La reconnaissance faciale « made in Genetec » peut-elle faire sauter le verrou RGPD ?

16 septembre 20199 min
VMS reconnaissance faciale. (Photo d'illustration, Genetec).

La reconnaissance faciale
« made in Genetec »
peut-elle faire sauter le verrou RGPD ?

Comme c’est de tradition ces dernières années, Genetec organisait son point presse annuel les 16 et 17 juillet 2019. Face au Risque était présent pour cette édition 2019. La reconnaissance faciale était notamment au cœur des débats.
Les progrès technologiques réalisés dans ce domaine pourront-ils déboucher sur un assouplissement de la législation à ce sujet ?

Bien implanté à l’international, à travers sa quinzaine de bureaux et ses 1 400 employés dans le monde, le groupe Genetec fait aujourd’hui partie des leaders mondiaux du secteur de l’ingénierie informatique.

Fondé en 1997, le groupe canadien s’est spécialisé dans trois domaines bien spécifiques : le contrôle d’accès, les systèmes Lapi (lecture automatique de plaques d’immatriculation) et la vidéosurveillance. Trois domaines qui ont d’ailleurs comme point commun d’être aujourd’hui très prisés sur le marché du génie informatique, bénéficiant ainsi d’une demande qui ne cesse de croître.

Plus qu’une simple présence sur ces trois domaines porteurs, la multinationale a réussi il y a dix ans le tour de force de faire le lien entre chacun d’eux. C’est en effet en 2009 que l’entreprise lance « Security Center ».

Qu’est-ce que « Security Center » ?

C’est la grande trouvaille technologique du groupe canadien. Jusqu’en 2009, gérer à la fois le contrôle d’accès et la vidéosurveillance revenait inéluctablement à investir sur deux systèmes de contrôles différents. Depuis dix ans, il est désormais possible de gérer l’ensemble de ces domaines via une seule et unique plateforme d’unification.

« Security Center est une plateforme de collaboration active complètement ouverte avec les partenaires, parmi lesquelles figurent des constructeurs ou des fournisseurs. C’est la seule plateforme 100 % unifiée », précise Laurent Villeneuve, product marketing manager chez Genetec.

De fait, au lieu de s’engager avec plusieurs fournisseurs pour renforcer sa sécurité, une entreprise a la possibilité de choisir ses propres options au sein de cette plateforme collaborative. Un seul univers informatique pour gérer au mieux l’intégralité de sa sécurité.

Le côté pratique n’est d’ailleurs pas le seul argument mis en avant par le groupe. L’aspect sécuritaire est également primordial.

« Chaque année on fait des tests de pénétration. On parle là de plusieurs couches de protection de données. On a été les premiers à obtenir la certification EuroPriSe, pour la protection de la vie privée. Mais également la certification UL-2900-2-3, qui est bien connue dans le milieu de la sécurité », confie Laurent Villeneuve.

Outre les certifications, « on fait des efforts pour aider les clients à être conformes. C’est une pratique qui va audelà de la fonctionnalité du produit. Il faut également être extrêmement réactif en cas de faille ou de vulnérabilité. Pour cela, on a une équipe de recherche spécifiquement dédiée », ajoute-t-il.

 Citigraf, une aide pour les autorités

Sur un fonctionnement similaire à « Security Center », Genetec propose également Citigraf. À la différence du premier, le second ne s’adresse qu’à une cible très précise : les forces de l’ordre et les autorités locales.

L’objectif de cet outil est clair. Il doit permettre de réduire le taux de criminalité urbain ainsi que les délais d’intervention, en alliant la reconnaissance faciale à l’analyse prédictive. C’est en se basant sur les événements criminels antérieurs que le logiciel Citigraf permet de localiser les zones les plus à risque dans une ville.

Le logiciel a déjà fait ses preuves outre- Atlantique. Plus particulièrement à Chicago. Dans le 7e district de la mégapole américaine, le dispositif – via l’identification des coups de feu (une de ses multiples options) – a par exemple permis de réduire « de 70 % le taux de tirs par armes à feu » sur une année selon les chiffres transmis par Genetec.

Dès 2017, la police de Chicago soulignait d’ailleurs l’efficacité de cet outil. Réduction du temps d’intervention, facilitation pour la coopération entre forces de l’ordre et secouristes ou encore baisse du délai de prise de décision… Tels sont les principaux changements notables que relevait à cette date, Jonathan Lewin, chef des services techniques du département de police de Chicago.

« La police de Chicago a fait appel à Genetec pour aider à créer un système d’aide à la décision et aux interventions. (…) Depuis que nous avons déployé Citigraf, nos temps d’intervention – répartition et arrivée sur les lieux – ont été réduits de respectivement 39 % et 24 % dans nos deux principaux districts à risque. Les fusillades y ont également baissé de 22 % par rapport à 2016 », expliquait-il alors.

D’autres villes du « Nouveau Monde » ont probablement adopté le système Citigraf depuis. Cette information ne nous a été ni confirmée ni infirmée. S’agissant d’un usage en France, voire dans les pays de l’Union européenne, de réelles limites existent cependant en raison du RGPD.

Une reconnaissance faciale « encadrée » peut-elle exister ?

Malgré ses résultats positifs indéniables, Citigraf utilise plusieurs logiciels – intégrés par différents fournisseurs sur la plateforme – qui peuvent remettre en cause la confidentialité des données individuelles. En particulier son système de reconnaissance faciale.

Afin de se rapprocher de la réglementation européenne, Genetec – qui n’offre pas sa propre reconnaissance faciale mais propose un cadre d’intégration et d’unification via ses partenaires – a d’ores et déjà amélioré l’anonymisation des données de son logiciel.

Désormais, il est possible de flouter les individus et de ne reconnaître « face caméra » que ceux recherchés par les forces de l’ordre.

« Avec le module Privacy Protector, on peut regarder l’événement tout en anonymisant la vidéo. Dans le cas d’un crime, on peut diffuser seulement le visage du suspect au lieu de regarder tous les visages », précise Jean-Pierre Picard, manager of product marketing chez Genetec.

Cela peut d’ailleurs aussi bien valoir pour remonter la trace d’un criminel que celle d’une personne portée disparue. La technologie permet de créer deux flux enregistrés : un flouté et l’autre non-flouté. En cas de nécessité, il est toujours possible d’avoir accès au flux original (non-flouté).

Pour Laurent Villeneuve, cette main tendue par le prestataire devrait dans le temps déboucher sur un assouplissement de la législation.

« Si on peut se servir de la reconnaissance faciale, alors il faut le faire de façon adéquate. Et non de façon intrusive. Il faut trouver la bonne manière de s’en servir », avance-t-il.

Comme l’instauration de l’arbitrage par assistance vidéo en football ces derniers mois, après une décennie d’interminables débats, la frontière vaut-elle réellement le coup d’être franchie aujourd’hui ?

À l’heure actuelle, il n’est pourtant pas question d’un usage à tout-va de cette solution comme le confie Jean-Pierre Picard.

« Nous avons surtout vu de l’intérêt autour de la reconnaissance faciale pour les installations de haut niveau de sécurité comme des centrales électriques par exemple… Ou des endroits où la vie privée n’a pas la même considération, comme dans un établissement privé tel un casino, qui pourrait s’en servir pour contrôler la liste des personnes interdites de jeux », confie-t-il.

Un débat qui prend de l’envergure

Si l’on en croit Laurent Villeneuve, c’est inéluctablement en montrant les bienfaits de cet outil que la porte pourra s’ouvrir. Et non en la fermant d’emblée à double tour.

« Il y a la législation, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser notre technologie. Pour pousser la législation, les législateurs doivent se rendre compte que dans certains cas, cette technologie est éprouvée ».

Au regard des récentes dérives observées dans le football, où d’une simple assistance à l’arbitrage, la vidéo a en réalité outrepassé son rôle pour pratiquement devenir le nouvel arbitre principal, la porte doit-elle véritablement s’entrouvrir pour la reconnaissance faciale ? Comment être certain que ce qui s’apparente à une aide précieuse et légitime pour les autorités ne débouchera pas sur une surveillance à outrance, tel que le présageait George Orwell dans « 1984 » ?

D’un autre côté, ne serait-il pas insensé de se passer d’une solution qui, potentiellement, permettrait de sécuriser davantage notre quotidien ? Voilà tout l’enjeu d’un débat qui ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des semaines, aussi bien outre- Atlantique que de l’autre côté de la Manche.

« Il y a une tendance dans le monde municipal, avec les exemples de San Francisco ou Londres, à essayer de mettre un léger frein à l’adoption de la reconnaissance faciale dans des endroits qui ne sont pas forcément à risque », note dans un premier temps Jean-Pierre Picard.

Celui-ci préfère d’ailleurs voir cette discussion s’instaurer plutôt que devoir regretter un éventuel passage en force.

« Ce type de débat est extrêmement sain et c’est bien qu’il arrive à ce moment-là, avant que ce système ne soit déployé de façon plus large », conclut-il.

Il serait en effet regrettable que la décision précipitée d’aujourd’hui provoque la contestation de demain.

Quelles avancées chez les Français ?

Pour l’heure, en France, des entreprises telles que Sensivic ou Serenicity ont récemment installé des capteurs audios dans certaines villes (lire « En ville les caméras ouvrent grand leurs oreilles », Face au Risque n° 553) afin de compléter les systèmes de vidéosurveillance des municipalités.

Ces solutions se basent sur des outils d’analyse prédictive… Sans faire usage de la reconnaissance faciale afin d’être en règle avec le RGPD.

Dans un autre contexte, la ville de Nice a testé, lors de la dernière édition du carnaval, un dispositif de reconnaissance faciale à certaines entrées de l’événement. Contrairement à la solution de Genetec, les individus n’étaient cependant pas floutés sur les images.

À la vue de ces avancées en Amérique comme en Europe, la question est dorénavant de savoir si les législations doivent elles aussi évoluer… au nom du progrès technologique.


(Article extrait du n°555 de Face au Risque, daté de septembre 2019)
Eitel Mabouong

Eitel Mabouong

Journaliste

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