Un partenariat
La sous-traitance dāune opĆ©ration suppose au prĆ©alable du donneur dāordres quāil en ait une parfaite connaissance et maĆ®trise des diffĆ©rents aspects et enjeux. Au besoin, il lui appartient de sāentourer de lāensemble des compĆ©tences nĆ©cessaires.
La dĆ©cision de sous-traiter ou pas doit sāaccompagner ainsi dāune analyse de risques et de mesures spĆ©cifiques visant Ć peser le pour et le contre, et pas uniquement en termes Ć©conomiques. Il ne sāagit pas dāune dĆ©lĆ©gation totale de la tĆ¢che Ć effectuer mais dāun partenariat qui impose au donneur dāordres dāinvestir aussi en accompagnement, en surveillance et en informations.
Ensuite, Ć chaque phase selon le schĆ©ma ci-aprĆØs, des actions sont Ć mener.
La maĆ®trise des risques liĆ©s Ć la sous-traitance commence dĆØs la rĆ©daction de lāappel dāoffres. La rĆ©daction du cahier des charges du prestataire doit ĆŖtre lāoccasion dāintĆ©grer les Ć©lĆ©ments Ć prendre en considĆ©ration en termes de risques dĆØs lors que les situations se prĆ©senteront : coactivitĆ©, zone Atex (atmosphĆØre explosive), travaux en ARI (appareil respiratoire isolant) ou en hauteur, matĆ©riel spĆ©cifique, risques chimiques.
Il faut prĆ©ciser qui doit fournir les dispositifs de protection tels que contrĆ“leurs dāatmosphĆØre ou autres. La rĆ©partition des rĆ“les et responsabilitĆ©s ainsi que les actions de contrĆ“le doivent ĆŖtre contractualisĆ©es : contrĆ“le qualitĆ© mais aussi points dāarrĆŖts[2] et points dāalerte[3].
IntĆ©grer un taux dāencadrement minimum et un taux de contrĆ“le par le service hygiĆØne et sĆ©curitĆ© du prestataire dĆØs lāappel dāoffres permet de sāassurer dāun regard sĆ©curitĆ© par ce dernier.
La rƩdaction du
plan de prĆ©vention doit se faire avec lāencadrement qui sera rĆ©ellement prĆ©sent lors de lāintervention. Il est primordial de visualiser sur le terrain les contraintes liĆ©es Ć lāintervention, aussi bien pour le donneur dāordres que pour le prestataire : prĆ©sence de rĆ©seaux aĆ©riens, difficultĆ©s dāaccĆØs, risque dāemprise des travaux sur les cheminements, lieu de stockage du matĆ©riel, accĆØs aux Ć©nergies, coactivitĆ© prĆ©vue, avec qui, pour quoi, risques prĆ©sents dans la zone (Atex, produits chimiques par exemple), risques apportĆ©s par le prestataire (point chaud, levage, etc.)ā¦
Le donneur dāordres doit valider la coordination des mesures de prĆ©vention : qui fournit les protections antiĆ©tincelles, les dĆ©tecteurs de gaz, les tuyaux pour se brancher sur lāair comprimĆ©ā¦ ?
Une bonne prĆ©paration engendrera moins dāimprĆ©vus lors du dĆ©marrage de chantier. Pour cela, le donneur dāordres doit procurer les moyens Ć son personnel pour effectuer une prĆ©paration de chantier efficace.
Lāouverture de chantier est le dernier moment avant que le prestataire nāintervienne sur le site du donneur dāordres. Faire de lāouverture de chantier un point dāarrĆŖt permet de sāassurer de la rĆ©alitĆ© du respect du plan de prĆ©vention (connaissance des consignes, protections individuelles, matĆ©riel conforme, habilitations du personnelā¦) pour la partie prestataire, et du respect de ce qui Ć©tait prĆ©vu (coactivitĆ©, consignations, accĆØs aux zonesā¦).
Cela est dāautant plus important en cas dāinterventions en urgence.
Lāouverture de chantier peut nĆ©anmoins ĆŖtre adaptĆ©e en fonction de lāimportance de lāintervention et de la relation historique entre le donneur dāordres et le prestataire, avec une attention particuliĆØre au personnel intervenant (habituĆ© ou non au site).
Le donneur dāordres doit Ć©laborer un programme de contrĆ“le rĆ©alisable et adaptĆ© aux enjeux. Pour cela, il doit se doter de compĆ©tences permettant dāassurer cette tĆ¢che de maniĆØre efficace.
Par exemple, faire appel Ć une entreprise spĆ©cialisĆ©e pour effectuer des soudures ne dispense pas de rĆ©aliser des contrĆ“les de qualitĆ© de ces derniĆØres. Mais il faut avoir des qualifications et du temps pour pouvoir les contrĆ“ler. Sāil ne les a pas en interne, le donneur dāordres peut sous-traiter cette opĆ©ration de contrĆ“le.
Ce suivi de chantier permet de vĆ©rifier Ć chaque point dāarrĆŖt et point dāalerte que tout se dĆ©roule comme prĆ©vu. Par exemple quāun joint de qualitĆ© A nāest pas mis en place alors quāil Ć©tait prĆ©vu un joint de qualitĆ© B.
Le suivi de chantier permet aussi de sāassurer que la pression du planning nāengendre pas des opĆ©rations trop rapidement rĆ©alisĆ©es ou des prises de risques. Ce suivi permet de recaler le planning et, au besoin, de refaire une analyse de risques pour garantir une prestation de qualitĆ© rĆ©alisĆ©e en toute sĆ©curitĆ©.
Afin de valider la fin des travaux, mais aussi la remise Ć disposition des Ć©quipements au donneur dāordres, une visite de rĆ©ception conjointe aprĆØs chantier sāavĆØre indispensable, sur la base dāune check-list des points Ć vĆ©rifier. Il arrive que des incidents se produisent entre quelques heures (point chaud couvant) et plusieurs mois aprĆØs une intervention (mauvais montageā¦), alors quāun contrĆ“le final aurait pu Ć©viter lāĆ©vĆ©nement.
Lāimpact du choix de la conception sur les risques
Et si les risques auxquels sont exposĆ©s les prestataires (ou les employĆ©s si les travaux sont rĆ©alisĆ©s en interne) venaient des choix effectuĆ©s Ć la conception ? Exemple dāune explosion de cuve dans une entreprise de distribution de produits chimiques : Aria nĀ° 51263.
Le 21 mars 2018, vers 10 h, lors du nettoyage, par deux sous-traitants, dāune cuve extĆ©rieure enterrĆ©e pouvant contenir 35 m3 dāacĆ©tate dāĆ©thyle, une explosion se produit dans une entreprise de distribution de produits chimiques classĆ©e Seveso. Au moment de lāexplosion, la trappe dāaccĆØs Ć la cuve est ouverte. Lāexploitant dĆ©clenche le POI (plan dāopĆ©ration interne). Les sous-traitants sont griĆØvement brĆ»lĆ©s.
Les deux intervenants ont commencĆ© une opĆ©ration de nettoyage de la cuve enterrĆ©e Ć 8 h 30. Ce jour-lĆ , la mĆ©tĆ©o est propice Ć lāapparition dāĆ©lectricitĆ© statique. Ils ont dĆ©montĆ© les canalisations reliĆ©es Ć la cuve, puis le couvercle de la cuve. Au moment de lāexplosion, le couvercle avait Ć©tĆ© soulevĆ© par un trĆ©pied et les sous-traitants avaient introduit le flexible de pompage dans la cuve.
Les causes suivantes sont constatƩes :
- dĆ©faut de mise Ć la terre du trou dāhomme ;
- non obturation des brides (afin de limiter les Ć©missions de vapeur) ;
- absence dāextraction des vapeurs dans la cheminĆ©e.
Ces dispositions Ʃtaient pourtant inscrites dans le plan de prƩvention et dans le mode opƩratoire du prestataire.
La conception de cette cuve :
- ne permet pas la vidange totale de celle-ci par les moyens fixes associƩs ;
- ne permet pas lāinertage du ciel gazeux par des moyens automatiques ;
De plus, son ergonomie impose :
- de travailler dans un conduit Ć©troit avec beaucoup de manipulations pour dĆ©visser lāensemble des canalisations,
- avant dāatteindre la cuve, de passer par une petite porte isolĆ©e et dāenjamber des nappes de conduite, tout en transportant le matĆ©riel,
- ensuite dāentrer par le trou dāhomme en ARI pour nettoyer la cuve,
- beaucoup de contraintes pour Ć©viter tout risque dāexplosion.
Si la conception avait intĆ©grĆ© un systĆØme permettant de sāaffranchir de la zone Atex avant toute intervention, le risque aurait Ć©tĆ© presque nul dāavoir une explosion en prĆ©sence dāintervenants.
Conclusion
La sous-traitance a lāavantage de confier le geste technique Ć des spĆ©cialistes. NĆ©anmoins, faire entrer un sous-traitant sur un site nĆ©cessite un accompagnement et un investissement non nĆ©gligeable de la part du donneur dāordres. Les lignes directrices et bonnes pratiques existent et sont dĆ©jĆ intĆ©grĆ©es dans lāindustrie nuclĆ©aire depuis de nombreuses annĆ©es.
La gestion de la sous-traitance est une fonction clĆ© dans la maĆ®trise des risques pour le donneur dāordres. Il appartient Ć ce dernier dāinvestir dans des Ć©quipes qui doivent avoir les moyens de leur mission : temps, connaissances, compĆ©tences. Mais cet investissement est nĆ©cessaire pour maĆ®triser les risques liĆ©s Ć la sous-traitance.
Enfin, il ne faut pas oublier que la maĆ®trise des risques commence dĆØs la conception des installations.
Accidents illustratifs
27 juin 2019, FinistĆØre (Aria nĀ° 53866)
Une explosion suivie dāun incendie se produisent dans un digesteur de 15 m de haut contenant 300 mĀ³ de lisier. Une boule de feu est aperƧue. Un pompier est victime dāun coup de chaud et deux personnes sont choquĆ©es. Le digesteur est dĆ©formĆ©, la toiture a sautĆ©, conduisant Ć lāĆ©jection dāune faible quantitĆ© de lisier. Le digesteur de 2 500 mĀ³ faisait partie dāune unitĆ© de mĆ©thanisation en cours dāinstallation. Les conduites de gaz nāĆ©taient pas encore branchĆ©es, les installations nāĆ©taient pas encore rĆ©ceptionnĆ©es par lāexploitant. Du lisier y avait toutefois dĆ©jĆ Ć©tĆ© stockĆ© en nonconformitĆ© avec la rĆ©glementation applicable. Lāexplosion est survenue alors que des sous-traitants raccordaient Ć la terre un appareil pour souder les conduites de gaz. Lāexploitant affirme que les sous-traitants avaient Ć©tĆ© informĆ©s de la prĆ©sence de lisier dans la cuve gĆ©nĆ©rant un risque dāatmosphĆØre explosive mais quāaucun zonage Atex nāavait Ć©tĆ© rĆ©alisĆ©.
Lāaccident rĆ©vĆØle une sous-estimation des risques au regard des enjeux de sĆ©curitĆ© de ce type dāinstallation. Lāexploitant explique son empressement Ć dĆ©marrer le remplissage du digesteur par lāobligation dāhonorer Ć une Ć©chĆ©ance proche un contrat de rachat dāĆ©lectricitĆ© ainsi quāun contrat de valorisation dāeffluents en provenance dāagriculteurs.
19 dĆ©cembre 2019, Nord (Aria nĀ° 54839)
Ć 6 h, une alarme de dĆ©tection dāammoniac se dĆ©clenche, coupant automatiquement les compresseurs NH3 de lāinstallation frigorifique, le local Ć©lectrique ainsi que les extractions. ArrivĆ©e sur place Ć 6 h 30, lāastreinte Ć©nergie recherche la fuite munie dāappareils respiratoires isolant (ARI). Le personnel est Ć©vacuĆ© et lāexploitant appelle les pompiers Ć 7 h 10. Les employĆ©s dāune entreprise voisine sont Ć©galement mis en sĆ©curitĆ©. La fuite est localisĆ©e au niveau dāune conduite sous pression. Un barrage de la canalisation est rĆ©alisĆ©. Vers 10 h, les secours mettent en place un extracteur mĆ©canique pour Ć©vacuer les gaz et un rideau dāeau pour neutraliser le nuage toxique. Lāextraction se poursuit le temps dāabaisser les teneurs en ammoniac en dessous du seuil de dangerositĆ©. Les pompiers quittent les lieux Ć 12 h 30.
La fuite est liĆ©e Ć des travaux sur le circuit de la centrale eau glacĆ©e qui ont dĆ©butĆ© la veille. Un opĆ©rateur dāune sociĆ©tĆ© extĆ©rieure intervient sur une conduite entre deux vannes. Il vĆ©rifie que la premiĆØre est bien fermĆ©e, puis retire le bouchon de la deuxiĆØme vanne (3 voies) pour installer un manomĆØtre dans le but de vĆ©rifier lāabsence de pression dans le circuit qui doit ĆŖtre dĆ©coupĆ© par les soudeurs. La pression Ć©tant nulle, il dĆ©monte le manomĆØtre sans remettre le bouchon ni refermer cette vanne, pensant terminer lāintervention dans la journĆ©e. Ć 18 h, le chantier ayant pris du retard, la dĆ©coupe et la soudure nāont pas Ć©tĆ© rĆ©alisĆ©es et les Ć©quipes quittent le site en oubliant de fermer la vanne restĆ©e ouverte. Le lendemain Ć 6 h, la vanne non refermĆ©e laisse passer de lāammoniac, dĆ©clenchant lāalarme.
[1] Cf. les chiffres de 2014.
[2] Les points dāarrĆŖt imposent au sous-traitant dāarrĆŖter le dĆ©roulement de sa prestation jusquāĆ ce que le donneur dāordres rĆ©alise un contrĆ“le et autorise la rĆ©alisation des phases suivantes.
[3] Les points dāalerte imposent au sous-traitant de prĆ©venir le donneur dāordres quāil est arrivĆ© Ć telle phase dāavancement de sa prestation. Tout en la continuant, il laisse ainsi la possibilitĆ© au donneur dāordres de rĆ©aliser un contrĆ“le alĆ©atoire.
Article extrait du nĀ° 563 de Face au Risque : Ā« CoactivitĆ© : gĆ©rer la sous-traitance Ā» (juin 2020).
Responsable de la cellule chimie, informatique et Ć©quipements sous pression du Barpi (Bureau dāAnalyse des Risques et Pollutions Industriels)