L’insoutenable banalité du feu de Notre-Dame de Paris
Deux jours après l’incendie effroyable de la cathédrale Notre-Dame de Paris flotte encore l’odeur des cendres et de la désolation. Comment accepter la destruction par le feu d’un chef d’œuvre qui a traversé les siècles et ses tourments ?
Hannah Arendt parlait de la banalité du mal, il existe aussi la banalité de la stupidité, la banalité de la maladresse, la banalité de l’inconscience.
Bien sûr quand on a, comme la cathédrale de Paris, traversé sans encombre des guerres mondiales et des révolutions, et qu’on est toujours debout et étincelante après tant d’années, notre cerveau ne peut pas se résoudre à voir la chute absurde de sa flèche. Toutes les théories du complot qui fleurissent depuis sur la toile ne sont que l’expression de ce désarroi.
500 tonnes de chêne
Il suffit pourtant de revenir à la conception même de la flèche, 500 tonnes de chêne recouverts de 250 tonnes de plomb (dont le point de fusion est proche de 350 degrés), pour mesurer sa fragilité. La flèche ne s’est pas simplement effondrée… Elle a littéralement coulée et s’est affaissée sous son propre poids.
À partir de 500 degrés le plomb part littéralement en fumées. On n’a d’ailleurs parlé nulle part des risques sanitaires liés à cet incendie hors-norme : quid des eaux extinctions… Ont-elles regagné la Seine ? Et les fumées sur la ville, y-avait-il un risque ? Ingérées par les fumées, le plomb entre dans le sang via les poumons. Il est toxique.
La beauté des ruines
Assister à la disparition de ce joyau artistique était aussi beau qu’effroyable. Les photos de cet événement sont toutes aussi magnifiques parce qu’elles résonnent aussi comme un écho aux valeurs qu’elles portent : vanité des constructions humaines lit-on dans l’Ecclésiaste.
Mais quitte à partir dans les cendres, tout le monde préférerait que l’origine du spectacle soit une effroyable calamité.
L’enquête qui a été ouverte le jour même laisse peu de place au suspense : destruction involontaire par incendie. Même si des rebondissements sont toujours possibles, l’origine la plus probable est accidentelle.
La recherche vaine d’un coupable
Une cathédrale qui a tenu 674 ans sans dommage majeur ne se transforme pas en torche enflammée soudainement.
Pourtant, il ne sert à rien de chercher un coupable car la responsabilité du drame est collective.
Comme nous l’évoquions dans nos colonnes dès mardi, comment accepter qu’un incendie d’une telle ampleur ne soit finalement que la répétition d’autres incendies survenus dans des conditions similaires ?
Bis repetita
Les travaux sont une cause récurrente d’incendie. Les feux de combles ne sont pas nouveaux. Tous les ingrédients de ce sinistre se retrouvent dans d’autres : La Basilique de Nantes en 2015, dont la photo de la toiture vue du ciel est une copie conforme de celle de Notre-Dame ces jours-ci… L’hôtel de Ville de La Rochelleen 2013 lui-aussi en travaux… Et tous ces autres sinistres évoqués en 2016 mais auxquels on aurait pu littéralement en ajouter une dizaine d’autres.
Même la cinétique de l’incendie, mise en lumière par le New York Times, tout comme le développement du front de flammes, sont identiques à des sinistres antérieurs survenus de la même manière dans des églises et des cathédrales.
Quelles mesures de protection ?
Depuis le drame, on entend des experts plus ou moins autoproclamés inviter les pouvoirs publics à mettre en place des mesures passives comme l’ignifugation ou le compartimentage, ou encore des mesures actives de protection comme des systèmes sprinkleurs (en anglais) très courantes chez nos voisins anglo-saxons et dans les pays scandinaves (en anglais).
Bien évidemment, quand ils sont correctement installés ces systèmes fonctionnent. Surtout les sprinkleurs qui atteignent des taux records d’extinction (autour de 80 %). Mais il faut les maintenir… Ce qui parfois augmente les risques et ajoute complexité et opérations humaines.
Dans la plupart des situations de travaux, réfection, aménagement, restauration et même construction, ils sont par nature éteints pour éviter leur déclenchement intempestif. En effet, un faux départ de feu ou une mauvaise détection peut se révéler plus destructeur encore que le mal contre lequel ces systèmes cherchent à protéger. Il faut imaginer par exemple qu’un système sprinkleur crache entre 2 et 12 litres sur 1 m² en 1 minute.
L’eau, ça mouille toujours
Autant dire que le temps que le système soit éteint, les peintures, les gravures et toutes les petites œuvres autour peuvent être foutues.
On objectera qu’on peut mettre du brouillard d’eau pour limiter la quantité d’eau et contrôler un foyer naissant. Bien sûr, aucune technique ne doit être écartée… Mais on peut se demander aussi – très légitimement – ce qui fait qu’aujourd’hui un bâtiment, dont l’activité a certes été parfois modifiée, aurait d’un seul coup besoin de technologies inconnues à l’époque de sa construction !
La technique n’est pas une fin en soi
La réponse n’est jamais évidente car on voit bien que les solutions techniques sont en premier lieu retenues.
C’est naturel car elles sont commercialisables. D’autres solutions plus efficaces le sont moins. Nous savons manier des appareils étrangement compliqués mais nous ne savons pas prévenir un incendie.
Au moment du débat sur les détecteurs incendie dans les habitations, les échanges ont porté essentiellement sur la technologie et très peu sur la culture, l’information et la formation.
Comme on ne connaît pas le nombre de personnes décédées dans les incendies, on ne sait pas si ces mesures techniques furent efficaces.
La leçon des attentats de Paris
Au lendemain des attentats de Paris, le Général Philippe Boutinaud, commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris avait lancé l’initiative « Les gestes qui sauvent ». L’initiative, qui se poursuit encore aujourd’hui et qui a même été reprise par la fédération des sapeurs-pompiers de France, permet à tout à chacun âgé de plus de 12 ans de s’initier aux gestes de premiers secours.
Ainsi le 12 février 2017, Philippe Boutinaud nous confiait que les pays nordiques et notamment la Norvège avaient un taux de près de 95 % de la population formée aux gestes de premiers secours… Quand la France avait un taux autour de 20 %, grâce notamment aux SST, les secouristes du travail. Portés par les attentats, cette initiative a rayonné au-delà et augmenté le niveau de sécurité de tous.
L’importance de la formation
Comment se fait-il que cela ne soit pas obligatoire ? Cette formation ne devrait-elle pas être intégrée à l’enseignement civique et moral ? Et si c’était le cas, ne faudrait-il pas y ajouter des notions basiques sur la protection incendie ? Tous les salariés ont normalement eu une initiation sur le sujet à travers le fameux « feu de friteuse » ? Ce n’est pas toujours le cas et la population n’est pas toujours salariée. Cela ne devrait-il pas faire partie du bagage essentiel de tous citoyens ?
Le triangle du feu c’est quoi ?
La première fois que j’ai entendu parler du triangle du feu c’était en 2005, je rentrais à Face au Risque. Le feu est-il si compliqué : un comburant, un combustible, une énergie d’activation (certes c’est un peu plus compliqué, mais la base est là) ? Faut-il être spécialiste du domaine pour en être informé sur la question et connaître les bases de la prévention ? Cet enseignement à la sécurité ne devrait-il pas être dispensé comme les cours de sécurité routière le sont par les gendarmes, par des sapeurs-pompiers ? Ce serait l’occasion sans doute de voir des vocations naître dans un métier où le volontariat est si important.
Et le Permis de feu ?
À la question le triangle du feu, c’est quoi ? On peut ajouter celle sur le permis de feu. Comment se fait-il que des travaux soient encore organisés sans ce document ? Et pourquoi ne pas, comme dans les pays scandinaves, prévoir un “passeport feu”… Un examen assorti d’une formation qui permet, comme le permis de conduire, d’avoir l’autorisation d’effectuer des travaux dangereux.
Maladresse, imprudence et méconnaissance
Sans doute par imprudence, maladresse, méconnaissance et peut-être absence de surveillance de travaux entrepris plusieurs jours avant, le feu a ravagé Notre-Dame de Paris. Mais toutes ces hypothèses mises bout à bout sont l’expression d’un seul et même symptôme : l’ignorance complète des dangers de l’incendie.
Emporter le feu
Quand on demandait à Jean Cocteau ce qu’il emporterait en cas d’incendie dans sa maison, il répondait simplement : le feu !
L’incendie de Notre-Dame a en définitive été bénin : aucun mort dans le public ni chez les sapeurs-pompiers, de nombreuses œuvres inestimables sauvées et la Cathédrale est toujours debout ! Et il n’y a aucun doute sur son maintien et sa reconstruction.
Souhaitons que le feu n’ait pas été en vain et qu’il porte l’étincelle qui éveille la flamme de la connaissance incendie.
David Kapp – Journaliste
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