Les Pfas dans le viseur du législateur européen

Les Pfas dans le viseur de l'Union européenne- Crédit : xyz+/AdobeStock

Les Pfas, ces « substances éternelles » persistantes et bioaccumulables, devraient bientôt disparaître de notre quotidien en raison notamment de leur nocivité pour la santé humaine et l’environnement. Telle semble être la volonté affichée du législateur européen.

Substances préoccupantes pour l’homme et les écosystèmes

Les Pfas sont des perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées regroupant plus de 4 700 substances, dont les plus connues sont l’acide perfluorooctanoïque (Pfoa ou C8) et le sulfonate de perfluorooctane (Pfos).

99 % des habitants de la planète présenteraient des traces de Pfoa dans leur sang, selon Xavier Coumoul, professeur en biochimie et toxicologie à l’université de Paris, interrogé par Reporterre lors de la sortie du film « Dark Waters ». Ce film raconte l’histoire vraie d’une lutte contre une industrie responsable de rejets de Pfoa.

En France, un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de 2019 a révélé que le Pfoa et le Pfos avaient été détectés dans 100 % des 744 adultes et 249 enfants testés.

Ces substances sont pourtant extrêmement mobiles et persistantes dans l’environnement. Les données scientifiques disponibles pour certains Pfas démontrent qu’ils sont reprotoxiques, affaiblissent le système immunitaire et augmentent le risque de développer des maladies cardiovasculaires, des cancers de la prostate, du rein ou encore des testicules.

Or, on les retrouve aujourd’hui partout, principalement polymérisés dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs, comme le téflon, ou pour fabriquer des emballages alimentaires, comme les cartons de pizza et les emballages d’aliments de vente à emporter. Mais on les trouve aussi dans des mousses anti-incendie, des imperméabilisants pour l’industrie textile, pour améliorer la glisse des skis, dans les antiadhésifs, les enduits, les détergents ainsi que dans les pesticides et insecticides.

Ces substances sont notamment résistantes aux chaleurs intenses ou aux acides, à l’eau et aux graisses. Xavier Coumoul, dans son entretien à Reporterre, indique que c’est ce qui explique leur présence dans nombre de produits de consommation et applications industrielles, commercialisés depuis les années 1940.

En tout état de cause, leurs persistances dans les organismes vivants et l’environnement rend tous les Pfas extrêmement préoccupants.

La stratégie européenne relative aux produits chimiques

Dans sa chasse aux composants toxiques, l’Union Européenne est en passe d’interdire la totalité des Pfas.

Un des objectifs de la stratégie européenne du 14 octobre 2020 en matière de produits chimiques visait la suppression progressive de l’utilisation des Pfas au sein de l’UE, à moins que leur utilisation ne soit essentielle.

Cependant, dans le cadre de la vaste révision de la législation européenne sur les produits chimiques, actuellement négociée entre Bruxelles et les États membres, la Commission européenne a présenté, le 25 avril 2022, son nouveau plan d’actions. Il vise à éliminer d’ici à 2030, les substances chimiques les plus dangereuses pour la santé et l’environnement des produits de grande consommation, incluant les Pfas.

Les députés européens veulent également limiter la présence de Pfas dans les déchets, en instaurant des valeurs seuils réduits, pour favoriser leur recyclage dans un contexte d’économie circulaire.

L’Agence européenne des produits chimiques (Echa) a, quant à elle, soumis le 22 février 2022 une proposition visant à interdire la mise sur le marché, l’utilisation et l’exportation de tous les Pfas dans les mousses anti-incendie. Une consultation publique est ouverte sur son site internet depuis le 23 mars 2022.

Les restrictions actuelles

Quelques États ont déjà prohibé certaines utilisations des Pfas. En effet, depuis juillet 2020, le Danemark a interdit leur usage dans les emballages alimentaires et, le 16 juillet 2021, l’État de Maine, dans le nord-est des États-Unis, a promulgué une loi qui interdit, dès 2030, toute utilisation de polyfluoroalkylées, une première mondiale.

En l’état des connaissances actuelles sur les dommages sanitaires et environnementaux causés par les Pfas, il semble en effet urgent pour le législateur d’agir. À ce jour, seuls certains Pfas sont réglementés et les interdictions de fabrication, de mise sur le marché et d’utilisation sont assorties de dérogations, pour la plupart, limitées dans le temps.

Les Pfos et les Pfoa, reconnus comme des polluants organiques persistants (POP), sont les principales substances qui ont fait l’objet d’interdictions. Leur production, mise sur le marché et utilisation ont été prohibées, sauf dérogations, respectivement en 2009 et en 2019 par la Convention internationale de Stockholm du 22 mai 2001, puis, lors de sa transposition par le Règlement (UE) 2019/1021 du 20 juin 2019 concernant les POP. Ce dernier a ainsi inscrit le Pfoa à l’annexe I par l’acte délégué 2020/784 du 8 avril 2020[1].

[1] Règlement délégué (UE) 2020/784 de la Commission du 8 avril 2020 modifiant l’annexe I du règlement (UE) 2019/1021 du Parlement européen et du Conseil aux fins d’y inscrire le Pfoa, ses sels et les composés apparentés (texte présentant de l’intérêt pour l’EEE). En raison des restrictions plus strictes prévues par le Règlement (UE) du 20 juin 2019 concernant les POP, le Pfoa et le Pfos ont été retirés du Règlement (UE) n°1907/2006 du 18 décembre 2006 Reach.

Il est ainsi en principe interdit de fabriquer, mettre sur le marché et utiliser le Pfoa, soit en tant que tel, soit dans des mélanges, soit dans des articles.

Toutefois, par dérogation, la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation du Pfoa, de ses sels et de composés apparentés sont autorisées, entre autres, pour :

  • les procédés de photolithographie ou de gravure dans la fabrication de semiconducteurs, jusqu’au 4 juillet 2025 ;
  • les textiles hydrofuges ou oléofuges pour vêtements de protection des travailleurs contre les accidents du travail et les maladies professionnelles dus à des liquides dangereux, jusqu’au 4 juillet 2023 ;
  • les dispositifs médicaux invasifs et implantables, jusqu’au 4 juillet 2025 ;
  • la mousse anti-incendie destinée à la suppression des vapeurs de combustibles liquides et à la lutte contre les feux de combustibles liquides (feux de classe B), sous certaines conditions, jusqu’au 4 juillet 2025.
PFOA dans les mousses anti-incendie-Crédit : Martine Porez/Face au Risque

Des avancées dans la dépollution environnementale

La question de la dépollution des milieux impactés par ces substances se posent également. Certaines études environnementales évaluent d’ores et déjà la présence de Pfas dans les sols et les eaux souterraines, mais cette pratique est loin d’être généralisée, et des techniques de dépollution commencent à émerger.

Un projet de recherche, appelé « Promisces », a été lancé le 1er novembre 2021 avec un budget de 12 millions d’euros. Sous la coordination du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), il réunit vingt-sept parties prenantes de neuf pays européens. Son objectif est de faire émerger de nouvelles technologies pour surveiller, prévenir et éliminer les polluants de l’environnement, y compris les Pfas, dans une approche d’économie circulaire.

Autre complication, leur migration et persistance dans les milieux rend l’identification des sources de pollution difficile. En la matière, un premier pas a été franchi récemment en France avec la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite loi « Climat et Résilience ». Son article 46 prévoit que le Gouvernement devra remettre au Parlement d’ici le mois d’août 2023, un rapport sur la pollution des eaux et des sols par les Pfas ainsi qu’une présentation des solutions applicables pour la dépollution des eaux et des sols contaminés.

Peu de valeurs seuils définies

Précisons d’ailleurs que des valeurs seuils pour les Pfas sont encore inexistantes pour la dépollution des sols et des eaux souterraines. Les seules valeurs seuils existantes concernent l’eau potable, qui est de 0,1 µg/l pour une somme de 20 composés de la famille des Pfas, et les aliments, qui est de 0,5 µg/l pour la somme de tous les Pfas et ceux définies par l’Autorité européenne de sûreté des aliments (Efsa), pour une dose hebdomadaire tolérable (DHT) de groupe de 4,4 nanogrammes par kilogramme de poids corporel.

Pour les eaux de surface, seul le Pfos présente une norme de qualité environnementale (NQE à 0,65 ng/L) et une concentration maximale admissible (CMA à 36 µg/L).

Anticiper la réglementation

Dans l’attente d’une évolution de la réglementation et d’une interdiction totale visant les Pfas, il ne peut qu’être conseillé aux producteurs et utilisateurs industriels de ces substances de trouver des alternatives viables, de les inclure dans les études environnementales, notamment dans le cadre de due diligences, et d’insérer des clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité dans les contrats de vente ou de bail.

Des procès ont d’ailleurs d’ores et déjà eu lieu contre des producteurs de ces substances en raison des dommages causés. C’est le cas aux États-Unis où divers procès ont été intentés par l’avocat Rob Bilott contre le producteur DuPont et dont le film « Dark Waters » se fait l’écho.


Article extrait du n° 583 de Face au Risque : « OVH : quelles leçons ? » (juin 2022).

Jean-Pascal Bus - Avocat associé chez Norton Rose Fulbright

Jean-Pascal Bus
Avocat associé spécialiste de l’environnement
Cabinet Norton Rose Fulbright

Cathy Morales Frénoy - Avocate chez Norton Rose Fulbright

Cathy Morales Frénoy
Avocate spécialiste de l’environnement
Cabinet Norton Rose Fulbright

 

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