Covid-19 : Amazon condamnée en France au titre de l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur

Le 14 avril 2020, le Tribunal de Nanterre a prononcé une lourde condamnation à l’encontre de la société Amazon France Logistique. Plusieurs manquements à l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés du géant du e-commerce ont été relevés.

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Depuis que la crise sanitaire du Covid-19 a démarré, plusieurs syndicats ont saisi le Tribunal judiciaire en référé, considérant que les mesures mises en place par certains employeurs étaient insuffisantes pour garantir la sécurité et la santé des salariés et empêcher la propagation du virus.

Dans une ordonnance du 9 avril dernier, le Tribunal judiciaire de Paris avait estimé que La Poste avait adopté les bonnes mesures de précaution et de prévention, en appliquant les directives des pouvoirs publics et des autorités sanitaires et en se concertant avec les représentants du personnel notamment, mais lui avait cependant ordonné d’élaborer et de diffuser son Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP), sans pour autant assortir cette injonction d’une astreinte.

C’est une condamnation beaucoup plus lourde que le Tribunal judiciaire de Nanterre vient de prendre à l’encontre d’Amazon France Logistique, ce 14 avril 2020, par une ordonnance extrêmement importante dans la mesure où, quand bien même il était saisi en référé, le Tribunal, en pleine conscience de l’urgence de la situation, apporte les premiers éléments de réponse à des questions juridiques essentielles dans la période que nous traversons.

Le Tribunal était saisi conjointement par un syndicat (l’Union Syndicale Solidaires) et, sur intervention volontaire, par une association de défense de l’environnement (les Amis de la Terre).

L’association justifiait son intervention par « le lien indissociable entre les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux ». Quand bien même il relève que l’objet social de l’association lie la protection de l’environnement à celle des êtres humains, le Tribunal juge cependant que l’association est privée d’intérêt à agir dans la mesure où ce litige porte non pas sur la protection de l’environnement, mais sur les obligations d’Amazon France Logistique concernant « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs dans le contexte d’épidémie de Covid-19 » et « le respect de règles de santé publique édictées pour lutter contre une épidémie ». L’intervention de l’association est ainsi jugée irrecevable.

Faisant valoir que « dans chaque entrepôt d’Amazon », les équipes regrouperaient au-moins 500 personnes, le syndicat soulevait « la violation de l’interdiction des activités mettant en présence simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert ».

Se référant à la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, mais aussi aux avis antérieurs de l’OMS qualifiant l’émergence d’un nouveau coronavirus « d’urgence de santé publique de portée internationale » (30 janvier 2020) puis de pandémie (11 mars 2020), le Tribunal rappelle que la loi d’urgence autorise le 1er Ministre à « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature » mais aussi à prendre, « en tant que de besoin », toute autre mesure limitant la liberté d’entreprendre, et juge que l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes ne figure pas parmi les entraves à la liberté d’entreprendre mentionnées dans le décret du 23 mars 2020. Il écarte en conséquence la violation de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes.

En revanche, le Tribunal juge qu’Amazon France Logistique a « de façon évidente » méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé physique et mentale de ses salariés prévue à l’article L4121-1 du Code du travail puisque son évaluation des risques liées à l’épidémie de covid-19 est « insuffisante » et que « la qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre permettant une maîtrise appropriée des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle ».

Le Tribunal rappelle qu’en application de l’article L4121-3 du Code du travail, l’employeur doit évaluer dans l’entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, doit transcrire les résultats de cette évaluation dans un document d’évaluation des risques professionnels, et doit prendre les mesures de prévention nécessaires. Il ajoute que les représentants du personnel doivent être associés à l’évaluation de ces risques.

Le Tribunal relève que les règles de distanciation et les gestes barrière ont été respectés chez Amazon France Logistique, et que les réunions y ont effectivement été limitées. Procédant à un examen minutieux des pièces produites par Amazon France Logistique, il considère cependant que n’ont pas été suffisamment évalués :

  • Le risque de contamination à l’entrée des sites, notamment du fait du maintien des portiques roulants que les salariés poussent avec leurs vêtements ou leurs mains et qui ne peuvent être systématiquement désinfectés après chaque passage ;
  • Le risque lié à la fermeture des vestiaires et à l’autorisation laissée aux salariés de déposer leurs effets personnels à proximité de leur poste de travail, ce qui est d’ailleurs contraire aux règles d’hygiène ;
  • Le risque lié aux défaillances des plans de prévention avec les entreprises extérieures censés préserver la santé des salariés pendant les opérations de transports et de nettoyage ou de sécurité des sites : ces plans n’ont pas été formalisés ou n’ont pas fait l’objet d’une concertation préalable avec les représentants du personnel et n’ont pas été portés de manière appropriée à la connaissance des salariés ;
  • Les risques de contamination à l’occasion du travail :
    • Amazon France Logistique n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations selon lesquelles le virus reste actif sur les surfaces en carton pendant une durée de 24 heures ;
    • La distanciation sociale au sein des sites n’est pas respectée ;
    • Amazon France Logistique ne justifie pas avoir chargé 350 salariés, ambassadeurs hygiène et sécurité, d’une mission de contrôle du respect par les autres salariés des mesures barrière et des consignes de sécurité ;
    • Les plans de formation qu’elle a mis en place ne sont pas suffisants et ne sont pas adaptés aux risques de contamination ;

Les risques psycho-sociaux liés au risque épidémique et aux multiples changements d’organisation du travail n’ont pas été évalués.

Ces différents manquements constituent selon le Tribunal un « trouble manifestement illicite » et rendent nécessaires de prévenir le « danger imminent » constitué par la contamination d’un nombre important de salariés.

En conséquence, le Tribunal ordonne à Amazon France Logistique de procéder, en associant les représentants du personnel, à une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble des entrepôts, ainsi qu’aux mesures de l’article L4121-1 du Code du travail : actions de prévention des risques professionnels, actions d’information et de formation, et mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Quand bien même il rejette la demande principale du syndicat, qui visait à l’arrêt de tous les entrepôts d’Amazon en ce qu’ils rassembleraient plus de 100 salarisés en un même lieu clos de manière simultanée, le Tribunal accueille la demande subsidiaire du syndicat, et, dans l’attente de la mise en place des mesures précitées et pendant un mois, condamne Amazon France Logistique à restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception de marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène, et de produits médicaux, ceci sous astreinte de 1 million d’euros (le syndicat demandait 1 181 000 €) par jour de retard et par infraction constatée.

Amazon France Logistique a décidé de faire appel de cette décision, tout en fermant ses sites situés en France.

En date du 24 avril 2020, la cour d’appel de Versailles a rejeté le recours formulé par le géant du e-commerce américain, tout en élargissant la liste des produits considérés comme essentiels autorisés à la vente.

Olivier Gauclère
VIGINTI Avocats

Avocat Associé

Antoine de Bonnières
VIGINTI Avocats

Avocat

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