Terrorisme : pourquoi la France n’est pas à l’abri d’El Paso ?

6 août 201910 min

Les deux fusillades américaines à El Paso samedi 3 août 2019 (22 morts) et à Dayton le dimanche 4 août 2019 (9 morts) sont l’occasion pour les américains de se pencher une fois de plus sur l’épineuse question de la définition du terrorisme. Et pour la France, c’est l’occasion de réaliser que ces attentats pourraient aussi nous frapper.

Ceci est une légende Alt

Un week-end sanglant

Le week-end du 3 au 4 août 2019 restera comme particulièrement sanglant pour les États-Unis : 31 morts (bilan provisoire) et plus de 60 blessés dans deux tueries de masse, l’une dans un supermarché du Texas et l’autre à l’entrée d’un bar de l’Ohio.

Des mobiles sans doute différents

Les mobiles des deux assaillants pourraient être différents. Le premier a été interpellé vivant par la police, tandis que le second a été abattu dans la première minute de la fusillade par une patrouille de police qui se trouvait à proximité. Parmi les victimes de la seconde fusillade, celle de l’Ohio, se trouvait la sœur du suspect. Un drame familial est peut-être à l’origine de ce carnage.

Le forum 8chan

Dans le second cas, il semble établi que le tireur d’El Paso, qui a été interpellé vivant par la police, ait posté quelques minutes avant son acte sur le forum 8chan un pamphlet mettant en avant une idéologie suprématiste blanche.

Ce n’est pas la première fois que le forum 8chan accueille les revendications des tueurs de l’Alt-right, l’extrême-droite américaine. En avril dernier, sur ce même forum, un tireur avait annoncé son acte quelques minutes avant d’ouvrir le feu dans une synagogue (1 mort et 3 blessés). C’est encore ce même forum qui avait accueilli les revendications du tueur de Christchurch – auquel le tueur d’El Paso s’est d’ailleurs référé.

Une culture électorale de la haine

Les deux semaines précédentes avaient été agitées par des polémiques lancées par le président américain sur l’origine de plusieurs représentants démocrates au Congrès. Il avait ainsi invité quatre élues américaines, dont pourtant trois sont nées aux États-Unis, à rentrer « chez elles ». Cette attaque raciste est sans précédent dans l’histoire américaine contemporaine de la part d’un président.

Elle a été suivie le week-end suivant d’une nouvelle polémique. Elle visait cette fois un élu démocrate noir de Baltimore, Elijah Cummings, dont la circonscription, à majorité afro-américaine, serait, toujours selon l’actuel locataire de la Maison Blanche, « dégoûtante et infestée de rats ».

Un président raciste

Des saillies soigneusement préparées par Donald Trump pour alimenter la confrontation, nourrir les polémiques et cultiver l’image qui l’a fait élire en 2016 : celle de l’outsider « seul contre tous »… Celui qui est en dehors du système, qui n’obéit pas aux codes et « parle vrai ».

Alors que les élections de 2020 approchent, Donald Trump a choisi d’occuper l’actualité avec des attaques, le plus souvent sous forme de tweets, pour renforcer sa base électorale et occuper l’espace. D’autant plus que les démocrates sont en plein débat pour désigner celui qui l’affrontera…

Davantage de terrorisme « intérieur »

Mais ce jeu n’est pas sans conséquence. La montée des crimes de terrorisme « intérieur » aux États-Unis est telle qu’il dépasse celui du terrorisme international.

Selon le FBI (en anglais), depuis le 11 septembre 2001, il y a eu plus d’américains décédés dans des attaques de terrorisme intérieur que dans des attaques liées à des organisations terroristes étrangères.

Mais que recouvrent ces notions ?

Il n’existe pas de définition universelle du terrorisme, même en France où le code pénal parle bien de terrorisme mais ne le définit pas.

Sont définis en revanche les actes de terrorisme dont le but, selon l’article 421-1 du code pénal, est de “troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur”. Une définition encore floue puisqu’elle est suivie d’une liste d’infractions non-caractéristiques.

Le terrorisme en lui-même n’est pas condamnable. Ce sont les actions terroristes – déjà condamnables par ailleurs – qui le sont… Le terrorisme étant, dans le contexte du code pénal, un critère d’aggravation de la peine.

L’ANC est-elle une organisation terroriste ?

On se souvient aussi que beaucoup de groupes définis comme terroristes furent par la suite acclamés. Il ne viendrait à l’idée de personne de définir Nelson Mandela comme un terroriste. Il a pourtant été membre de l’ANC, le congrès national africain, dont il fut même président à l’époque où l’organisation était classée comme terroriste par les États-Unis. Il y a donc un aspect éminemment politique lorsqu’il s’agit de définir le terrorisme.

Le comportement du tireur

La définition du caractère terroriste ou non d’un acte n’est pas sans conséquence : dans la poursuite de l’enquête, on l’a vu pour le code pénal, mais aussi dans la prévention.

Il est très difficile d’anticiper le comportement d’un tireur isolé qui frapperait de manière aléatoire la foule soit pour venger une blessure narcissique (licenciement, déception amoureuse, etc.), soit pour réaliser un suicide.

C’est l’hypothèse qui avait été retenue pour la fusillade, l’une des plus meurtrières de ces dernières années (58 morts, 800 blessés) lors d’un festival musical à Las Vegas. Le tireur s’était enfermé dans une chambre d’hôtel et avait tiré sur la foule avant de retourner l’arme contre lui.

Le contrôle des armes

Dans ce cas, un contrôle plus strict des armes – leur interdiction pure et simple – est le meilleur moyen de prévenir le passage à l’acte.

Pour le terrorisme, outre le contrôle des armes qui a son rôle à jouer, la bataille est idéologique.

Un but politique

Il est couramment admis que le terrorisme, par rapport au tireur isolé, poursuit au travers de son action destructrice un but politique. Ainsi le terroriste, contrairement à l’idée qui s’est répandue ces vingt dernières années, ne cherche pas toujours la mort.

Il cherchera en revanche à ce que son acte ait le plus de retentissement possible.

C’est là que le classement de l’infraction est particulièrement important et l’est plus encore aux États-Unis qu’ailleurs.

Hate crime or domestic terrorism?

En effet les américains distinguent plusieurs faits : le « hate crime » est un crime raciste. S’il est motivé par l’idéologie, il n’a pas forcément une visée politique.

Le « domestic terrorism », littéralement, le terrorisme intérieur par opposition au terrorisme de pays ou groupes étrangers, est réalisé par un ou plusieurs américains afin d’atteindre le gouvernement et de déstabiliser le pays.

Quelle réponse ?

En fonction du classement, la réponse pénale et préventive n’est pas la même. Si c’est un crime raciste alors la faute reviendra à l’individu.

Si c’est un crime terroriste alors l’enquête devra déterminer le réseau, la nébuleuse dans laquelle l’individu gravitait, les éventuels autres participants, la manière dont l’idéologie a été propagée et comment le passage à l’acte a été encouragé ou soutenu par une communauté. Ce n’est absolument pas neutre.

Le FBI connaît mais pas la justice

D’autant que le terrorisme aux États-Unis ne peut venir que de l’extérieur. Si le FBI parle bien de terrorisme “domestique” ou “intérieur”, la justice a les moyens de lutter uniquement contre les groupes étrangers opérant ou voulant opérer aux États-Unis. Pourquoi ? Simplement, comme l’explique cet article du New York Times (en anglais), parce que le Patriot Act, cette loi d’exception qui donne tout pouvoir aux agences fédérales pour combattre le terrorisme, ne le prévoit pas !

Et pour ces mêmes raisons, l’auteur de la tuerie d’El Paso pouvait bien se vanter à l’avance de son méfait, tout cela passait pour de la simple liberté d’expression.

Le soutien au terrorisme

Il faut écouter avec beaucoup d’intérêt ce que le président américain dit de ces crimes et de la manière dont il va les exploiter dans sa campagne.

Que se serait-il passé si les tueries de masse de ce sanglant week-end avait été perpétrées au nom de l’Islam radical ?

Dans son éditorial au lendemain du drame, le New York Times répond à cette question (en anglais): tous les moyens de l’état fédéral auraient été mobilisés.

On aurait cherché ceux qui avaient financé… La manière dont les armes avaient été acquises… La manière dont l’idéologie s’est répandue… On aurait surveillé les communautés qui répandent ces idéologies…

Surtout, personne n’aurait jamais pensé à rejeter la faute sur les jeux vidéos – comme l’a fait le lieutenant-gouverneur du Texas. Un argument qui a été repris par la suite par le locataire de la Maison blanche.

Islamisme radical et suprématistes blancs, même combat

Pourtant comme l‘affirme un ancien agent spécial du FBI (en anglais) toujours dans le New York Times, les suprématistes blancs et les djihadistes ne sont pas bien différents. Et c’est plutôt une perception culturelle qui les éloigne. Comme les extrémistes islamistes ont leur champ de bataille en Syrie et en Irak, les extrémistes blancs ont leur champ de bataille en Ukraine.

L’ancien agent du FBI note d’ailleurs que l’un d’entre eux avait appelé son mouvement « the base », qui est la traduction exacte d’Al-Qaeda. D’autres noteront également que le terme « salafiste » se rapporte aux ancêtres – à la souche. Les extrémistes sont finalement dans la même recherche d’un passé fantasmé, obsédés par une soi-disant pureté et intégrité.

La France n’est pas à l’abri

La tuerie d’El Paso, comme d’autres avant elle et la réaction des démocraties occidentales (ou plutôt l’absence de réaction occidentale à ces tueries) montre combien les sociétés américaines et européennes ont un problème – non avoué – avec l’idéologie des suprématistes blancs.

Aucune de ces démocraties n’ose s’attaquer aux racines du problème et les dénoncer avec la même virulence que n’importe quelle autre entreprise de déstabilisation et de terreur.

Quelque part l’idéologie a toujours existé et n’a jamais été frontalement attaquée. Mais la France comme la démocratie américaine n’est pourtant pas à l’abri de ce type de terrorisme.

Capter les signaux faibles

En 2017, plusieurs arrestations en lien avec des militants d’ultra-droite avaient eu lieu en France. Les 10 personnes interpellées projetaient plusieurs attentats contre des lieux de culte et des hommes politiques. C’est aussi un français, Renaud Camus, qui a inventé le « grand remplacement » qui a servi de fond idéologique et de vernis intellectuel à l’extrême-droite et aux tueurs d’El Paso et de Christchurch.

Tout cela constitue un bruit de fond, détestable et odieux. En matière de sûreté, on évoque souvent les signaux faibles… Mais toujours après coup.

Il est temps de les capter, car nous sommes les prochains sur la liste.

David Kapp
Journaliste

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