Equipement incendie : pour que la décontamination devienne un réflexe
La contamination des tenues et des équipements pendant un incendie est un réel danger pour les sapeurs-pompiers. Un guide proposant des bonnes pratiques de décontamination vient de sortir. Entretien avec ses auteurs : Dominique Anelli, ancien officier de défense NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique) et expert dans la décontamination, et Dominique Rohr, chef du service sécurité du marché international de Rungis et ancien pompier de Paris.
Face au Risque. Pourquoi écrire un guide sur la décontamination des sapeurs-pompiers et de leurs équipements ?
Dominique Anelli. L’idée vient d’une rencontre entre deux expertises. Celle de Dominique Rohr, dans le domaine de l’incendie et de la prévention des risques, et la mienne, dans le domaine de la décontamination. On a fait le constat qu’en matière de décontamination après incendie, du sapeur-pompier, de ses équipements et de ses matériels d’intervention, il n’existe pas de mesures cohérentes alors qu’on sait que le danger est réel. Les nouveaux matériaux utilisés dans la construction ont augmenté la toxicité du feu.
Plusieurs études étrangères ont montré que le taux de mortalité chez les pompiers est plus élevé à partir de 60 ans que dans la population normale. Et que le taux de cancers y est aussi plus élevé. Le pompier doit se protéger de l’exposition courante aux faibles concentrations qui vont l’intoxiquer à long terme. Le problème est l’accumulation des doses et l’absence de décontamination. Il existe bien un guide de doctrine édité par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) en 2018. Il dit ce qu’il faut faire mais n’explique pas
comment le faire et n’analyse pas réellement le risque.
Venant du milieu militaire, où la décontamination est normée, je ne comprends pas comment de nombreux pompiers peuvent continuer à travailler comme ça.
Dominique Rohr. En France, on est en retard sur le domaine, même si on sent des balbutiements. Des mesures existent dans certains cas, mais elles sont propres à chaque entité. Il faudrait que ça devienne la règle. Il faut un changement de culture. Avant, c’était glorieux de rentrer avec les habits et le casque noirs. Moi le premier, je rentrais en bottes chez moi alors que j’avais juste passé un coup d’eau dessus. Ça ne suffit pas. C’est inadmissible de ne rien faire. La problématique se pose d’autant plus que les formations sur feu réel se sont largement développées. Très réalistes, ces formations exposent le pompier protégé aux
fumées. Elles pourraient être couplées avec les procédures de décontamination décrites dans ce guide.
Quelle a été votre démarche ?
Dominique Anelli. Nous apportons d’abord une analyse du risque, à savoir ce qu’est un toxique contaminant. Pendant 6 mois, j’ai étudié les travaux canadiens, anglais et américains. Dernièrement, j’ai trouvé une étude française qui corrobore les autres études : la contamination surfacique élevée des tenues et des équipements, après un incendie. De là, nous avons établi une liste finie de 17 produits toxiques contaminants présents dans les fumées d’incendie. Cette liste est détaillée dans le guide, avec les valeurs limites réglementaires d’exposition de l’INRS.
Dominique Rohr. Nous avons ensuite tenu à proposer des réponses simples, rapides et opérationnelles, en prenant le paramètre décontamination dans sa globalité. L’idée est de travailler dès le départ en prenant en compte le problème de contamination par les fumées. C’est ce qu’on propose avec ce guide. On donne des clés aux décideurs pour leur permettre d’appréhender ce risque. Sachant que ça va du feu sur le terrain, jusqu’à l’appartement du pompier qui va rentrer chez lui avec ses équipements. Il peut transférer une partie de cette contamination à sa famille. À toutes les étapes, il faut donc penser « limitons la contamination ».
Vous proposez donc dans votre guide des solutions de décontamination ?
Dominique Rohr. Nous avons créé pour l’instant T, c’est-à-dire l’opération, une matrice qui permet au chef de détachement de pouvoir déterminer quelles mesures de décontamination mettre en place. Et ce en fonction de plusieurs paramètres simples à mesurer : la durée de l’exposition aux fumées, l’opacité des fumées et le paramètre espace confiné ou extérieur. On sait qu’il existe des moyens très simples pour limiter la contamination. On a fait tout un travail là-dessus avec une gradation de la décontamination, des protocoles liés et l’emploi de codes couleurs.
Dominique Anelli. Nous avons divisé la décontamination en quatre étapes, avec des protocoles associés.
1 La décontamination immédiate. C’est un acte réflexe qui se fait seul ou en binôme. Avant de monter dans le camion, à l’aide d’un gant ou d’une lingette imprégnée de produits adsorbants ou de solutions décontaminantes, on essuie la peau exposée et les interfaces homme-EPI. Ce n’est pas (ou peu) fait sur le terrain. On propose l’implication des sapeurs-pompiers en opération, à tous les niveaux.
2 La décontamination opérationnelle. Elle doit permettre sur le terrain de limiter le transfert de contamination entre le pompier et des équipements ou les zones propres. Il s’agit de nettoyer les bottes et les gants, brosser les tenues, protéger l’intérieur des véhicules avec des housses protectrice en mylar par exemple. Des outils existent chez les industriels du domaine NRBC.
3 La décontamination approfondie. Elle intervient en fin d’opération, avant le retour à la caserne. Pour les matériels durcis (c’est-à-dire imperméables aux contaminants), il s’agit de décontaminer par transfert (eau sous pression). Les matériels sensibles et les tenues doivent être isolés dans des sacs étanches. Le personnel doit se doucher et mettre une tenue différente de celle de l’intervention. Cela sous-entend que les sapeurs-pompiers ont au moins deux tenues à disposition.
4 La décontamination post-opération. Elle doit s’effectuer quand on arrive à la caserne. C’est un nettoyage en profondeur de l’ARI et des tenues suivant des protocoles définis, dans une zone dédiée dépressurisée et isolée de la zone vie. Dans l’idéal, ces opérations se font sous flux d’air maintenu avec des hottes aspirantes. L’extérieur des véhicules et les outils doivent également être nettoyés.
Toutes ces opérations ne demandent-elle pas plus de moyens ?
Dominique Rohr. Tout ce qu’on propose, on peut le faire aujourd’hui avec les ressources qu’on a. Sans perturber gravement la réponse opérationnelle. Le bon sens peut être appliqué avant même toute étude scientifique poussée. La priorité opérationnelle prime et on en a bien conscience. On l’a prise en compte dès le départ. Dans la tête du pompier, décontamination veut dire protocole complexe car il fait le parallèle avec les seuls protocoles qui existent ? C’est-à-dire pour les attentats NRBC ou les expositions aux produits chimiques industriels. Or, il existe des petits gestes simples qui permettent de limiter la contamination.
On propose des protocoles de décontamination en autonome, c’est-à-dire avec le personnel présent et les moyens embarqués. Ou avec appui pour les feux de grande ampleur, c’est-à-dire avec du personnel dédié, un véhicule de remise en condition des personnels… Par ailleurs, pour éviter les protocoles complexes, il faut, en amont, penser contamination. Il existe ainsi des méthodologies d’attaque qui permettent de réduire l’engagement et donc la contamination, comme attaquer les feux de l’extérieur avec des lances haute-pression, et mettre en place des moyens de ventilation. Lorsque la situation le permet, car il n’existe aucune « recette de cuisine » en matière d’adaptation des concepts d’attaque, c’est l’environnement qui dicte nos actions. Lorsque des vies ne sont pas menacées, et même si la sauvegarde des biens fait partie intrinsèque de la mission, pourquoi ne pas systématiquement privilégier un mode d’attaque plus sécurisé ? Pour ce faire, de nouveaux moyens voient le jour.
Dominique Anelli. Nous proposons aussi dans ce guide des solutions qui existent sur le marché : lingettes, gants absorbeurs, kits de décontamination à sec, pulvérisateurs, mousseurs, aspirateur spécifique, sacs étanches et autres. Plutôt que chacun invente sa solution, qui va dépendre de la taille de la caserne, il faut faire appel aux moyens déjà existants et les adapter. Si ça existe pour l’armée et que ça marche, ça devrait fonctionner pour les pompiers.
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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