Remise en cause du devoir de vigilance : vers l’émergence de nouveaux risques RH ?

30 juin 20257 min

Le lundi 23 juin, les 27 États membres du Conseil de l’Union Européenne ont trouvé un accord pour simplifier le reporting de durabilité des entreprises. En même temps que celui de la CSRD, le périmètre de la CS3D (devoir de vigilance) a été revu à la baisse « pour une meilleure compétitivité de l’UE ». Un arbitrage qui pourrait se faire au détriment de la prévention sociale et sanitaire.

Fin juin 2025, les États membres du Conseil de l’UE ont trouvé un accord pour simplifier les directives CSRD et CS3D © Présidence estonienne de l'UE

CS3D : une loi qui trouve son origine en France

Le devoir de vigilance, introduit en France par la loi « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre » (loi n° 2017-399 du 27 mars 2017), et validée par le conseil constitutionnel, (qui a néanmoins censuré les amendes civiles prévues initialement) vient compléter le code du travail (articles L. 8222-1 et suivants du Code du travail – obligation de vigilance, travail dissimulé) qui prévoyait déjà une obligation de vigilance et une obligation de diligence contre le travail dissimulé et l’emploi irrégulier d’étranger sans papiers.[1]

[1] Article L. 8222-1 du Code du travail (obligation de vigilance, travail dissimulé)
Article L. 8254-1 du Code du travail (obligation de vigilance, emploi irrégulier d’étranger sans titre de travail)
Article L. 8222-5 du Code du travail (obligation de diligence, travail dissimulé)
Article L. 8254-2-1 du Code du travail (obligation de diligence, emploi irrégulier d’étranger sans titre de travail)

Ce dispositif de 2017 impose aux sociétés mères de plus de 5 000 salariés en France (ou 10 000 dans le monde) d’établir un plan de vigilance et doit permettre d’identifier les risques liés à leurs propres activités mais aussi à celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.

Le glissement sémantique entre « obligation et devoir » n’est probablement pas neutre. L’obligation se caractérise en effet par l’existence d’un lien de droit alors que le devoir a une connotation davantage morale.

La directive européenne CSDDD (Corporate sustainability due diligence directive – CS3D), adoptée plus tard par le Parlement européen le 24 avril 2024, impose aux entreprises de prévenir, atténuer et stopper les effets négatifs de leurs activités sur les droits humains et sur l’environnement. Cette directive est contraignante en matière de hiérarchisation des risques, de transparence et de réparation des dommages.

La directive s’attache à réglementer les obligations des entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale sur leur chaîne de valeur et la gouvernance. Il s’agit de remettre le respect des droits humains au cœur des préoccupations des multinationales. Cette évolution réglementaire consacre la vigilance comme un levier majeur de gouvernance responsable, à la fois environnementale, sociale et RH, au niveau européen. Cette directive devait être transposée en droit français en 2026.

Perçue comme une contrainte juridique, la CS3D modifie les politiques RH qui se doivent plus responsables.

Le devoir de vigilance : un pilier menacé de la régulation sociale et RH

Depuis quelques années, le devoir de vigilance s’est ainsi imposé grâce à une réglementation nationale comme un outil juridique pour contraindre les grandes entreprises à anticiper et à prévenir les atteintes aux droits humains, à l’environnement et aux conditions de travail dans leurs chaînes de valeur avec la mise en œuvre de plan de vigilance nécessitant d’identifier et de cartographier les risques (Dufour, 2025).

Son affaiblissement progressif – tant en France qu’au niveau européen – fait peser des risques majeurs sur les conditions de travail, la santé des salariés et la prévention des dérives sociales. Comment les services RH peuvent-ils répondre à ce défi, alors que les mécanismes de régulation se fragilisent ?

Quelles conséquences pour les RH en cas de recul politique ?

Cependant, le retrait demandé par la France et le ralentissement du processus européen via la procédure « Omnibus » soulèvent de nombreuses inquiétudes. Derrière ce reflux, c’est tout un système de prévention des risques professionnels, sociaux et humains qui est fragilisé.

Emmanuel Macron a ainsi appelé à un retrait total de la directive européenne sur le devoir de vigilance, lors du sommet Choose France.

Le 26 février dernier, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures de simplification baptisé « Omnibus ». Elles ont pour effet de reporter, voire supprimer l’application des obligations de vigilance et de reporting pour les entreprises, tout en modifiant leur champ d’application, au prétexte que le risque du tout « normatif » pèse sur les employeurs.

En matière RH, le devoir de vigilance est un outil de régulation des relations de travail dans des contextes complexes, notamment en matière de sous-traitance et d’externalisation. Il impose aux directions RH de cartographier les risques sociaux (travail dissimulé, discrimination, harcèlement, conditions de travail indignes), de mettre en œuvre des politiques de prévention adaptées, et d’anticiper les tensions sociales.

Cette volte-face risque de créer une forme d’impunité pour les violations commises dans les chaînes d’approvisionnement, avec un recul des responsabilités de l’employeur vis-à-vis de leurs obligations sociales, en particulier dans les pays à faible régulation.

Santé, sécurité et sous-traitance : des travailleurs exposés

Le recul du devoir de vigilance renforce les vulnérabilités existantes dans certaines formes d’emploi : travail intérimaire, sous-traitance en cascade, emploi irrégulier d’étrangers sans titre, etc. Le non-respect des obligations de vigilance prévues par le Code du travail (articles L.8222-1 et suivants) expose les donneurs d’ordres à des risques :

  • Civils : solidarité financière en cas de dettes sociales,
  • Pénaux : recours sciemment à du travail dissimulé,
  • Administratifs : amendes, suspension de marchés, exclusion d’aides publiques.

Mais ce sont surtout les travailleurs qui sont directement menacés : conditions de travail dégradées, non-respect des normes de santé et sécurité, surexposition à des risques physiques et psychosociaux en dépit de l’obligation générale de sécurité (article L4121-1 du code du travail).

Le cas de La Poste, condamnée en 2023 pour des pratiques de sous-traitance impliquant des travailleurs sans-papiers, illustre ces dérives. Le groupe a été condamné par le tribunal de Paris à améliorer son devoir de vigilance dans un dossier concernant des travailleurs sans-papiers chez ses filiales Chronopost et DPD.

En renonçant à renforcer ces obligations, les gouvernements européens envoient un signal ambigu : celui d’un arbitrage en faveur de la compétitivité économique à court terme, au détriment de la prévention sociale et sanitaire. Au motif d’une « permacrise » les droits des travailleurs sont bafoués et la gestion des risques occultée.

Les directions RH sont aujourd’hui à la croisée des chemins : intégrer pleinement la vigilance comme un outil de gouvernance, de dialogue social et de prévention des risques professionnels. Le recul réglementaire ne doit pas être un prétexte à la négligence, mais un appel à renforcer volontairement les dispositifs internes, les process de contrôle et d’identification des différents risques RH.

En savoir plus

A écouter l’émission du 10/06/2025 de nos confrères de RFI « Les travailleurs sont-ils de moins en moins protégés dans le monde ? ». Débat avec :

  • Emmanuelle Lavignac (secrétaire nationale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens UGICT-CGT) ;
  • Caroline Diard, professeure associée au département Droit des affaires et management DRH à TBS Toulouse Business Scholl éducation ;
  • Martin Denis, conseiller politique au TUAC, commission syndicale consultative auprès de l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques.
À lire également

Notre article “Devoir de vigilance : un accord européen trouvé” (Mars 2024).

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Caroline Diard, docteure en sciences de gestion et professeure au département Management des ressources humaines et droit des affaires à TBS Education

Caroline Diard

Docteure en sciences de gestion et actuellement professeure au département Management des ressources humaines et droit des affaires à TBS Education. Précédemment DRH pour une société de biotechnologies et consultante pendant 15 ans, elle est intervenue auprès de plusieurs établissements : Université de Savoie, EM Normandie, IMT-BS, Burgundy School of Business, ICN, EDC… Parallèlement, elle est l’autrice de publications académiques et professionnelles dans des revues telles que Recherches en sciences de Gestion, Management & Avenir, Gérer et comprendre… Ses domaines de recherche sont le télétravail, la vidéoprotection et l’influence des technologies sur le contrôle des salariés.

Nicolas Dufour

Nicolas Dufour

Docteur en sciences de gestion, professeur des universités associé au CNAM et Risk Manager dans le secteur de l’assurance

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