Dans nos archives – Saint-Donatien à Nantes : plus près de toit mon feu !

16 avril 201911 min

Le 15 juin 2015, 43 ans après l’incendie de la cathédrale de Nantes, les combles de la basilique Saint-Donatien s’embrasent à leur tour pour la même raison : des couvreurs y procédaient à des travaux d’étanchéité. Cet événement n’est pas sans rappeler le récent incendie de Notre-Dame, survenu le lundi 15 avril 2019.

Lundi 15 juin 2015, 10 h 17. Les pompiers sont alertés par le chef de l’entreprise de couverture, lui-même prévenu par ses ouvriers, d’un début de feu sur le chantier de la basilique Saint-Donatien à Nantes, sur lequel ils travaillent depuis 8 h 30. Le centre de secours est à 900 m… Et quatre minutes plus tard, le premier engin se présente.

Après s’être fait ouvrir les accès, les pompiers s’engagent par un étroit escalier à vis débouchant à la base des tours. Au niveau du comble coiffant la nef. Le comble est envahi de fumée. Les deux ouvriers sont évacués, tandis que deux lances sont établies et que les bouteilles de gaz sont écartées. Conjointement, une échelle pivotante est développée en façade, au-dessus de la grande rosace, au niveau de l’accès au comble. Cette échelle constituera un axe de repli pour les équipes engagées, en cas de généralisation du feu de comble. Le foyer principal se trouve au niveau du transept. À la verticale de l’autel. La toiture est percée et de hautes flammes visibles à des kilomètres entraînent une vague d’appels.

Progressivement, malgré un vent faible, le feu remonte vers les tours. Les deux lances intérieures sont bientôt appuyées par deux autres, du haut d’une échelle à l’ouest, et un bras élévateur articulé à l’est. En limite de portée, ils abattent les hautes flammes qui s’élèvent des charpentes. À 10 h 57, un engin-pompe et une 3e échelle sont demandés.

Cinq minutes plus tard : « Feu de toiture intéressant l’église Saint Donatien. Embrasement généralisé, deux lances et une lance-canon sur bras élévateur. »
Une 3e échelle est développée à partir d’une cour, sur l’arrière de la basilique, permettant d’atteindre le feu au-dessus du coeur.

La voûte de la basilique Saint-Donatien perforée par les éléments de charpente

Chaque exploitant (qui définit les oeuvres à protéger en priorité) les élabore en étroite collaboration avec les sapeurs-pompiers. En effet, oeuvres d’art et autres biens précieux à divers titres sont abrités dans des bâtiments dont l’imposante charpente représente souvent un des risques principaux en cas de sinistre, chaleur, fumée, chute de matériaux et ruissellement d’eau.
À l’instar du transfert horizontal des patients dans les établissements de soins, on peut définir dans les musées des points de regroupement des oeuvres, sécurisés, les plaçant à l’abri avant leur éventuelle évacuation. Pour les services de secours, les oeuvres doivent être localisées et répertoriées selon leur valeur historique et leur facilité à être déplacées ou non. Les moyens de déplacement (chariots) sont préparés, les outils spécifiques utiles au décrochage indiqués.
Lorsque les oeuvres sont trop lourdes pour être déplacées, la protection se fait sur place (bâchage, refroidissement éventuel). Sorties à l’extérieur, les oeuvres doivent être regroupées dans un espace sécurisé par les forces de l’ordre et les agents de l’établissement.
La réalisation de ces plans peut, selon l’importance de l’établissement, être particulièrement complexe. Dans des circonstances difficiles, obscurité, fumée… Il faut trouver le moyen de permettre aux sauveteurs de localiser et d’identifier sans ambiguïté les oeuvres à sauver en priorité !

13 h 03. Après avoir ravagé 1 500 m² de toiture, le feu est circonscrit par quatre lances… Dont trois sur moyen aérien. Il est maîtrisé à 15 h 45, sans avoir dépassé la ligne d’arrêt empêchant sa remontée entre les tours. Si la charpente, noircie par le feu, semble, depuis le sol, rester en place, elle est en fait rongée par les braises et s’abat bientôt en cascade sur le voile fin de la voûte. En plusieurs endroits, de lourdes poutres incandescentes la percent et s’écrasent, 25 mètres plus bas, entre les rangées de chaises de bois, près de l’autel et de l’orgue.

L’accès à la nef devient dangereux. Une lance est établie pour parer aux éventuels départs de feu au sol. Afin de limiter les quantités d’eau déversées et augmenter l’effet refroidissant, une solution moussante au pouvoir accrochant élevé est employée, donnant de très bons résultats.

L’extinction des braises se poursuit à partir des chêneaux ceinturant  l’édifice, tandis que le dégarnissage minutieux des parties en zinc permet de localiser les derniers points chauds.

À 17 h 48, le feu est éteint. Un dispositif d’extinction et de surveillance avec moyens d’éclairage se met en place pour la nuit. Le lendemain, une fois l’absence de points chauds validée à la caméra thermique, l’expertise de la structure de l’édifice permet d’évaluer les risques d’effondrement des murs pignons du transept et d’établir le périmètre de sécurité correspondant. Les sept personnes habitant le presbytère sont évacuées et relogées. L’opération est terminée à 21 h 28 le mardi 16 juin.

Évacuer les ouvriers se trouvant dans les combles

Au-dessus de la nef, la charpente, datant du 19e siècle, a pu être sauvée. (Photo Sdis44)

La basilique Saint-Donatien a été consacrée en 1889 et terminée au début du XXe siècle. Reprenant les standards architecturaux des cathédrales, elle est en pierre de taille.
Contiguë à l’ouest aux bâtiments du presbytère, elle est bordée de constructions donnant sur une rue au nord et un cimetière à l’est. La façade principale ouvre sur la place des Enfants Nantais. Les accès aux moyens aériens sont limités aux faces nord et sud.
Flanquée de deux tours culminant à 50 m environ, la nef d’une hauteur de près de 25 m mesure 60 m de long. La voûte est coiffée d’une charpente de hêtre d’origine, (bois très sec) et couverte d’ardoises.
Des escaliers à vis, exigus, desservent chacune des tours, jusqu’à la base des clochers, avec accès au comble au niveau +25 m environ. Chaque clocher de pierre renferme une structure indépendante de bois supportant les cloches et leurs mécanismes.
Des escaliers de bois permettent ensuite d’accéder au sommet des deux tours.
(Au-dessus de la nef, la charpente, datant du 19e siècle, a pu être sauvée. – Photo Sdis44)

À l’arrivée des premiers secours, le feu est peu visible du sol. Et la fumée, encore légère, cachée par l’imposant édifice… L’église est ouverte par le curé et la première équipe s’engage dans un étroit escalier en colimaçon, à peine praticable, avec ARI et tuyaux sur l’épaule. Il le devient encore moins lorsque le tuyau est en pression !

Au niveau du comble, pas de flamme visible… De l’obscurité, de la fumée et deux hommes que l’on entend, à quelques dizaines de mètres à l’intérieur, se battant avec extincteurs et sable, contre le feu roulant déjà entre les hautes charpentes de bois sec et poussiéreux. Les évacuer d’abord, attaquer le feu ensuite, éloigner les bouteilles de gaz. Les deux premières lances établies à ce niveau sont déterminantes. Un feu de comble se gagne à l’intérieur, moins du haut des échelles. Au château de Lunéville, trois à quatre petites lances faisant barrage dans les combles ont sauvé plus de la moitié du château, tandis que des dizaines de lances tapaient du sol ou des échelles.

Mais la manoeuvre est périlleuse. La densité de la charpente brise le jet des lances… Et il faut avancer jusque sous le ciel de flammes pour les combattre. Par ailleurs, la couverture, trop haute, ne peut être brisée de l’intérieur pour pratiquer des exutoires à même de désamorcer la progression horizontale. Le feu a été stoppé avant le pied des tours. S’il n’avait été stoppé à ce niveau, le risque était grand qu’il n’entre par les baies et gagne les structures de bois supportant les cloches, le comble se poursuivant entre les tours. L’édifice entier aurait alors été en danger.

Travaux par point chaud

Ce feu de basilique est une première dans nos colonnes. Nous pouvons le rapprocher de grands feux de combles précédemment relatés, avec une particularité toutefois :
– La hauteur du « plancher du feu », 25 à 30 m.
– La hauteur de la charpente, 10 m.
– Et sa longueur, 60 m…
Bref un environnement monumental pouvant mettre à mal les moyens de lutte traditionnels (hauteur des échelles et portée des lances). Enfin, le volume combustible constitué de bois sec, alimente un puissant brasier dès lors que la couverture d’ardoises se détruit.
Absence de recoupements et d’exutoires propre à faciliter la propagation horizontale, accès difficile au niveau du feu et dégâts des eaux sont les constantes de ces incendies. Face au Risque a ainsi relaté :
– le feu de combles du château de Lunéville (n° 392, avril 2003) ;
– celui de l’école des Arts et Métiers de Lille (n° 394, juin 2003) ;
– le feu du dôme de la gare de Limoges (n° 344, juin 1998) ;
– de l’Université de Lyon (n° 356, octobre 1999) ;
– et le feu de l’Hôtel de Ville de La Rochelle (n° 497, novembre 2013).

Intervenant depuis l’extérieur dans le chêneau de pierre entourant la toiture, pour une opération d’étanchéité sur des pièces de plomb et de zinc recouvrant du bois, les ouvriers auraient causé le départ de feu.

La reconstruction

Ce n’est qu’en voyant des fumées filtrer entre les ardoises que les deux hommes retournent à l’intérieur du comble et découvrent les flammes s’élançant déjà le long des poutres… Des extincteurs et du sable sont utilisés… Sans que l’on sache si un permis de feu et les précautions qui s’y rattachent avaient été établis.

Plutôt que les pompiers, ils alertent leur patron, allongeant encore les délais d’alerte. L’entreprise était qualifiée pour ce type de mission et habituée à intervenir sur des édifices prestigieux. Celui-ci abritait peu d’oeuvres d’art remarquables.

Outre le Saint Sacrement, un tableau de Saint-Donatien, décroché par les pompiers, est évacué. Un lourd sarcophage de pierre, situé dans un bas-côté, est protégé des chutes de débris. En revanche, l’orgue placé à l’extrémité du transept, sous le feu, est exposé aux chutes de matériaux et devra être expertisé.

La reconstruction

Les moyens de secours se limitent aux extincteurs qui constituent le minimum réglementaire pour cet ERP type V (établissements cultuels). Il n’existe pas de colonne sèche, ni de détection. Deux poteaux d’incendie se trouvent dans un rayon de 100 m, le centre d’incendie et secours est à 900 m. L’édifice ne fait pas l’objet d’un plan d’établissement répertorié et ne justifie pas de plan de sauvegarde des oeuvres.

L’édifice s’est trouvé fragilisé par une nouvelle répartition des forces, la fine voûte supportant le poids des éléments de charpente calcinés, entraînant une poussée latérale sur les arcs-boutants, alors que la charpente en place exerce normalement une pression verticale sur les piliers. Par précaution, l’architecte consulté a établi un large périmètre de sécurité incluant le cimetière à l’est et les bâtiments du presbytère à l’ouest.

Après la pose d’une couverture provisoire et sans doute d’un échafaudage soutenant la voûte depuis la nef, de longs travaux de reconstruction à l’identique seront engagés, obligeant les fidèles à se diriger vers d’autres lieux de culte du diocèse. Détection et colonnes sèches seront peut-être ajoutées… À l’instar de la cathédrale de Nantes, touchée en 1972, peu d’autres équipements tels que compartimentage des combles et exutoires trouvant leur place ici.

Cet article a été publié dans le n°516 de Face au Risque, daté d’octobre 2015.
René Dosne

René Dosne

Depuis janvier 1983, René Dosne écrit et illustre la rubrique Feux Instructifs dans Face au Risque. Collaborateur de nombreux magazines dédiés aux sapeurs-pompiers, il a créé et assuré la spécialité de dessinateur opérationnel au sein de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) où il était lieutenant-colonel (r). Dans sa carrière, il a couvert la plupart des grands feux, mais aussi explosions, accidents en France comme à l’étranger.

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