Télétravail, protection des salariés et Covid-19 dans le secteur privé

12 août 202115 min

Sécurité des travailleurs. Depuis plus d’un an, le télétravail est devenu la nouvelle forme d’organisation du travail pour de nombreux salariés. Pourquoi ce mode d’organisation est-il privilégié dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19 par les pouvoirs publics ? Quelles en sont les limites ?

Article extrait du n° 573 de Face au Risque : « ERP et Covid-19 : l’impact sur la sécurité – sûreté » (juin 2021).

Un nouvel accord national interprofessionnel

Le télétravail est très largement exercé en France depuis la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. Pour faciliter sa mise en œuvre en entreprise, un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) a été formalisé le 26 novembre 2020. Non prescriptif, il vient compléter les dispositions du précédent ANI datant du 19 juillet 2005 et vise à offrir un cadre pour épauler les employeurs souhaitant mettre en œuvre le télétravail.

À cet égard, il intègre désormais des dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles telles qu’une épidémie. Étendu par un arrêté du 2 avril 2021, il concerne tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d’application.

Le télétravail, un moyen réglementé de protéger le salarié

Le code du travail définit le télétravail comme étant « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

En ce sens, il qualifie de télétravailleur « tout salarié de l’entreprise qui effectue, soit dès l’embauche, soit ultérieurement, du télétravail » (article L.1222-9). Le télétravail désigne donc un moyen d’organiser le travail.

La définition réglementaire du code du travail est très large. Elle ne précise pas la fréquence à laquelle le télétravail doit être exercé. En conséquence,  et comme le souligne l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) dans son document « Le télétravail, quels risques, quelles pistes de prévention » (ED 6384, avril 2020), cette définition englobe le télétravail occasionnel et le télétravail régulier.

L’INRS précise que « le télétravail régulier peut être défini comme du télétravail organisé à l’avance sur un nombre fixe de jours, sur une période de référence donnée ».

Concernant le télétravail occasionnel, l’Institut propose de le définir comme désignant du télétravail « organisé par accord entre le salarié et sa hiérarchie dans certaines circonstances spécifiques : épisodes de pollution, grèves des transports, sinistres dans les locaux, épidémies… ». Ces deux notions sont d’ailleurs reprises dans l’ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail.


Le protocole national entreprise fixe à 100 % le temps de travail effectué en télétravail pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance. La ministre du Travail a demandé à l’Inspection du travail de renforcer ses contrôles sur « l’effectivité du télétravail et le respect des recommandations sanitaires sur les lieux de travail », comme le précise le site du ministère.

S’agissant de la fréquence du télétravail, l’ANI apporte des précisions lorsqu’il est mis en place hors circonstances exceptionnelles ou cas de force majeure. Cette fréquence doit alors être établie par l’accord entre l’employeur et le salarié. Néanmoins, elle doit tenir compte de l’importance de concilier « le temps de télétravail et le temps de travail sur site ».

En utilisant l’expression « de façon volontaire », la définition du code du travail insiste sur le consentement du salarié à effectuer ses missions dans un lieu autre que celui de son entreprise. En réalité, un double consentement est requis, le télétravail devant être mis en place volontairement par l’employeur et le travailleur.

Néanmoins, la réglementation prévoit une exception à ce principe figurant à l’article L.1222-11 du code du travail, selon lequel « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

Dans ces cas limités, le télétravail pourra être mis en place sans obtenir le consentement du salarié, la protection de la santé du salarié prévalant alors sur son accord. On considère, de fait, que la valeur de la santé humaine est supérieure à celle du travail. C’est précisément ce qui est arrivé en France en mars 2020 lorsque l’épidémie de Covid-19 est devenue très inquiétante.

Lien entre télétravail et obligation de sécurité des employeurs

Comme le précise l’article L.1222-11 précité, en cas d’épidémie notamment, la mise en œuvre du télétravail peut être assimilée à un aménagement du poste de travail nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.

Précisément, la protection de la santé physique et mentale des salariés figure parmi les obligations de l’employeur en application de l’article L.4121-1 du code du travail. Celui-ci est en effet tenu d’une obligation de sécurité de résultats vis-à-vis de ses travailleurs. Cette obligation l’oblige à évaluer les risques professionnels auxquels les travailleurs sont exposés dans leur environnement de travail (article L.4121-3). Cette évaluation des risques doit le conduire à mettre en place une organisation et des moyens adaptés aux risques encourus.

En matière d’épidémie, le risque est celui de l’infection/ la contamination. C’est la raison pour laquelle, une situation d’épidémie oblige, par nature, l’employeur à revoir les modalités d’exercice de ses activités pour supprimer, réduire ou limiter ce risque de contamination.

Atteinte à la liberté d’entreprendre ?

Plastalliance, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur, a saisi, en 2020, le juge des référés du Conseil d’État afin d’obtenir notamment la suspension de l’exécution du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 (dans sa version consolidée au 13 novembre 2020).
Le syndicat conteste notamment le contenu du protocole, lequel prévoit que « le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent ». Le requérant considère notamment que ce document porte une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles des salariés et employeurs ainsi qu’une atteinte à la liberté d’entreprendre.

Assurer la sécurité et la santé des salariés

Dans une décision rendue le 17 décembre 2020 (CE, 17 déc. 2020, n° 446797), le Conseil d’État n’a pas fait droit à cette demande. Il n’a donc pas ordonné la suspension de ce protocole national.
Il a néanmoins rappelé sa portée juridique en déclarant qu’il « a pour seul objet d’accompagner les employeurs dans leurs obligations d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés au vu des connaissances scientifiques sur les modes de transmission du Sars-CoV-2 et n’a pas vocation à se substituer à l’employeur dans l’évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquate dans l’entreprise ».
Le Conseil d’État se réfère à la fiche questions-réponses sur le télétravail, publiée sur le site internet du ministère du Travail et actualisée au 17 novembre 2020, laquelle précise que le protocole formalise, en matière de santé et sécurité au travail, « les recommandations du Haut conseil de la santé publique pour se protéger du risque de contamination au Covid-19 ».
Il rappelle que c’est à l’employeur de mettre en œuvre les principes généraux de prévention énoncés à l’article L.4121-2 du code du travail. Bien que ce protocole national ne soit pas un document de nature réglementaire, les recommandations qu’il contient sont essentielles.
L’employeur qui ne respecte pas son contenu (en refusant par exemple la mise en place du télétravail pour les missions qui s’y prêtent) pourrait voir sa responsabilité engagée sur le fondement de son obligation de sécurité en cas d’accident ou de maladie professionnelle.
Le manquement à cette obligation pourrait s’apparenter à une faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Pour mettre en place des mesures d’organisation adaptées au contexte épidémique, l’employeur doit se fonder sur les principes généraux de prévention figurant à l’article L.4121-2. Il en existe neuf devant être appliqués selon l’ordre dans lequel ils apparaissent. La suppression du risque apparaît en tout premier lieu. Cela signifie que l’employeur doit supprimer le risque auquel ses salariés sont exposés si cela est possible.

Le virus responsable du Covid-19 se transmet par gouttelettes c’est-à-dire par des sécrétions émises notamment lors d’échanges de paroles ou d’éternuements. En incitant les salariés à télétravailler, ceux-ci ne vont pas se croiser en entreprise, le risque de contamination est ainsi réduit. Le télétravail permet de réguler les flux de personnes et évite les rassemblements au sein d’un même local. Cette organisation du travail tend ainsi à protéger le salarié contre le risque de contamination au sein de l’entreprise.

C’est ce que préconise le « protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 » (édition du 8 avril 2021, remplacée depuis par celle du 18 mai 2021).

Le télétravail mis en valeur par le protocole national entreprise

Ce protocole national est régulièrement modifié afin de prendre en compte l’évolution des mesures sanitaires applicables. Dans ce cadre, l’édition du 8 avril 2021 est venue remplacer celle du 23 mars 2021 afin d’intégrer l’extension des restrictions de déplacement à l’ensemble du territoire (voir en ce sens le décret n° 2021-384 du 2 avril 2021).

Ce protocole, dénué de valeur réglementaire, concentre les mesures recommandées par le ministère du Travail en période d’épidémie de Covid-19. Figurant parmi les mesures de protection des travailleurs, le télétravail fait l’objet de nombreux développements au sein de ce protocole.

Celui-ci place, en effet, le télétravail comme le premier moyen de prévenir efficacement « le risque d’infection au Sars-CoV-2 dans un objectif de protection de la santé des travailleurs ». C’est la raison pour laquelle, il impose sa mise en place « pour l’ensemble des activités qui le permettent » durant cette période si exceptionnelle. Il fixe à 100 % le temps de travail effectué en télétravail pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance.

Il permet, pour ces salariés, un retour en présentiel un jour par semaine au maximum « lorsqu’ils en expriment le besoin, avec l’accord de leur employeur ». Les tâches qui ne sont pas télétravaillables doivent être identifiées par l’employeur. Dans cette hypothèse, celui-ci doit mettre en place « systématiquement un lissage des horaires de départ et d’arrivée du salarié afin de limiter l’affluence aux heures de pointe ». L’objectif est de limiter les interactions sociales pouvant générer la transmission du virus.


Le télétravail peut potentiellement générer des risques professionnels, en particulier des troubles musculo-squelettiques (TMS) et des risques psychosociaux (RPS). Une fois évalués, ils doivent figurer sur le document unique.

Par ailleurs, le protocole oblige les entreprises à établir un plan d’action « pour réduire au maximum le temps de présence sur site des salariés ». En la matière, des précisions ont été apportées par l’instruction du 25 mars 2021 relative aux orientations et aux modalités d’intervention du système d’Inspection du travail (SIT) dans le cadre des mesures renforcées de lutte contre l’épidémie.

Celle-ci indique notamment que l’attention de l’Inspection du travail devra être portée, lors de contrôle, sur le « caractère effectif des actions mises en œuvre dans les meilleurs délais par l’employeur pour réduire au maximum le temps de présence sur site des salariés dont les activités sont totalement ou partiellement télétravaillables, plutôt que sur le formalisme du plan d’action ».

Ces dispositions traduisent la volonté du Gouvernement français de faire appliquer le télétravail en entreprise à chaque fois que cela est possible.

Un potentiel facteur de risques professionnels

Le recours au télétravail systématique lors du confinement de mars 2020 a démontré la difficulté de certains télétravailleurs à exercer leurs missions. Il a fallu s’adapter à de nouvelles conditions de travail loin d’être optimales : espace de travail non ergonomique, absence d’activités physiques, travail sur écran personnel, cohabitation avec les autres membres du foyer…

De fait, le télétravail concourt à protéger le salarié du risque de contamination au Covid-19. Néanmoins, il ne le protège pas de tous les risques. Comme le précise l’INRS dans son dossier « Covid-19 et prévention en entreprise (2021) », le télétravail peut générer les risques professionnels suivants, lesquels une fois évalués, devront figurer sur le document unique de retranscription des risques professionnels conformément à l’article R.4121-1 du code du travail :

  • « des risques liés à un aménagement non adapté du poste de travail informatique à domicile, aménagement qui peut générer des contraintes posturales ou articulaires (épaules, coudes, poignets…) ;
  • risques liés aux postures assises prolongées et au manque d’activité physique associés au travail informatique à domicile ;
  • des risques psychosociaux ».

Les risques psychosociaux ont été énormément dénoncés par les télétravailleurs. Ces risques peuvent se matérialiser sous différentes formes comme le précise l’INRS. Il peut s’agir notamment de difficultés d’endormissement, de sentiment d’isolement, d’augmentation de la charge mentale, de baisse de motivation ou de difficultés à séparer sa vie professionnelle de sa vie personnelle.

De nombreux télétravailleurs ont également éprouvé des difficultés à se « déconnecter » du travail. Évoqué à l’article L.2242-17 du code du travail, le droit à la déconnexion vise à « assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ».

L’ANI du 26 novembre 2020 le définit comme étant « le droit pour tout salarié de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel en dehors de son temps de travail ». Conscient de ces problématiques, l’ANI du 26 novembre 2020 contient de nouvelles mesures pour améliorer la santé des télétravailleurs.

Renforcer l’accompagnement des télétravailleurs

Pour que le télétravail soit bien vécu par les télétravailleurs, le nouvel ANI du 26 novembre 2020 contient des règles destinées à assurer sa « bonne » mise en œuvre. Outre le droit à la déconnexion et le respect de la vie privée, cet accord prévoit deux volets importants que sont :

  • l’accompagnement des collaborateurs et des managers ;
  • la préservation de la relation de travail avec le salarié.

Sur le premier point, le télétravail fait évoluer l’organisation du travail « classique ». Par effet de cascades, les pratiques managériales doivent également évoluer puisque « la manière d’animer la communauté de travail » change.

Dans ce cadre, l’ANI préconise la formation des managers, dès leur embauche, aux particularités notamment du management à distance. Pour exercer pleinement leur rôle, l’ANI préconise également la formation des managers à l’utilisation des outils numériques pour « veiller à l’appropriation des outils de travail à distance mais également à la sécurisation des données de l’entreprise » ainsi qu’à la cybersécurité.

Pour épauler les employeurs et les travailleurs, des guides ou recommandations ont été développés par différents organismes. À titre d’exemple :

Ces compétences informatiques sont également nécessaires pour l’ensemble des collaborateurs, lesquels pourront suivre, avec les managers, des formations portant sur les aspects suivants listés par l’ANI : « L’adaptation des modalités de réalisation de l’activité, l’autonomie du salarié en télétravail, le séquençage de la journée de télétravail, le respect du cadre légal relatif à la durée du travail et à la déconnexion, l’utilisation régulée des outils numériques et collaboratifs. »

Sur le second point, l’ANI précise qu’il est indispensable que le travailleur maintienne un lien avec l’entreprise. À ce titre, il évoque notamment la possibilité de mettre en place « des dispositifs ad hoc » rassemblant tous les acteurs de l’entreprise.

L’isolement constitue également une « dérive » qu’il faut prévenir. Des temps de travail collectifs peuvent, à cet égard, être organisés de façon régulière pour mobiliser les acteurs de l’entreprise.

JANVIER Manon.

Manon Janvier
Consultante Assistance réglementaire (CNPP)

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.