L’ingénierie de sécurité incendie fait son cinéma

15 novembre 20196 min

L’ingénierie de sécurité incendie
fait son cinéma

Le Bazar de la Charité, la nouvelle série de TF1, est diffusée à partir du 18 novembre 2019. Pour la reconstitution en studio de l’emblématique incendie, une étude d’ingénierie de sécurité a été exigée par les assurances.

Retour sur l’incendie du Bazar de la Charité

Le 4 mai 1897, la haute société parisienne se presse, comme chaque année, au Bazar de la Charité pour une manifestation caritative au profit des plus démunis. Le lieu est un hangar de 1 000 m² en bois, situé rue Jean Goujon à Paris. Pour l’occasion, une ambiance médiévale est recréée avec des échoppes surmontées de tentures, de draperies et d’enseignes. Pour gagner de la place, les portes existantes sont fermées à l’exception d’une seule qui s’ouvre vers l’intérieur.

L’événement de la journée est la projection des œuvres des frères Lumière qui viennent d’inventer le cinéma. Mais pendant la projection, la bobine s’embrase. Le feu s’étend très rapidement et c’est la panique dans le Bazar… Les matériaux de construction – pitchpin verni, toiture goudronnée, boiseries en résine, toiles et tentures des décors – favorisent la combustion.

Ce drame provoque la mort de près de 130 personnes, en majorité des femmes. Avec leurs robes volumineuses, certaines n’ont pu échapper aux flammes. Et d’autres périrent asphyxiées et écrasées n’ayant pu évacuer les lieux à cause des portes qui avaient été condamnées.

Cette tragédie a été le point de départ des premières réglementations sur la prévention des incendies dans les ERP et notamment la résistance au feu des matériaux de construction et le nombre et le dimensionnement des issues de secours.

La série

C’est Alexandre Laurent qui a réalisé la série de 8 épisodes de 52 minutes. Le scénario met en scène trois femmes dont le destin a basculé lors de cet incendie.

La prestigieuse distribution est composée d’Audrey Fleurot, Camille Lou, Julie de Bona, Gilbert Melki, Josiane Balasko, Antoine Duléry, Florence Pernel, Stéphane Guillon…

Près de 3 000 figurants en costume ont complété le casting et 185 techniciens ont travaillé sur le projet. Côté décors, une centaine de calèches et de fiacres ont été nécessaires.

Le risque incendie pendant le tournage

Pour reproduire l’incendie du Bazar de la Charité, il a fallu prendre des précautions. Les assureurs ont imposé à la société de production Quad Télévision d’effectuer une étude du risque incendie. L’équipe de CNPP, missionnée pour la réaliser, a opté pour une étude d’ingénierie de sécurité incendie (ISI) après la visite du studio de Bry-sur-Marne où allait se tourner la scène de l’incendie.

L’ISI a porté sur un bâtiment de 930 m² aux parois en béton. Il s’agissait de vérifier qu’une série de feux de gaz propane utilisé par les artificiers n’altérerait pas la structure du bâtiment, n’endommagerait pas les projecteurs installés au plafond et permettrait aux techniciens et aux comédiens d’évoluer sans danger.

Les données de départ de l’étude d’ingénierie

Douze bouteilles de gaz propane sont prévues pour alimenter les rampes de feu disposées dans le décor (en jaune dans le schéma ci-dessous). Le bâtiment possède deux exutoires de désenfumage et deux portes. Les décors et les costumes sont traités contre l’incendie. Les décors sont mouillés entre chaque prise.

L’étude d’ingénierie

Le scénario d’étude, envisagé d’après les éléments fournis par les artificiers, est le suivant : la scène du feu dure 1 minute et est suivie d’une interruption de 4 minutes, puis elle est reproduite sur ce même rythme pendant une heure. En réalité, le temps de pause entre chaque prise d’une minute sera certainement beaucoup plus long pendant le tournage mais l’étude présente ainsi le cas le plus critique.

Lors d’une première simulation, les exutoires et la porte d’accès au hall ne sont ouverts que durant les temps de pause de 4 minutes. La seconde porte donnant sur un couloir reste ouverte en permanence.

Dans une seconde simulation, deux extracteurs de fumée de 50 000 m3/h chacun sont ajoutés et mis en marche pendant les temps de pause.

Lors des deux simulations, pendant la scène de feu d’une minute, la fumée emplit rapidement le volume et atteint le haut du décor. Puis, pendant la phase suivante de 4 minutes, la modélisation démontre que l’extraction favorise l’évacuation des fumées. Ceci permettra d’enchaîner plus rapidement les prises tout en garantissant un meilleur environnement de travail pour les acteurs, les techniciens et le réalisateur.

Les figures ci-dessous montrent l’emprise des fumées dans la simulation après 12 scénarios de 1+4 minutes ; à gauche sans extracteur, à droite avec extracteur.

Concernant la température à 2 m du sol, les résultats sont sensiblement équivalents entre les deux simulations : jusqu’à près de 100 °C en phase de feux puis redescente à 20 °C entre chaque prise. Les extracteurs n’ont ici pas d’effet significatif.

Une modélisation de la concentration en monoxyde de carbone du studio est également effectuée. Elle démontre que les extracteurs ont, comme pour les fumées, une action sur le CO2.

Conclusion de l’ISI

Romain Morlon, l’ingénieur modélisation du Laboratoire Feu et Environnement de CNPP qui a réalisé l’étude, a conclu que « le risque pour les personnes et les structures, par rapport à l’accumulation de chaleur et de produits de combustion et à la perte de visibilité, est très faible même pour un scénario de feu se voulant très majorant par rapport à la réalité ».

Il a conseillé cependant aux artificiers d’utiliser des extracteurs. Ceux-ci permettent, par une meilleure évacuation des fumées et du CO2, de gagner du temps entre chaque prise. Romain Morlon note cependant que les temps de pause de 4 minutes déterminés pour les simulations ne sont pas suffisants pour évacuer la totalité de la fumée dans le volume.

Avec l’ensemble des recommandations tirées de l’étude ISI, les scènes de l’incendie ont pu être tournées en toute sécurité.

Martine POREZ

Martine Porez
Journaliste

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