Véhicules électriques : des feux difficiles à éteindre ?

1 octobre 202010 min
Lieutenant-colonel Christophe Lenglos - Crédit : Jean-Christophe Mounoury/Renault

Interview. Comment intervenir sur un feu de véhicule équipé d’une batterie au lithium-ion, qu’il soit hybride ou électrique ?
Le lieutenant-colonel Christophe Lenglos, sapeur-pompier spécialement détaché au sein de la direction de Responsabilité sociale du groupe Renault, nous éclaire sur le risque d’emballement thermique de la batterie en cas d’incendie.

Pourquoi un sapeur-pompier du Sdis78 a été détaché spécialement chez un constructeur automobile comme Renault ?

Christophe Lenglos. Historiquement, le Sdis78 a toujours entretenu des liens avec les constructeurs automobiles présents sur le département. Nous partagions différents travaux autour de la sécurité routière et de l’intervention sur les véhicules, afin de réduire la mortalité.

Il y a une dizaine d’années, Renault a initié une politique originale de tests menés avec les sapeurs-pompiers pour vérifier le comportement de ses véhicules électriques en situation dégradée. Une démarche unique au monde.

L’objectif était d’avoir une approche opérationnelle, sous tendue par deux questions : que se passe-t-il réellement sur le véhicule, et comment les forces de secours peuvent-elles intervenir ? C’est la raison pour laquelle j’ai été détaché spécialement, à 100 %, au sein du groupe Renault, pour mener cette réflexion – entre autres – d’aide à la prise en charge d’un véhicule électrique par les secours.

Peut-on considérer le phénomène d’emballement thermique d’une batterie au lithium-ion comme un risque nouveau ?

C. L. À la fois oui et non. Non car la qualité des batteries présentes sur le sol européen amène à considérer que la cause de l’emballement d’une batterie lithium-ion ne peut être qu’une source thermique extérieure. Les batteries disposent par ailleurs d’une surveillance interne via un BMS (Battery Management System) et leur enveloppe offre aussi une barrière contre les agressions externes (mécanique ou thermique). L’emballement thermique d’une cellule peut survenir si sa température dépasse les 120 °C.

Ceci nous amène à la réponse oui, car ce phénomène apparaît dès lors que la batterie est soumise à un échauffement thermique durable. Cela veut dire que si un véhicule électrique prend feu par malveillance ou par la propagation d’un feu venu d’une source voisine, sa batterie risque de prendre feu également, et présenter des flammes conséquentes…

Ce nouveau risque est également présent dans de nombreux moyens de mobilité : motos, bateaux, bus, camions… Par ailleurs comme les batteries de tractions des véhicules électriques peuvent, au bout de quelques années, perdre de leur autonomie, elles sont réutilisées pour une « deuxième vie ». On les retrouve par exemple dans un bâtiment pour stocker de l’électricité ou encore dans des infrastructures de bornes de recharge de… véhicules électriques !

Pour stopper l’emballement thermique, aujourd’hui, on n’a pas d’autre solution que de remplir la batterie avec de l’eau pour la refroidir définitivement.

Christophe Lenglos
Sapeur-pompier détaché chez Renault.

Quelles sont les consignes d’intervention pour les pompiers en cas d’incendie d’un véhicule équipé d’une batterie Li-ion ?

C. L. Les véhicules concernés peuvent être hybrides rechargeables, avec des batteries suffisamment puissantes pour garantir une véritable autonomie, ou bien entièrement électriques. Il n’y a pas de précautions particulières à avoir pour l’intervention sur ce type de véhicule lorsqu’il brûle. Car, contrairement à ce que l’on entend souvent, ce type de batterie n’explose pas. Les gaz produits par les cellules en échauffement à l’intérieur du pack sont évacués par les évents de surpression prévus à cet effet.

La vraie question est la suivante : comment procéder pour stopper et éteindre rapidement, efficacement et définitivement l’emballement thermique d’une batterie lithium-ion ? Sachant qu’on ne peut être efficace qu’en intervenant à cœur, pour ramener les cellules de l’état de gaz à celui de solide ou de gel. Aujourd’hui, on n’a pas d’autre solution que de remplir la batterie avec de l’eau pour la refroidir définitivement.

Si ce n’est pas possible, c’est-à-dire s’il n’y a pas d’accès pour faire rentrer l’eau, on peut avoir l’impression que le feu a ralenti parce que l’enveloppe de la batterie a été refroidie, mais il repartira tant que toutes les cellules n’auront pas été soit brûlées, soit refroidies par l’eau. Il faut savoir que dans ce cas de figure l’intervention peut durer plusieurs heures ! Pour des questions de temps de mobilisation des secours, il serait parfois plus simple de ne rien faire, de laisser brûler. Mais ce n’est pas dans nos gènes !

Une fois le feu éteint, il faut rester prudent les heures suivantes : en cas de déplacement, il est nécessaire de ne pas stocker le véhicule n’importe où, au cas où l’emballement thermique repartirait. C’est aussi une nouvelle responsabilité, pour celui qui va prendre en charge le véhicule après les sapeurs-pompiers.

Pourriez-vous nous décrire la solution du Fireman Access, spécifiquement développée par Renault afin de faciliter l’intervention des pompiers en cas d’incendie ?

C. L. Ce dispositif a été développé pour répondre aux risques de vandalisme ou de propagation de feu sur les véhicules électriques de la marque. Le procédé est simple : nous avons implémenté une plaque « thermofusible » sur notre pack batterie, pièce qui fondra à partir d’une certaine température. Cela ménage un accès au jet de la lance des sapeurs-pompiers, permettant de refroidir efficacement les cellules à coeur. Ce Fireman Access est maintenant présent sur tous les véhicules électriques Renault.

Une nouvelle réglementation internationale, à l’initiative de la Chine, nous a amenés à revoir la technologie de ce dispositif pour le futur. En effet, les batteries de véhicules circulant en Chine sont de moins bonne facture que celles assemblées en Europe. Cette réglementation imposera que la batterie passe un nouveau test à l’incendie. L’objectif est de préserver au moins 5 minutes sans flammes ni fumées à l’intérieur de l’habitacle en cas de départ d’incendie, le temps de laisser la possibilité aux passagers d’évacuer le véhicule.

Nous avons donc dû développer une nouvelle approche technique afin de pouvoir conserver le Fireman Access tout en répondant à cette future réglementation. Mais l’esprit du nouveau dispositif reste le même : favoriser l’accès de l’eau de la lance à incendie directement au cœur de la batterie.

Est-ce que la réglementation européenne, notamment au travers de l’Utac et l’homologation des véhicules électriques par exemple, s’est penchée sur ce problème d’incendie ?

C.L. Je ne vois pas comment la réglementation ne peut pas s’intéresser à ce sujet. Ça ne peut pas venir de l’Utac (Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle) car l’homologation est pratiquée sur la partie accidentologie d’un véhicule, au moyen de crash-tests normés. Or dans ce cadre, les batteries ont passé les tests puisque les véhicules sont sur la route. Ces tests sont menés sans hypothèse de départ de feu externe (malveillance ou accidentel).

C’est ici que la démarche de Renault diffère de celle des autres constructeurs, car ils ne prennent pas en compte ce problème particulier, d’autant qu’aucune réglementation ne les y oblige. En France, il ne faut pourtant pas oublier une réalité : il y a près de 50 000 feux de véhicules par an dus à la malveillance. L’engagement de Renault et la solution de la batterie équipée d’un Fireman Access est parti de là. Il est né de la difficulté d’éteindre un feu de véhicule électrique lorsque la batterie est elle aussi en feu. Le constructeur a bien compris que les pompiers ne pouvaient pas passer 4 heures à éteindre un véhicule, qui plus est lorsque la scène se déroule dans un quartier sensible.

Avez-vous connaissance d’autres techniques d’intervention en présence d’incendie ?

C. L. Des fabricants de couvertures spéciales ont annoncé qu’ils avaient là un moyen d’extinction efficace. Avant de se raviser, car sur un feu de véhicule électrique, le procédé permet seulement d’étouffer les flammes présentes dans l’habitacle du véhicule, mais n’a pas d’action sur l’intérieur de la batterie haute tension. Cependant, en cas d’incendie de véhicule électrique, il faut bien compter 20 minutes avant que le phénomène d’emballement thermique de la batterie n’apparaisse. Ces couvertures permettent de gagner du temps, en attendant que les secours adaptés arrivent.

Aux Pays-Bas, on a vu apparaître un autre système : des camions transportant un container avec une grue : en cas d’incendie, on y place le véhicule, avant de remplir le container d’eau. Certes cela semble efficace sur l’instant, mais quid du moment pour ressortir le véhicule et quid du comportement de la batterie à ce moment-là ? Et quand doit-on ressortir le véhicule de l’eau ? Après plusieurs heures ou après plusieurs jours, la décharge de la batterie ne sera pas la même, l’efficacité de cette solution en dépend.

Renault observe-t-il des précautions particulières à propos du risque d’emballement des batteries sur ses sites d’assemblage de véhicules électriques ?

C. L. Les chaînes de montage d’un constructeur automobile fonctionnent aujourd’hui en flux tendu. Il n’y a donc pas de stocks de grande ampleur sur site. Sur la chaîne, les opérateurs montent les batteries en assemblant les cellules qui viennent d’Asie. Le connecteur qui met en tension la batterie est placé en fin de processus, juste avant que le véhicule ne quitte la chaîne.

Il y a eu toute une réflexion en interne de la part des responsables de la sécurité autour du risque d’emballement thermique. Les sources de montée en température ont été évaluées, la distanciation entre les éléments et leur stockage correct ont été étudiés, les flux gérés. Des containers spéciaux permettent d’isoler une cellule défectueuse, en la plongeant dans l’eau. Enfin, les opérateurs sont formés pour comprendre le risque lié à la batterie lithium-ion et savoir comment réagir en cas de problème.


Article extrait du n° 566 de Face au Risque : « Lithium-ion : faut-il craindre l’emballement ? » (octobre 2020).

Bernard Jaguenaud
Rédacteur en chef

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