Sous-traitance et maƮtrise des risques

28 mars 2023ā€¢ā€¢11 minā€¢

La sous-traitance fait partie du monde industriel puisque 74 % des exploitants y ont recours[1]. Mais ce recours doit suivre certaines rĆØgles pour ne pas provoquer des situations dangereuses. ƀ lā€™occasion de la publication dā€™une synthĆØse sur la sous-traitance parue en dĆ©cembre 2019 et corĆ©digĆ©e avec lā€™IRSN (lā€™Institut de radioprotection et de sĆ»retĆ© nuclĆ©aire), le Barpi prĆ©sente un extrait des bonnes pratiques Ć  suivre.

Ceci est une lƩgende Alt

Un partenariat

La sous-traitance dā€™une opĆ©ration suppose au prĆ©alable du donneur dā€™ordres quā€™il en ait une parfaite connaissance et maĆ®trise des diffĆ©rents aspects et enjeux. Au besoin, il lui appartient de sā€™entourer de lā€™ensemble des compĆ©tences nĆ©cessaires.

La dĆ©cision de sous-traiter ou pas doit sā€™accompagner ainsi dā€™une analyse de risques et de mesures spĆ©cifiques visant Ć  peser le pour et le contre, et pas uniquement en termes Ć©conomiques. Il ne sā€™agit pas dā€™une dĆ©lĆ©gation totale de la tĆ¢che Ć  effectuer mais dā€™un partenariat qui impose au donneur dā€™ordres dā€™investir aussi en accompagnement, en surveillance et en informations.

Ensuite, Ć  chaque phase selon le schĆ©ma ci-aprĆØs, des actions sont Ć  mener.

Les 5 phases de l'intervention

La maĆ®trise des risques liĆ©s Ć  la sous-traitance commence dĆØs la rĆ©daction de lā€™appel dā€™offres. La rĆ©daction du cahier des charges du prestataire doit ĆŖtre lā€™occasion dā€™intĆ©grer les Ć©lĆ©ments Ć  prendre en considĆ©ration en termes de risques dĆØs lors que les situations se prĆ©senteront : coactivitĆ©, zone Atex (atmosphĆØre explosive), travaux en ARI (appareil respiratoire isolant) ou en hauteur, matĆ©riel spĆ©cifique, risques chimiques.

Il faut prĆ©ciser qui doit fournir les dispositifs de protection tels que contrĆ“leurs dā€™atmosphĆØre ou autres. La rĆ©partition des rĆ“les et responsabilitĆ©s ainsi que les actions de contrĆ“le doivent ĆŖtre contractualisĆ©es : contrĆ“le qualitĆ© mais aussi points dā€™arrĆŖts[2] et points dā€™alerte[3].

IntĆ©grer un taux dā€™encadrement minimum et un taux de contrĆ“le par le service hygiĆØne et sĆ©curitĆ© du prestataire dĆØs lā€™appel dā€™offres permet de sā€™assurer dā€™un regard sĆ©curitĆ© par ce dernier.

La rĆ©daction du plan de prĆ©vention doit se faire avec lā€™encadrement qui sera rĆ©ellement prĆ©sent lors de lā€™intervention. Il est primordial de visualiser sur le terrain les contraintes liĆ©es Ć  lā€™intervention, aussi bien pour le donneur dā€™ordres que pour le prestataire : prĆ©sence de rĆ©seaux aĆ©riens, difficultĆ©s dā€™accĆØs, risque dā€™emprise des travaux sur les cheminements, lieu de stockage du matĆ©riel, accĆØs aux Ć©nergies, coactivitĆ© prĆ©vue, avec qui, pour quoi, risques prĆ©sents dans la zone (Atex, produits chimiques par exemple), risques apportĆ©s par le prestataire (point chaud, levage, etc.)ā€¦

Le donneur dā€™ordres doit valider la coordination des mesures de prĆ©vention : qui fournit les protections antiĆ©tincelles, les dĆ©tecteurs de gaz, les tuyaux pour se brancher sur lā€™air comprimĆ©ā€¦ ?

Une bonne prĆ©paration engendrera moins dā€™imprĆ©vus lors du dĆ©marrage de chantier. Pour cela, le donneur dā€™ordres doit procurer les moyens Ć  son personnel pour effectuer une prĆ©paration de chantier efficace.

Lā€™ouverture de chantier est le dernier moment avant que le prestataire nā€™intervienne sur le site du donneur dā€™ordres. Faire de lā€™ouverture de chantier un point dā€™arrĆŖt permet de sā€™assurer de la rĆ©alitĆ© du respect du plan de prĆ©vention (connaissance des consignes, protections individuelles, matĆ©riel conforme, habilitations du personnelā€¦) pour la partie prestataire, et du respect de ce qui Ć©tait prĆ©vu (coactivitĆ©, consignations, accĆØs aux zonesā€¦).

Cela est dā€™autant plus important en cas dā€™interventions en urgence.

Lā€™ouverture de chantier peut nĆ©anmoins ĆŖtre adaptĆ©e en fonction de lā€™importance de lā€™intervention et de la relation historique entre le donneur dā€™ordres et le prestataire, avec une attention particuliĆØre au personnel intervenant (habituĆ© ou non au site).

Le donneur dā€™ordres doit Ć©laborer un programme de contrĆ“le rĆ©alisable et adaptĆ© aux enjeux. Pour cela, il doit se doter de compĆ©tences permettant dā€™assurer cette tĆ¢che de maniĆØre efficace.

Par exemple, faire appel Ć  une entreprise spĆ©cialisĆ©e pour effectuer des soudures ne dispense pas de rĆ©aliser des contrĆ“les de qualitĆ© de ces derniĆØres. Mais il faut avoir des qualifications et du temps pour pouvoir les contrĆ“ler. Sā€™il ne les a pas en interne, le donneur dā€™ordres peut sous-traiter cette opĆ©ration de contrĆ“le.

Ce suivi de chantier permet de vĆ©rifier Ć  chaque point dā€™arrĆŖt et point dā€™alerte que tout se dĆ©roule comme prĆ©vu. Par exemple quā€™un joint de qualitĆ© A nā€™est pas mis en place alors quā€™il Ć©tait prĆ©vu un joint de qualitĆ© B.

Le suivi de chantier permet aussi de sā€™assurer que la pression du planning nā€™engendre pas des opĆ©rations trop rapidement rĆ©alisĆ©es ou des prises de risques. Ce suivi permet de recaler le planning et, au besoin, de refaire une analyse de risques pour garantir une prestation de qualitĆ© rĆ©alisĆ©e en toute sĆ©curitĆ©.

Afin de valider la fin des travaux, mais aussi la remise Ć  disposition des Ć©quipements au donneur dā€™ordres, une visite de rĆ©ception conjointe aprĆØs chantier sā€™avĆØre indispensable, sur la base dā€™une check-list des points Ć  vĆ©rifier. Il arrive que des incidents se produisent entre quelques heures (point chaud couvant) et plusieurs mois aprĆØs une intervention (mauvais montageā€¦), alors quā€™un contrĆ“le final aurait pu Ć©viter lā€™Ć©vĆ©nement.

Lā€™impact du choix de la conception sur les risques

Et si les risques auxquels sont exposĆ©s les prestataires (ou les employĆ©s si les travaux sont rĆ©alisĆ©s en interne) venaient des choix effectuĆ©s Ć  la conception ? Exemple dā€™une explosion de cuve dans une entreprise de distribution de produits chimiques : Aria nĀ° 51263.

Le 21 mars 2018, vers 10 h, lors du nettoyage, par deux sous-traitants, dā€™une cuve extĆ©rieure enterrĆ©e pouvant contenir 35 m3 dā€™acĆ©tate dā€™Ć©thyle, une explosion se produit dans une entreprise de distribution de produits chimiques classĆ©e Seveso. Au moment de lā€™explosion, la trappe dā€™accĆØs Ć  la cuve est ouverte. Lā€™exploitant dĆ©clenche le POI (plan dā€™opĆ©ration interne). Les sous-traitants sont griĆØvement brĆ»lĆ©s.

Les deux intervenants ont commencĆ© une opĆ©ration de nettoyage de la cuve enterrĆ©e Ć  8 h 30. Ce jour-lĆ , la mĆ©tĆ©o est propice Ć  lā€™apparition dā€™Ć©lectricitĆ© statique. Ils ont dĆ©montĆ© les canalisations reliĆ©es Ć  la cuve, puis le couvercle de la cuve. Au moment de lā€™explosion, le couvercle avait Ć©tĆ© soulevĆ© par un trĆ©pied et les sous-traitants avaient introduit le flexible de pompage dans la cuve.

Les causes suivantes sont constatƩes :

  • dĆ©faut de mise Ć  la terre du trou dā€™homme ;
  • non obturation des brides (afin de limiter les Ć©missions de vapeur) ;
  • absence dā€™extraction des vapeurs dans la cheminĆ©e.

Ces dispositions Ʃtaient pourtant inscrites dans le plan de prƩvention et dans le mode opƩratoire du prestataire.

La conception de cette cuve :

  • ne permet pas la vidange totale de celle-ci par les moyens fixes associĆ©s ;
  • ne permet pas lā€™inertage du ciel gazeux par des moyens automatiques ;

De plus, son ergonomie impose :

  • de travailler dans un conduit Ć©troit avec beaucoup de manipulations pour dĆ©visser lā€™ensemble des canalisations,
  • avant dā€™atteindre la cuve, de passer par une petite porte isolĆ©e et dā€™enjamber des nappes de conduite, tout en transportant le matĆ©riel,
  • ensuite dā€™entrer par le trou dā€™homme en ARI pour nettoyer la cuve,
  • beaucoup de contraintes pour Ć©viter tout risque dā€™explosion.
Cuve extƩrieure enterrƩe - Droits rƩservƩs
Si la conception avait intĆ©grĆ© un systĆØme permettant de sā€™affranchir de la zone Atex avant toute intervention, le risque aurait Ć©tĆ© presque nul dā€™avoir une explosion en prĆ©sence dā€™intervenants.

Conclusion

La sous-traitance a lā€™avantage de confier le geste technique Ć  des spĆ©cialistes. NĆ©anmoins, faire entrer un sous-traitant sur un site nĆ©cessite un accompagnement et un investissement non nĆ©gligeable de la part du donneur dā€™ordres. Les lignes directrices et bonnes pratiques existent et sont dĆ©jĆ  intĆ©grĆ©es dans lā€™industrie nuclĆ©aire depuis de nombreuses annĆ©es.

La gestion de la sous-traitance est une fonction clĆ© dans la maĆ®trise des risques pour le donneur dā€™ordres. Il appartient Ć  ce dernier dā€™investir dans des Ć©quipes qui doivent avoir les moyens de leur mission : temps, connaissances, compĆ©tences. Mais cet investissement est nĆ©cessaire pour maĆ®triser les risques liĆ©s Ć  la sous-traitance.

Enfin, il ne faut pas oublier que la maĆ®trise des risques commence dĆØs la conception des installations.

Accidents illustratifs

27 juin 2019, FinistĆØre (Aria nĀ° 53866)
Une explosion suivie dā€™un incendie se produisent dans un digesteur de 15 m de haut contenant 300 mĀ³ de lisier. Une boule de feu est aperƧue. Un pompier est victime dā€™un coup de chaud et deux personnes sont choquĆ©es. Le digesteur est dĆ©formĆ©, la toiture a sautĆ©, conduisant Ć  lā€™Ć©jection dā€™une faible quantitĆ© de lisier. Le digesteur de 2 500 mĀ³ faisait partie dā€™une unitĆ© de mĆ©thanisation en cours dā€™installation. Les conduites de gaz nā€™Ć©taient pas encore branchĆ©es, les installations nā€™Ć©taient pas encore rĆ©ceptionnĆ©es par lā€™exploitant. Du lisier y avait toutefois dĆ©jĆ  Ć©tĆ© stockĆ© en nonconformitĆ© avec la rĆ©glementation applicable. Lā€™explosion est survenue alors que des sous-traitants raccordaient Ć  la terre un appareil pour souder les conduites de gaz. Lā€™exploitant affirme que les sous-traitants avaient Ć©tĆ© informĆ©s de la prĆ©sence de lisier dans la cuve gĆ©nĆ©rant un risque dā€™atmosphĆØre explosive mais quā€™aucun zonage Atex nā€™avait Ć©tĆ© rĆ©alisĆ©.
Lā€™accident rĆ©vĆØle une sous-estimation des risques au regard des enjeux de sĆ©curitĆ© de ce type dā€™installation. Lā€™exploitant explique son empressement Ć  dĆ©marrer le remplissage du digesteur par lā€™obligation dā€™honorer Ć  une Ć©chĆ©ance proche un contrat de rachat dā€™Ć©lectricitĆ© ainsi quā€™un contrat de valorisation dā€™effluents en provenance dā€™agriculteurs.
19 dĆ©cembre 2019, Nord (Aria nĀ° 54839)
ƀ 6 h, une alarme de dĆ©tection dā€™ammoniac se dĆ©clenche, coupant automatiquement les compresseurs NH3 de lā€™installation frigorifique, le local Ć©lectrique ainsi que les extractions. ArrivĆ©e sur place Ć  6 h 30, lā€™astreinte Ć©nergie recherche la fuite munie dā€™appareils respiratoires isolant (ARI). Le personnel est Ć©vacuĆ© et lā€™exploitant appelle les pompiers Ć  7 h 10. Les employĆ©s dā€™une entreprise voisine sont Ć©galement mis en sĆ©curitĆ©. La fuite est localisĆ©e au niveau dā€™une conduite sous pression. Un barrage de la canalisation est rĆ©alisĆ©. Vers 10 h, les secours mettent en place un extracteur mĆ©canique pour Ć©vacuer les gaz et un rideau dā€™eau pour neutraliser le nuage toxique. Lā€™extraction se poursuit le temps dā€™abaisser les teneurs en ammoniac en dessous du seuil de dangerositĆ©. Les pompiers quittent les lieux Ć  12 h 30.
La fuite est liĆ©e Ć  des travaux sur le circuit de la centrale eau glacĆ©e qui ont dĆ©butĆ© la veille. Un opĆ©rateur dā€™une sociĆ©tĆ© extĆ©rieure intervient sur une conduite entre deux vannes. Il vĆ©rifie que la premiĆØre est bien fermĆ©e, puis retire le bouchon de la deuxiĆØme vanne (3 voies) pour installer un manomĆØtre dans le but de vĆ©rifier lā€™absence de pression dans le circuit qui doit ĆŖtre dĆ©coupĆ© par les soudeurs. La pression Ć©tant nulle, il dĆ©monte le manomĆØtre sans remettre le bouchon ni refermer cette vanne, pensant terminer lā€™intervention dans la journĆ©e. ƀ 18 h, le chantier ayant pris du retard, la dĆ©coupe et la soudure nā€™ont pas Ć©tĆ© rĆ©alisĆ©es et les Ć©quipes quittent le site en oubliant de fermer la vanne restĆ©e ouverte. Le lendemain Ć  6 h, la vanne non refermĆ©e laisse passer de lā€™ammoniac, dĆ©clenchant lā€™alarme.

[1] Cf. les chiffres de 2014.
[2] Les points dā€™arrĆŖt imposent au sous-traitant dā€™arrĆŖter le dĆ©roulement de sa prestation jusquā€™Ć  ce que le donneur dā€™ordres rĆ©alise un contrĆ“le et autorise la rĆ©alisation des phases suivantes.
[3] Les points dā€™alerte imposent au sous-traitant de prĆ©venir le donneur dā€™ordres quā€™il est arrivĆ© Ć  telle phase dā€™avancement de sa prestation. Tout en la continuant, il laisse ainsi la possibilitĆ© au donneur dā€™ordres de rĆ©aliser un contrĆ“le alĆ©atoire.


Article extrait du nĀ° 563 de Face au Risque : Ā« CoactivitĆ© : gĆ©rer la sous-traitance Ā» (juin 2020).

Vincent PERCHE - BARPI

Vincent Perche

Responsable de la cellule chimie, informatique et Ć©quipements sous pression du Barpi (Bureau dā€™Analyse des Risques et Pollutions Industriels)

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