Frédéric Goulet, ancien chef du BPRI : « pragmatisme a été mon maître-mot »

16 juillet 202510 min

Le colonel Frédéric Goulet a officié en tant que chef du Bureau de la prévention et de la réglementation incendie (BPRI) de mars 2022 à janvier 2025. Nous l’avons interviewé à l’issue de son mandat pour faire le bilan de l’activité du Bureau et prendre connaissance des grands chantiers réglementaires en cours*.

Colonel Frédéric Goulet © Sdis 51

Quels ont été les principaux dossiers dont vous avez été en charge durant vos trois années passées à la tête du BPRI ?

Frédéric Goulet. Nous avions un certain nombre de sujets de fond. Certains étaient déjà engagés à mon arrivée en 2022, comme les textes liés à la loi Essoc ou bien la construction en matériaux biosourcés. Nous avons aussi pu en ouvrir d’autres. Nous sommes parvenus à sortir des textes comme les arrêtés MS 70, MS 71, les câbles, les ERP itinérants, les structures provisoires et démontables, etc. La problématique pour nos dossiers, c’est que l’on est sur du temps long. Il n’y a pas d’inaction de l’État, mais pour produire de la règle proportionnée, ajustée aux besoins et pleinement applicable, cela nécessite des études, de la concertation et de la consolidation. Notre activité consiste à rédiger, simplifier et harmoniser la réglementation de sorte à conserver des mesures proportionnées, équilibrées, acceptables et partagées par tous. Pragmatisme a été mon maître-mot durant ces trois années. Il faut garder la réalité du terrain à l’esprit car on voit très bien comment les choses peuvent diverger pour les différentes parties prenantes. Parfois même, différentes politiques publiques peuvent venir se télescoper. Nous devons essayer de préserver les intérêts de chacun tout en garantissant un haut niveau de sécurité.

« Notre activité consiste à rédiger, simplifier et harmoniser la réglementation de sorte à conserver des mesures proportionnées, équilibrées, acceptables et partagées par tous. »

Colonel Frédéric Goulet, chef du Bureau de la prévention et de la réglementation incendie (BPRI) de mars 2022 à janvier 2025.

* Une partie des textes évoqués par l’ex-chef du BPRI, actuel directeur départemental du Sdis de la Marne, a pu être publiée depuis l’entretien réalisé début 2025.

Concernant la loi Essoc, la réécriture du CCH est achevée. Mais qu’en est-il des textes à venir ?

F. G. Le dossier Essoc est assez massif et faramineux, au regard du champ des textes et de la sécurité, avec cette volonté de rapatrier une partie du code du travail dans le CCH. Nous avons réussi à trouver des dispositions pour la sécurité afin d’aboutir à des réécritures intéressantes. En réalité, les chantiers ouverts par le BPRI sont gigantesques. La concomitance des dossiers, avec le sujet du bois notamment qui nous occupe depuis longtemps, et la nécessité de prioriser les sujets, ont fait que les derniers textes « Essoc » n’ont pas pu sortir pour le moment. Sur le volet solutions d’effet équivalent (SEE), nous travaillons sur les exigences fonctionnelles et les procédures. Il reste à écrire une déclinaison technique des exigences fonctionnelles en termes d’objectifs de sécurité, qui soit commune et partagée. Le principe consiste à entrer dans les détails pour ne pas laisser la place à une interprétation qui serait liée à chaque usage. C’est pour cela que c’est compliqué. Mais nous sommes en phase de convergence entre ministères. Nous espérons voir le bout du tunnel très prochainement.

« Au travers des SEE vont apparaître des cahiers des charges d’exploitation qui seront liés aux spécificités du bâtiment. »

Colonel Frédéric Goulet, chef du Bureau de la prévention et de la réglementation incendie (BPRI) de mars 2022 à janvier 2025.

Avec la loi Essoc et la démonstration de l’atteinte d’un résultat, la sécurité incendie change de paradigme ?

F. G. Effectivement, on peut le constater notamment à travers tous les dispositifs alternatifs que nous allons offrir aux dispositions prescriptives… Mais l’idée est tout de même de garder un volet prescriptif qui s’appliquera à la majorité des bâtiments, et qui permettra aux constructeurs de pouvoir atteindre le niveau de sécurité exigé de manière simple et lisible. Certes, aujourd’hui l’ingénierie de sécurité incendie existe déjà en ERP et on a l’article 105 du 31 janvier 1986 du côté de l’habitation. Mais les SEE vont venir supplanter tout cela. Il y aura bien l’exigence de respecter et de démontrer que l’on atteint les objectifs de sécurité fixés par les exigences fonctionnelles inscrites dans le CCH. Dans ce cadre, la responsabilité du constructeur sera engagée, tout comme celle de l’exploitant, puisqu’au travers des SEE vont apparaître des cahiers des charges d’exploitation qui seront liés aux spécificités du bâtiment.

Certains disent que le dispositif de SEE introduit de la complexité, loin des objectifs de simplification et de lisibilité vantés au départ…

F. G. En effet, on vient introduire un dispositif supplémentaire, mais qui vient harmoniser les pratiques entre les divers usages. Les ERP avaient déjà à leur disposition l’ingénierie de sécurité incendie. Les habitations avaient également des dispositifs similaires, mais avec des procédures qui étaient différentes au travers de l’article 105. Au moins, à défaut de simplifier, on harmonise et on ouvre à l’innovation. C’était surtout cela l’objectif d’Essoc au départ : simplifier ce qui peut l’être, mais surtout permettre l’innovation. C’est toute la difficulté d’innover lorsqu’on est dans l’inconnu et qu’on veut s’assurer d’un niveau de sécurité suffisant.

« Le fait d’intégrer des matériaux biosourcés change complètement de paradigme par rapport à ce que l’on a pu connaître avec des constructions comportant des matériaux incombustibles. »

Colonel Frédéric Goulet, chef du Bureau de la prévention et de la réglementation incendie (BPRI) de mars 2022 à janvier 2025.

Colonel Frédéric Goulet © Sdis 51

Vous avez évoqué l’autre gros chantier en cours, la construction en matériaux biosourcés…

F. G. Il y a plusieurs difficultés. La première, c’est que nous essayons d’élaborer des dispositions réglementaires à la lumière des connaissances scientifiques du moment, qui sont en constante évolution, tout en essayant de trouver des positions proportionnées pour tenir compte des impératifs des enjeux de la transition énergétique. Donc en permettant l’intégration des matériaux biosourcés, mais sans transiger sur la sécurité des usagers quels qu’ils soient, ni celle des secours. Le fait d’intégrer des matériaux biosourcés change complètement le paradigme par rapport à ce que l’on a pu connaître avec des constructions comportant des matériaux incombustibles. L’autre difficulté, c’est de faire converger des réglementations qui sont relativement cloisonnées à travers leur partage par usage. L’objectif ambitieux de cette révision réglementaire est de disposer de principes directeurs communs pour offrir de la visibilité aux porteurs de projets, aux constructeurs, afin d’avoir de la cohérence quel que soit l’usage du bâtiment.

Quels sont les autres dossiers que vous avez traités ?

F. G. Nous avons travaillé sur les GZ, tous les articles des installations gaz du règlement ERP, en étroite collaboration avec le Centre national d’expertise des professionnels de l’énergie gaz (CNPG). Nous avons repris fondamentalement avec eux toutes les dispositions techniques relatives à ces installations de sorte à en simplifier la prise en compte tant par les exploitants que par les contrôleurs, et en fixant plutôt des objectifs que des mesures techniques. Les dispositions techniques seront traitées par des guides professionnels qui seront visés par les différents ministères.

Nous avons également une reprise des CH pour intégrer tout ce qui est combustibles solides, et notamment les matériaux biosourcés : les usages de bois et plaquettes qui n’étaient pas intégrés dans la réglementation.

Un autre gros sujet est celui de l’habitat inclusif. Là, nous nous sommes coordonnés avec le ministère du Logement et celui des Solidarités. Ce travail à trois directions a visé à améliorer substantiellement la sécurité des habitats inclusifs partagés, que l’on pourrait associer à de la colocation, en produisant des mesures de sécurité simples et acceptables.

Nous avons travaillé également sur les centres de rétention administrative afin d’en clarifier le statut juridique. Dans les projets, nous sommes en train de réviser les arrêtés de 2002 et 2004 avec les laboratoires sur la réaction et la résistance au feu.

Nous allons travailler en 2025 sur les arrêtés Ssiap et notamment sur la gestion des examens et des diplômes. Nous sommes en train de concevoir une base de données nationale qui sera une plateforme de gestion des examens et des diplômes, de sorte à fiabiliser la production des qualifications Ssiap.

Est-ce que l’incendie mortel du gîte de Wintzenheim en août 2023 a engendré une réflexion au niveau des ministères concernés ?

F. G. Les travaux étaient déjà engagés sur l’habitat inclusif avant ce drame. Mais Wintzenheim a illustré tragiquement les avertissements que nous avions formulés sur un usage dérégulé d’une colocation avec des personnes âgées en état de dépendance ou bien en situation de handicap. Bien que je ne sois pas sûr que, dans le cas de Wintzenheim, le statut du handicap des occupants ait eu un caractère majorant sur le bilan définitif. Mais il est vrai que nous avons observé un certain nombre d’incendies, et nous avons aussi été alertés par quelques élus sur un certain nombre d’hébergements touristiques, type Airbnb, gérés par des plateformes : c’est un sujet qui nous préoccupe. Cela appelle une certaine vigilance sur le fait qu’aujourd’hui, pour ce qui est des meublés de tourisme ou des habitats touristiques de moins de quinze occupants, nous n’avons aucune règle, hormis celles de l’habitation. Or, à mon sens, les règles de l’habitation ne sont pas forcément appropriées au niveau de risque. Et l’on pourrait étendre ce constat aux nouveaux modes de vie en habitation au travers de la colocation de grandes dimensions : les coliving ou les colocations risquent de devenir un sujet.

Comment le sujet des batteries lithium et de leurs multiples usages occupe-t-il les réflexions du BPRI ?

F. G. Pour les petites mobilités, nous les intégrons dans nos travaux, puisque l’on voit que l’on a du remisage de trottinettes ou de vélos électriques dans les bâtiments et dans les parcs de stationnement. C’est un risque à prendre en compte, et différemment de la batterie de forte capacité liée aux véhicules électriques. Depuis septembre 2024, nous travaillons également sur les parcs de stationnement : nous avons lancé un groupe de travail sur la révision des réglementations des parcs de stationnement avec une volonté de rapprochement et d’harmonisation des réglementations habitation, BUP et ERP. Ces derniers temps, on observe une massification des feux de parcs de stationnement, avec plus de véhicules impliqués. Il faut que l’on repense la sécurité des parcs de stationnement, a fortiori avec la généralisation de l’électrification des véhicules.

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Article extrait du n° 608 de Face au Risque : « Vidéosurveillance algorithmique » (juillet-août 2025).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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