Les EPI face aux perturbations de la supply chain

9 février 20228 min

Pénuries de matières premières, hausse du coût du transport, augmentation des délais d’approvisionnement, révision des prix, le secteur des équipements de protection individuelle (EPI) fait lui aussi les frais des tensions sur la supply chain. Explications avec Renaud Derbin, président du Synamap, le syndicat national des acteurs du marché de la prévention et de la protection, et Nicolas Bialy, directeur commercial d’Infield Safety, société spécialisée dans la protection de la tête.

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Passer d’un stock rempli à un stock proche de zéro en trois semaines, puis trouver des solutions alternatives pour dépanner les clients, c’est ce qu’a connu la société Infield Safety, spécialisée dans les équipements de protection individuelle de la tête, lors du premier confinement en mars 2020. L’entreprise fabrique des lunettes de protection neutre ou avec verres correcteurs, des protections auditives sur-mesure et distribue des casques à visière intégrée, notamment pour se protéger contre l’arc électrique.

« En trois semaines, nous avons fait l’équivalent de 24 mois de vente en ce qui concerne nos lunettes de protection neutre. Puis on s’est retrouvé en rupture sur la plupart de nos références », témoigne Nicolas Bialy, directeur commercial de l’entreprise, basée en Alsace, dans l’antenne commerciale de la maison mère allemande. Lunettes correctrices, bouchons d’oreilles, casque : la plupart des équipements sont fabriqués en Allemagne. À l’exception des lunettes de protection neutre, en provenance d’Asie. C’est justement ce stock qui a été dévalisé.

Explosion de la demande des EPI

Pour répondre à la demande de ses clients habituels, principalement dans le secteur de l’industrie, mais aussi aux nouveaux clients qui voulaient des produits le plus rapidement possible, la société a eu recours à des acheminements express d’Asie par avion, à la place du bateau habituel. Ce qui a impacté le coût des lunettes, car il fallait absorber le surcoût du transport. « Il a fallu s’adapter et proposer des solutions alternatives avec des références encore en stock. Il m’est par exemple arrivé de vendre des casques d’électriciens à visière intégrée pour des hôtesses de caisse dans des supermarchés », se souvient-il.

Cette demande phénoménale, la plupart des fabricants d’EPI l’ont connue, notamment sur les masques, surblouses et autres vêtements de protection. « Nous faisions face à une demande accrue de nos clients habituels, auxquels sont venus s’ajouter des acteurs qui jusqu’alors n’avaient pas besoin de ces équipements, raconte Renaud Derbin, président du Synamap. Les stocks se sont vidés d’autant plus rapidement qu’on a vu une tendance générale à vouloir préserver les champs nationaux. Certains adhérents, qui sont certes en France mais qui ne sont pas français, ont rapatrié les stocks de produits finis dans les pays des maisons mères. Ce qui a entraîné de facto une pénurie. » Les besoins ayant explosé, la demande en matière première a fait de même.

« Pour les casques, nous avons rencontré des difficultés à nous fournir en granulés de matière plastique (…). Et nous avons aussi été impactés par la hausse des tarifs sur les matières premières. »

Nicolas Bialy, directeur commercial d’Infield Safety

Nicolas Bialy, directeur commercial d’Infield Safety

Tensions sur les matières premières

« Nous avons d’abord fait face à la pénurie de masques, puis on s’est rendu compte, dans les services d’urgence, qu’on manquait de surblouses et de vêtements de protection car ces équipements ont besoin de matériaux communs », souligne Renaud Derbin. Il prend notamment l’exemple du caoutchouc, utilisé pour les attaches des masques, mais nécessaire également aux gants.

Il y a eu également des ruptures à un moment de certains composants pour des semelles de protection, des problèmes d’approvisionnement sur le cuir chez des fabricants de gants. Idem sur des intissés avec des fibres qui sont des dérivés du plastique, qu’on peut trouver dans les surblouses par exemple. Ce phénomène de surtension a duré, dans la filière, jusqu’en septembre/octobre 2020. Puis courant 2021, avec le phénomène de rattrapage économique, « c’est vraiment devenu problématique puisque d’autres pans de l’activité industrielle avaient besoin des mêmes matières premières », explique-t-il.

Chez Infield Safety, il n’y a pas eu de pénurie complète. « Mais pour les casques, nous avons rencontré des difficultés à nous fournir en granulés de matière plastique, ce qui a allongé les délais d’approvisionnement, remarque Nicolas Bialy. Et nous avons aussi forcément été impactés par la hausse des tarifs sur les matières premières, sur les granulés de matière plastique, mais aussi sur le polycarbonate pour les écrans et les visières. » Jusqu’en octobre 2020, la société a dû jongler avec des produits qui arrivaient au compte-gouttes, et communiquer régulièrement auprès de ses clients et des chefs produits des distributeurs.

Renaud Derbin, président du Synamap

« Les incertitudes sur les matières premières, l’évolution de leurs cours, le coût du transport ont induit des révisions de prix non plus basées sur un rythme annuel, mais désormais semestrielles. »

Renaud Derbin, président du Synamap

Transport et tensions tarifaires

Le prix des matières premières n’a pas été le seul à augmenter. La hausse de la demande a fait exploser le coût de l’énergie et celui des conteneurs, qui a pu prendre +500 % voire +600 % d’après le Synamap. « Pour les EPI de catégorie 1 et 2, l’essentiel est fait hors Europe, en Asie, en Afrique du Nord, ce qui induit du transport », rappelle Renaud Derbin.

Et d’ajouter : « Les incertitudes sur les matières premières, l’évolution de leurs cours, le coût du transport ont induit des révisions de prix non plus basées sur un rythme annuel, mais désormais semestrielles, faisant peser sur certains produits finis EPI, comme dans d’autres domaines, un risque en matière de rentabilité. Alors même que les obligations contractuelles entre fabricants et distributeurs, distributeurs et utilisateurs finaux, viennent compliquer la révision des prix d’achat des produits. »

L’innovation mise à mal

Face à ces tensions tarifaires, les fabricants répercutent les hausses sur le prix des produits finis. « Mais certains clients ne jouent pas le jeu et considèrent que c’est la responsabilité du fabricant, ou du distributeur, déplore Renaud Derbin. Les utilisateurs demandent des prix toujours à la baisse alors qu’ils réclament, dans le même temps, de vrais progrès technologiques. » Le plus grand danger de cette situation complexe et inédite est, d’après lui, un nivellement par le bas de la qualité des EPI, et donc de la sécurité des utilisateurs.

« Nous avons vu des choses assez sidérantes en termes d’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Pour preuve, le nombre de certificats de complaisance et de saisies douanières de produits non conformes dans les aéroports et ports européens lors du premier confinement, ajoute-t-il. Les très gros acteurs de notre profession souffrent de cette situation mais ont le poids économique, voire politique, pour gérer ces difficultés. Mais les PME qui essaient d’innover, si elles ne sont plus en mesure de répercuter les hausses de coûts, ne pourront plus produire. »

Des réflexions sont en cours dans les entreprises pour relocaliser la production et réduire ainsi les coûts du transport.

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Quelles solutions ?

Le Synamap oeuvre auprès des institutions françaises et européennes pour qu’il y ait une réflexion sur des cycles vertueux de gestion de stocks stratégiques, en concertation avec les industriels. « Prenons l’exemple des masques FFP1 et FFP2, sachant que cela peut s’appliquer à beaucoup de catégories d’EPI. On sait pertinemment que les sapeurs-pompiers, les services d’urgence, les secteurs hospitaliers en ont besoin. Il est effarant qu’avant la pandémie, certains hôpitaux géraient leur stock à 24 ou 48 heures. Pour des questions de trésorerie, on commande quand il reste une journée ou une demi-journée de stock, pour éviter d’assurer le stockage, illustre Renaud Derbin. Il serait pertinent de créer un stock d’État consigné sur les équipements stratégiques, issu des entreprises françaises, avec une rotation pour remise en commercialisation pour éviter les stocks périmés. Nous avons des logisticiens en France qui savent très bien organiser ce type de circuit logistique. »

Chaque maillon de la chaîne, utilisateur final, distributeur, fabricant devrait d’ailleurs avoir un stock tampon raisonnable des produits stratégiques, et ne plus compter systématiquement sur l’autre.

Des circuits plus courts

La crise sanitaire a par ailleurs amené des réflexions sur une relocalisation en France ou en Europe de certains sites de production. « Le cheminement n’est pas encore arrivé à maturité mais je pense que cela va rebattre les cartes dans les années à venir, explique Nicolas Bialy. Il y a énormément de sociétés qui souhaitent relocaliser dans des pays d’Europe pour réduire le coût de transport et assurer une certaine réactivité. »

Enfin, l’une des solutions pour Renaud Derbin est d’optimiser les possibilités d’actions conjointes, que ce soit en termes de communication auprès des clients, des pouvoirs publics ou en termes de commande. « Si on veut que les choses fonctionnent, notamment pour nos PME, il faut essayer de créer des groupements et prendre des positions communes, conclut-il. On le sait, l’union fait la force. »


Extrait de l’article du n° 579 de Face au Risque : « Tensions sur la supply chain » (février 2022).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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