Lutte contre la corruption : le secteur public bientôt dans le sillage du privé

8 février 20229 min

Lutte contre la corruption : le secteur public bientôt dans le sillage du privé

Cinq ans après la loi Sapin 2 relative à la lutte contre la corruption, une nouvelle proposition de loi a été déposée le 19 octobre 2021 pour renforcer le dispositif et harmoniser les pratiques entre les secteurs public et économique.

Proposition de loi

La France a adopté le 9 décembre 2016 une loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Elle était destinée à lutter contre la corruption. Le 7 juillet 2021, le député Raphaël Gauvain a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale un rapport destiné à évaluer l’efficacité de ce texte.

Dans le prolongement de son rapport, ce même député a soumis le 19 octobre 2021, une proposition de loi destinée à réformer la loi Sapin 2.

La proposition de loi est articulée principalement autour de trois axes.

Garantir les droits de la défense

La loi Sapin 2 a introduit, à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, un mécanisme procédural innovant : la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Celle-ci constitue un dispositif transactionnel permettant un traitement efficace et rapide des procédures ouvertes contre des personnes morales.

Cette mesure est désormais applicable aux personnes morales mises en causes pour des faits de corruption et trafic d’influence, actifs et passifs, fraude fiscale, blanchiment et toute infraction connexe.

Mais, la procédure de CJIP ne présentait pas assez de garantie pour les droits de la défense, d’où la nécessité d’une réforme, qui est intégrée dans la proposition de loi de Raphaël Gauvain.

AFA/HATVP, les missions de chaque entité

La loi de 2016 a créé l’Agence française anticorruption, connue sous son acronyme « AFA ». Ses attributions étaient mal définies et se télescopaient avec celles de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). De plus, l’AFA a un rôle de conseils aux « acteurs économiques » et entreprend dans un même temps des actions répressives. La proposition de loi veut donc apporter des éclaircissements et dissiper cette confusion. Elle confère aussi de nouveaux pouvoirs à la HATVP.

Le secteur public

La proposition de loi tente enfin d’insuffler aux acteurs publics les règles définies pour les acteurs économiques, sans s’attarder cependant sur les distinctions entre ces deux notions (un acteur public peut aussi être un acteur économique).

La proposition de loi reste sur bien des points en deçà du rapport de juillet 2021. Sauf en ce qui concerne le secteur public. Il est donc intéressant de faire un point sur les obligations à venir.

L’article 3 de la loi Sapin 2 a prévu que la compétence de l’AFA s’étend aux personnes morales de droit public. En effet, il stipule que l’agence :

« 2° Elabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.

Ces recommandations sont adaptées à la taille des entités concernées et à la nature des risques identifiés. Elles sont régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques et font l’objet d’un avis publié au Journal officiel ;

3° Contrôle, de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Elle contrôle également le respect des mesures mentionnées au II de l’article 17. »

Prévention de la corruption dans le public

L’AFA avait donc émis un ensemble de recommandations à l’encontre du secteur public en 2017 qu’elle a toiletté en 2021. Elle a fait procéder en 2018 à une étude de la prévention de la corruption dans le secteur public et le rapport Gauvain cite quelques chiffres qui en sont issus et qui sont assez édifiants :

« Seules 7,3 % des organisations ayant répondu à l’enquête avaient mis en place un plan ou des mesures ponctuelles pour prévenir les atteintes à la probité. 1,7 % avaient mis en place une cartographie des risques, malgré son importance dans le dispositif anticorruption, tandis que 21,1 % avaient désigné un référent déontologue, dont la création constitue pourtant une obligation légale, et seules 4,4 % des communes avaient mis en place un plan ou des mesures anticorruption, contre 39,7 % des départements et près de 85 % des régions. »

En 2018, seulement 7,3 % des collectivités territoriales ayant répondu à l’enquête de l’Agence française anticorruption sur la prévention de la corruption dans le secteur public avaient mis en place un plan (3,2%) ou des mesures anticorruption (4,1%).

Les dispositions de la proposition de loi

Opiniâtre, le député Gauvain a cherché à expliquer cette situation. Il l’impute notamment à la grande diversité des acteurs publics pour lesquels il n’est pas possible de créer des obligations identiques.

Tout d’abord, la proposition de loi identifie les responsables de la mise en œuvre de la prévention de la corruption. Elle renvoie au pouvoir réglementaire la détermination des seuils déclenchant l’entrée dans le dispositif. En effet, il n’est certainement pas utile de déployer dans une petite commune un tel dispositif alors que cela va être nécessaire dans une collectivité locale.

Ce même pouvoir réglementaire aura la possibilité de moduler les obligations prévues en fonction de la nature de l’entité et de son niveau d’exposition au risque de corruption.

Dans les collectivités territoriales, le président du conseil délibérant devra remettre chaque année un rapport spécial portant sur les initiatives prises pour mettre en œuvre les mesures de prévention et de détection des faits, d’organiser un débat sur ce rapport. La disposition est déclinée pour les communes, les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), les départements et les régions.

Mesures et procédures à mettre en place

La proposition de loi pose, comme l’avait fait la loi Sapin 2, les obligations à respecter par les acteurs publics, à savoir :

« [La rédaction] d’un code de conduite, régulièrement actualisé, qui, en précisant la mise en œuvre des obligations déontologiques applicables, définit et illustre, pour l’entité concernée et après consultation des organes de représentation de son personnel, les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou d’autres manquements à la probité;

 2° [La mise en place d’] un dispositif d’alerte interne, conforme aux prescriptions légales et réglementaires applicables à l’entité, destiné à permettre le recueil des signalements émanant du personnel et relatifs à l’existence de conduite ou de situations contraires au code de conduite ou susceptibles de constituer des atteintes à la probité;

[L’élaboration d’] une cartographie des risques, documentée et régulièrement actualisée, permettant d’identifier, d’analyser et de hiérarchiser les risques d’exposition de l’entité concernée à des sollicitations externes aux fins de corruption ou d’autres manquements à la probité, en fonction des activités et de la situation de l’entité;

[La mise en place de] procédures d’évaluation de l’intégrité des tiers avec lesquels l’entité concernée est en relation;

5° L’intégration, tant par l’ordonnateur et ses services que par le comptable et ses services, notamment les contrôleurs et auditeurs internes et les services d’inspection, de la maîtrise des risques de corruption ou d’autres manquements à la probité dans le dispositif de contrôle comptable, de contrôle interne et d’audit interne de l’entité concernée, ainsi que de certification de ses comptes s’il y a lieu;

[L’application d’] un plan de sensibilisation et de formation des cadres et des autres personnels les plus exposés, dans l’entité concernée, aux risques de corruption ou d’autres manquements à la probité;

[La mise en place de] sanctions adaptées aux manquements au code de conduite ou à toute atteinte à la probité susceptibles d’être commis par les personnels de l’entité concernée, dans le cadre des règles disciplinaires fixées par leurs statuts ».

Lutter à armes égales

Dans la mythologie arthurienne, le chevalier Gauvain, l’un des douze de la table ronde, n’hésite pas à partir au combat pour défendre de nobles causes. Son homonyme de l’Assemblée nationale, qui a été un brillant avocat, enfourche de nombreux chevaux de bataille dont la protection de la France contre des menées étrangères et notamment Etats-Uniennes.

Il avait rédigé un important rapport, au premier semestre 2019 dont le titre était « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Son rapport de juillet 2021 comportait des éléments intéressant sur l’application extraterritoriale de la loi Sapin 2.

Il faut espérer qu’en renforçant notre lutte contre la corruption nous pourrons combattre à armes égales contre des pays tiers qui se prévalaient de lacunes dans notre législation – notamment sur la corruption – pour nous imposer la leur.


Article extrait du n° 578 de Face au Risque : « Lutte contre la corruption : le secteur public bientôt dans le sillage du privé » (décembre 2021-janvier 2022).

Thibault du Manoir de Juaye

Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, il a commencé à travailler en cabinet d’avocats en 1987 et a créé le sien en 1995. Il est ancien auditeur de l’IHESI (aujourd’hui INHESJ) et de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale Session IE). Il s’est ainsi spécialisé depuis plus d’une vingtaine d’année sur les problèmes de sécurité et de sureté de l’entreprise.
Il a écrit seul plusieurs ouvrages parmi lesquels Le droit pour dynamiser votre business publié aux Editions d’Organisation, lui a valu l’obtention du prix 2005 du meilleur ouvrage d’intelligence économique décerné par l’Académie de l’IE, le droit de l’intelligence économique aux éditions LITEC (Groupe LEXIS NEXIS) en 2007, les robes noires dans la guerre économique aux éditions du nouveau monde en 2011 et en avril 2016, le secret des affaires, à nouveau aux éditions Lexis-Nexis et co-écrit avec Sabine Marcellin.
Au sein de son cabinet, il conseille ou assiste des sociétés de sécurité privée ce qui lui permet d’avoir une connaissance approfondie du secteur et des organismes régulateurs.

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