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Intrusions armées en milieu scolaire ou professionnel
Les tueries en milieu scolaire ou en entreprises, majoritairement observées aux États-Unis, n’épargnent cependant pas la France. Alexandre Rodde, spécialiste dans le domaine des fusillades de masse, décrypte pour nous ce phénomène.
Le 1er octobre 2021, la DGSI a interpellé au Havre (Seine-Maritime) un jeune de 19 ans soupçonné de préparer une tuerie de masse dans son ancien lycée. Selon Le Parisien qui avait révélé l’affaire, il voulait faire « pire que Columbine », faisant référence à une fusillade scolaire qui s’est déroulée aux États-Unis en 1999.
Les intrusions armées ne sont pas l’apanage des milieux scolaires ou universitaires, ils s’en déroulent aussi dans les entreprises, comme à la scierie des Plantiers en mai 2021 ou à Saint-Varent un an auparavant (lire ci-dessous).
Pour tenter de comprendre ce phénomène et de s’en protéger, nous avons interrogé Alexandre Rodde. Il est membre du Cesed (Centre d’étude de la Sécurité et de la Défense) et consultant en sécurité intérieure. Il est également coauteur de Passage à l’acte, comprendre les tueries en milieu scolaire.
Alexandre Rodde
Columbine est devenue emblématique des tueries en milieu scolaire. Elle est souvent prise pour exemple par les jeunes « candidats tueurs ». Pour quelles raisons ?
Alexandre Rodde. Columbine, c’était une série de choses qu’on observait pour la première fois. D’abord l’ampleur des dégâts : 13 morts parmi les victimes, plus les deux tireurs. Ensuite, un arsenal qu’on avait rarement vu : plusieurs bombes – dont quatre d’ampleur et près de cent petits explosifs –, deux armes par tireur, une centaine de coups de feu tirés. C’était aussi une attaque complexe et planifiée. En plus, la fusillade a bénéficié d’une importante couverture médiatique. En 28 minutes, il y avait déjà une diffusion de l’événement en direct. Certaines images macabres ont été filmées et ont marqué la mémoire collective. Ce fut le 3e événement médiatique des années 1990 aux États-Unis. C’était aussi une volonté des tireurs de médiatiser leur fusillade, avec une mise en scène dans leurs vêtements, dans les écrits et les vidéos qu’ils ont laissés.
Avec la démocratisation d’internet, qui était encore naissant en 1999, et la diffusion d’une partie de leurs textes, on voit le phénomène qui réapparait 20 ans après à des milliers de kilomètres de chez eux. Comme en Russie l’an dernier, au Mexique en 2020, au Brésil en 2019, mais aussi au Havre à l’automne dernier ou à Grasse en 2017 (lire ci-dessous).
Quel est le profil de ces tueurs de masse ?
Alexandre Rodde. Ce sont des individus relativement « moyens », dont l’environnement sociologique est des plus classiques. Il n’y a pas de critères clés, même si ce sont le plus souvent des jeunes hommes. Et ils sont assez bien répartis en termes de revenus et d’ethnie.
Contrairement à ce qui est souvent évoqué, la prise de médicaments du type psychotrope n’est pas un critère, ni le harcèlement scolaire dont ils seraient victimes. Ils sont plus harceleurs qu’harcelés. Cependant, certains éléments se retrouvent : tous semblent rencontrer des difficultés avec le sexe opposé et beaucoup d’entre eux voient dans l’activité militaire une façon de prouver leur virilité. Ce qu’ils souhaitent, c’est prouver aux autres leur valeur dans un domaine où on ne pourra pas la nier : la violence. Et accéder au statut de tueur de masse.
Contrairement aux terroristes, ils n’attaquent pas pour des raisons idéologiques, ils le font pour des raisons personnelles.
Comment choisissent-ils leur cible ?
Alexandre Rodde. Pour beaucoup de tireurs scolaires, l’établissement choisi est le centre de leur vie scolaire et sociale. Ils connaissent les lieux et le public. Ils savent qu’un établissement scolaire est une cible médiatique et que leur choix leur permettra une couverture télévisuelle.
Peut-on faire un parallèle entre les tueries en milieu scolaire et les fusillades en entreprises ?
Alexandre Rodde. En effet, il y a un certain nombre de parallèles. Les raisons sont souvent personnelles, comme dans les écoles : l’employé mécontent retourne sur son lieu de travail pour frapper.
L’entreprise est une cible récurrente pour les fusillades de masse, en particulier aux États-Unis. Les chiffres du FBI pour la période 2000-2019 sortis en 2020 en attestent : 30 % des fusillades de masse ont eu lieu dans des établissements recevant du public (ERP), principalement dans des commerces de petite taille et des bars-restaurants, et 15 % dans des industries.
C’est-à-dire que près de la moitié des fusillades de masse ont lieu dans un milieu professionnel. Et en 2021, les trois cas les plus mortels ont eu lieu dans un ERP : un supermarché dans le Colorado (10 morts), chez Fedex à Indianapolis (8 morts) et chez VTA en Californie (8 morts).
Et en France ?
Alexandre Rodde. Pour la France, on a assez peu de chiffres parce que le phénomène est moins développé. Sans tomber dans la tuerie de masse, une intrusion armée dans les locaux d’une entreprise n’est pas si rare. On a pu en voir à la scierie des Plantiers en mai dernier (lire ci-dessous), où un employé mécontent a tué deux personnes, et à Saint-Varent en mai 2020 avec trois morts. On pense également à la tuerie de Pôle emploi à Valence en janvier 2021. Ou encore au double meurtre de chez Bouygues le 10 juillet 2021 en région parisienne. C’était alors un client insatisfait qui a poignardé à mort deux employés.
Comment, en entreprise, peut-on se préparer à cette menace ?
Alexandre Rodde. S’il existe les PPMS (plans particuliers de mise en sûreté) pour les établissements scolaires, il faut savoir que l’entreprise peut avoir des contacts avec le référent sûreté dont elle dépend. Il s’agit d’un policier ou d’un gendarme capable de fournir des conseils de vigilance et de protection. Il pourra visiter les locaux, connaître les
problématiques de l’entreprise et proposer des réponses adaptées. Les forces de l’ordre peuvent même venir s’entraîner dans les locaux pour se faire une idée de l’entreprise.
Par ailleurs, des formations en interne permettent de se préparer à une intrusion armée. Elles apprennent à savoir réagir, à gérer la bonne alerte, l’évacuation ou le confinement…
Quels sont les signaux faibles qui peuvent alerter ?
Alexandre Rodde. Tout dépend du milieu dans lequel on travaille. Le ton, l’agressivité, les rapports humains varient selon le type d’activité. Le mécontentement, la colère d’un employé ou d’un client qui reviennent régulièrement peuvent inquiéter. Certains signaux peuvent également arriver par internet. Des employés peuvent recevoir des menaces, être pris à partie via les réseaux sociaux. Un salarié qui aurait entendu ou vu quelque chose, qui aurait une inquiétude, doit la remonter pour que l’entreprise ait un contact avec la Gendarmerie ou la Police. Elle fera l’analyse de la menace et déterminera si elle est sérieuse. Si c’est le cas, une enquête sera menée. Il faut bien sûr qu’il y ait des éléments probants mais c’est malheureux d’entendre dire, après une attaque, qu’on avait ces éléments mais qu’on n’a pas été plus loin…
En France, quelle est l’organisation des forces de l’ordre pour faire face à une intrusion armée ?
Alexandre Rodde. L’intervention de la Police et de la Gendarmerie est graduée. Elle est organisée en trois niveaux. Le niveau 1 correspond aux gendarmes et policiers en patrouille classique, le niveau 2 à l’intervention opérationnelle (la BAC-PSIG[1]) et le 3e niveau est composé des équipes les plus formées de France : le GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale), la BRI-PP (Brigade de recherche et d’intervention de Paris) et le Raid, l’unité d’intervention de la Police nationale.
Après les attentats de 2015, le plan BAC-PSIG 2016 a été mis en place. Il a réorganisé le schéma d’intervention avec un recrutement renforcé et une amélioration de la formation des équipes et du matériel. Il a permis un changement drastique de la capacité opérationnelle en seulement quelques années. C’est incomparable avec ce qui existait avant 2015.
En cas de fusillade, les premiers intervenants sont en général les personnels du niveau 1 car ils sont constamment en patrouille. Ils sont aujourd’hui mieux formés et mieux équipés qu’avant les attentats de 2015. Mais ce type d’intervention, qui reste une petite partie de leur activité, n’est pas leur spécialité. Eux sont très polyvalents. Leurs collègues du niveau 2 arrivent donc très vite en renfort. Ils sont même parfois sur place en premier car ils font également des patrouilles.
Le rôle de ces deux niveaux est de s’engager pour neutraliser la menace ou la fixer. C’est-à-dire la bloquer dans un espace où elle n’a pas accès aux victimes. Puis, de sauver un maximum de vies en organisant les premiers secours, les évacuations, en aidant l’action des sapeurs-pompiers… Et si la situation est complexe, c’est au GIGN, au Raid ou à la BRI-PP d’intervenir, en fonction du lieu géographique de l’attaque.
Estimez-vous que la menace est importante actuellement ?
Alexandre Rodde. Le risque terroriste reste élevé en France. On est passé de trois attaques en 2019 à sept à huit en 2020. Concernant la fusillade pour raisons personnelles, on a vu en 2021 une augmentation des cas de forcenés, des gens qui s’enferment chez eux avec une arme. Il y a probablement un effet dû à la pandémie de Covid-19. Mais ce sont aussi des éléments qu’il faut considérer.
D’une façon générale, il y a une nécessité de vigilance de l’ensemble de la population et des acteurs, qu’ils soient privés ou publics. Mieux vaut avoir un doute qui se révèle infondé que de passer à côté pour ne pas faire de vague.
[1] BAC-PSIG : Brigades anticriminalité de la Police nationale et Pelotons de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie nationale.
Article extrait du n° 579 de Face au Risque : « Tensions sur la supply chain » (février 2022).
Martine Porez – Journaliste
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