Jurisprudence. Retour sur la condamnation de Monsanto en 2020 pour produits défectueux

27 août 20217 min
Epandage agricole - Flickr CC Aqua Mechanical

Marathon judiciaire. L’agriculteur Paul François a finalement obtenu gain de cause en 2020 face à la multinationale. Gravement intoxiquée en 2004, la victime a bénéficié d’une décision reconnaissant la qualification de produit défectueux du pesticide Lasso. L’indemnisation est toujours en attente.

Article extrait du n° 574 de Face au Risque  (juillet-août 2021).

Dans les décisions importantes de l’année 2020, il faut noter la condamnation définitive de la Cour de cassation à l’encontre de la société Monsanto, dont l’herbicide de maïs – le Lasso – a été qualifié de produit défectueux. Cet herbicide est interdit en France depuis novembre 2007. Il a été banni du Canada dès 1985, puis de Belgique et du Royaume ­Uni en 1992.

Condamnation définitive de Monsanto en France

Monsanto s’est spécialisée dans les biotechnologies et les semences durant les années 1980. Cette période a vu également le développement d’autres grandes entreprises du sec­teur : Syngenta, Dow Agro Science et Pioneer Hi­ Bred, toutes étant pré­sentes sur les marchés des semences, des produits phytosanitaires et des organismes génétiquement modifiés (OGM).

Monsanto était, jusqu’en 2000, déten­trice du brevet – aujourd’hui tombé dans le domaine public – sur le gly­phosate, un herbicide total commer­cialisé sous la marque « Roundup ». C’est l’herbicide le plus utilisé dans le monde.

En l’espèce, c’est un autre désher­bant, le Lasso qui était en cause. Certains professionnels considèrent que le produit aurait dû être laissé sur le marché et disponible à la vente, en raison de son efficacité qui n’avait aucun équivalent. Selon eux, il serait possible de limiter ou d’éluder les dangers d’utilisation, en respectant scrupuleusement certaines précau­tions d’emploi.

« La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir relevé (…) que le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitiment s’attendre ».

Mais ce sont également les méthodes de l’entreprise qui ont été contestées : Monsanto est soupçonnée d’avoir rémunéré, directement ou indirecte­ment, des experts et scientifiques afin de discréditer les lanceurs d’alerte, de donner une image positive des pro­duits qu’elle vend et de faciliter l’agré­ment des autorités sanitaires.

D’ailleurs, le groupe Bayer, qui a racheté Monsanto en septembre 2018, a semble-­t-­il abandonné définitive­ment la marque Monsanto en raison de son impact négatif dans le public.

Le désherbant qualifié de produit défectueux

Dans sa décision du 21 octobre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation a clai­rement énoncé qu’en sa qualité de fabricant d’herbicide de maïs, la société Monsanto était responsable de la mise sur le marché d’un produit défectueux et qu’elle ne pouvait pré­tendre que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit avait été mis en circulation, ne permettait pas de déceler l’existence d’un « défaut » (au sens de l’article 1386­11­ 4e devenu 1245­10­ 4e du code civil transposant l’article 7 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la respon­sabilité sans faute du producteur du fait d’un produit défectueux).

La Cour de cassation a pris la peine de motiver sa décision en visant soi­gneusement les textes applicables et en s’appuyant précisément sur les faits de l’espèce. Elle relève qu’aux termes de l’article 1245­4 du code civil (ancien article 1386­5), un produit est mis en circulation lorsque le produc­teur s’en est dessaisi volontairement et ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation (il s’agit, pour les pro­duits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont le pro­duit faisait partie).

Elle relève que le produit avait bien été mis en circulation par son produc­teur postérieurement au 22 mai 1998, ce qui rendait applicable le régime européen de responsabilité du fait des produits défectueux.

Elle rappelle également que le demandeur doit prouver le dom­mage, le défaut et le lien de causa­lité entre le défaut et le dommage, et que la preuve que le dommage est imputable au produit peut être apportée par tout moyen et notam­ment par des indices graves, précis et concordants.

En l’espèce, il résultait des attesta­tions versées au débat que le produit avait été acquis le 13 avril 2004 et que le 27 avril 2004, l’agriculteur ayant utilisé le désherbant à maïs avait dû être conduit à l’hôpital, les rapports d’expertise médicaux démontrant que l’inhalation du produit avait entraîné la perte de connaissance de l’agriculteur, ainsi qu’une atteinte neuronale se traduisant par la perte de connaissance, des maux de tête et des céphalées violentes, ainsi que des crachats hémoptoïques et une toux irritative, signes révélateurs d’une atteinte respiratoire.

Les éléments de preuves réunis, à savoir l’étiquette du produit apporté à l’hôpital à la suite de l’hospitalisation de l’agriculteur, ainsi que les appels du service des urgences, démon­traient que le lien était établi entre l’inhalation du produit et le dommage survenu.

La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir également relevé que l’étiquetage ne respectait pas la réglementation applicable, qu’elle ne comportait pas de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves de réservoirs contenant le produit, et que ce dernier ne présentait donc pas la sécurité à laquelle on pouvait légiti­ment s’attendre. Le produit est donc jugé défectueux au sens de l’article 6 de la directive du 25 juillet 1985.

Une indemnisation faible au regard des peines prononcées aux États-Unis

L’agriculteur doit cependant attendre l’issue d’une autre instance pour espérer obtenir l’indemnisation de son préjudice. Estimé par la victime à un million d’euros, il est fort probable qu’il sera réduit drastiquement par les juridic­tions françaises, traditionnellement très mesurées au regard de ce qui se pratique outre ­Atlantique.

Ainsi en 2019 un jury américain a condamné Monsanto à verser deux milliards de dollars au total à un couple de septuagénaires atteints d’un cancer, la maladie étant imputée au désherbant « Roundup ». Il a éga­lement accordé 55 millions de dol­lars au couple à titre compensatoire (pertes économiques, préjudice moral…), estimant que l’exposition au Roundup avait causé leur cancer et que Monsanto avait failli à l’obliga­tion de prévenir ce grave danger pour la santé.

En août 2019, Monsanto avait déjà été condamnée à verser 289 millions de dollars à un jardinier atteint lui aussi de cancer, une somme réduite ensuite à 78 millions.

Plus de 11 000 procédures contre le Roundup sont en cours aux États­-Unis. Le groupe allemand Bayer continue à affirmer qu’aucun régulateur dans le monde n’a conclu à la dangerosité du glyphosate depuis sa mise sur le marché au milieu des années 1970, et met en avant 800 études sur ses effets. Le Centre international de recherche sur le cancer, une émana­tion de l’OMS, a considéré en 2015 que le glyphosate était « probablement cancérigène », mais pas l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ni l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).

Rappelons qu’en France, le Gouvernement a lancé un plan de sortie du glyphosate. L’Agence natio­nale pour la sécurité sanitaire (Anses) a lancé une évaluation des alterna­tives non chimiques à cet herbicide dont les résultats ont été rendus publics le 9 octobre 2020.

L’usage de la substance est doréna­vant restreint aux situations où le gly­phosate n’est pas substituable à court terme. Ainsi en 2021 pour la viticul­ture, il existe des doses annuelles maximales autorisées (450 g de gly­phosate par hectare, les applications étant limitées à 20 % de la surface de la parcelle, soit une réduction de 80 % par rapport à la dose maximale auto­risée auparavant).

1re chambre civile, n° 19-18.689, 21 octobre 2020.

Pierre-Yves Rossignol
Avocat Associé
Cabinet Herald Avocats

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