ampleur, facilitée par la masse combustible (bois de charpente), la rareté des exutoires (surtout sur les monuments classés), l’absence de compartimentage. S’ils ont le mérite de ne pouvoir monter plus haut, ils redescendent souvent dans les étages inférieurs… Rendant ainsi l’attaque « par-dessous » souvent périlleuse.

La phase violente et libre du feu, relativement courte, est souvent suivie d’une phase de propagation rampante et insidieuse des volumes adjacents… Qui ne se règle que par un dégarnissage complet (récent incendie de l’hôtel Lambert à Paris).

Nous écrivions dans nos colonnes à l’occasion d’un de ces feux de monument historique, que le patrimoine historique national (mais c’est vrai pour la majorité des pays), sculptures, tapisseries, peintures, mobilier, etc., était concentré dans des bâtiments anciens particulièrement vulnérables au feu, par leur conception, où le bois est très présent. Particulièrement au niveau des planchers et charpentes. Beaucoup d’entre eux ont perdu leur toiture, élément le plus vulnérable, au cours de leur longue histoire.

Il est vrai que l’application de mesures préventives telles que la pose d’exutoires, de compartimentage, de portes coupe-feu, de systèmes de détection, etc. doit s’effectuer avec la plus grande discrétion visuelle. Ce qui n’est pas facile. Mais des solutions existent aujourd’hui… Comme par exemple des exutoires recouverts d’ardoises. Des portes coupe-feu peuvent être recouvertes d’un plaquage bois sculpté identique à la porte traditionnelle (Hôtel de ville de Paris).

L’ajout d’un plan de sauvegarde des œuvres au plan d’établissement répertorié (photos, localisation, ordre de priorité en cas d’évacuation), se généralise dans les départements. La cinétique d’un feu de comble est trop rapide pour que l’on compte sur la seule intervention des pompiers. C’est un type de sinistre où, là plus qu’ailleurs, l’anticipation est primordiale. Il faut voir loin, en fonction de l’enchaînement des combles… De leur forme… Leur hauteur… Leurs liens éventuels pour définir l’endroit où il faut pratiquer des lignes d’arrêt et ne pas être pris de vitesse.

Et découper une toiture historique à la disqueuse à plusieurs dizaines de mètres du feu peut être mal compris…

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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