Interview Chubb France : « Jamais nous n’avons fui nos responsabilités »
Suite à l’arrêté du 21 juin 2023, mettant en demeure Chubb France de procéder à un certain nombre d’actions concernant un certain nombre d’extincteurs marqués Sicli, la société a souhaité réagir. José Pérez, directeur Technique et Qualité, nous explique l’enchaînement des faits et nous donne des éléments éclairant l’origine de la défaillance.
Pour quelle raison un arrêté de mise en demeure concernant la commercialisation de certains extincteurs a été pris envers la société Chubb France ?
José Pérez. Au préalable, je voudrais rappeler que la vocation de Chubb France est la sécurité. C’est une entreprise engagée depuis 200 ans au service de la sécurité. Nous concevons, nous installons, nous maintenons des solutions pour la protection des personnes et des biens. La sécurité est notre priorité.
Pour répondre à votre question, il faut comprendre comment fonctionnent les extincteurs. Ils sont constitués d’un cylindre et d’une tête assemblés par une bague de serrage. Ce sont des appareils sous pression qui nécessitent des précautions particulières. Si la bague est revissée « de travers » lors des opérations de maintenance, cela peut dans de très rares cas conduire à la désolidarisation de la tête lors de la mise sous pression, c’est-à-dire lors de l’activation de l’extincteur.
Notre plan d’optimisation de la sécurité vise à supprimer le risque d’assemblage incorrect. Ce plan et cet arrêté font suite à six incidents isolés intervenus lors de l’activation de l’appareil, les premiers étant survenus en 2020. Nous avons constaté un détachement de la tête par rapport au cylindre de l’extincteur. Ces incidents isolés n’ont donné lieu ni à des dégâts matériels, ni à des blessures.
Ce plan et cet arrêté font suite à six incidents isolés intervenus lors de l’activation de l’appareil, les premiers étant survenus en 2020.
José Pérez
Directeur Technique et Qualité, Chubb France
Quelles étaient les caractéristiques de ces extincteurs, leur nombre, depuis quand étaient-ils commercialisés ?
J. P. Il s’agit d’extincteurs à pression auxiliaire conçus et produits par le fabricant Gloria, qui fait partie du groupe Carrier. Nous sommes le distributeur exclusif du produit pour la France. Dans le cadre d’un portage de marque, ces produits portent principalement la marque Sicli, et à plus petite échelle Matincendie.
Ces appareils sont destinés aux professionnels, au premier rang desquels l’industrie, les administrations, les ERP. Leur commercialisation a débuté en 2013. Le nombre d’appareils concerné est estimé à 2 millions. Leur design a été modifié par le fabricant Gloria en juin 2022.
À la suite des incidents intervenus en 2020, quelles actions avez-vous entreprises ?
J. P. Fin juin 2020, nous avons initié un signalement via le système européen Rapex. Début juillet et également de manière proactive, nous avons également contacté spontanément la DGCCRF, qui n’était pas encore informée du Rapex. Dans la même période, nous avons assuré une diffusion plus large encore de cette information en nous rapprochant des organismes certificateurs, Afnor et CNPP, ainsi que la FFMI, notamment le Syfex et le Sypsi.
Il nous semblait important de prévenir nos confrères en charge de la maintenance de ces appareils, car nous avions le sentiment dès ce moment-là que ces incidents, visiblement liés à la conception de ces extincteurs, pouvaient être évités grâce à une maintenance particulièrement rigoureuse afin de supprimer le risque d’assemblage incorrect. En septembre 2020, la Dreal est revenue vers nous, car c’est elle qui a été saisie du dossier.
Les extincteurs mis en cause par l’arrêté du 21 juin 2023 sont marqués principalement Sicli (et à plus petite échelle Matincendie). Ils ont été fabriqués par Gloria, avant juin 2022. Environ deux millions de produits sont concernés par la décision administrative.
Quelles ont été les suites de cette campagne d’information ?
J. P. Nous avons entamé une période de collaboration avec les autorités et les organismes de certification. Pour notre part, nous avons retourné les appareils défaillants au fabricant Gloria et nous avons participé avec lui à des analyses en interne dans le cadre de procédures qualité. Au terme de cet ensemble de procédures, Gloria a produit un rapport concluant qu’il n’y avait pas de problèmes particuliers sur le produit. Cependant, le fabricant a indiqué tenir compte de ces incidents dans les futures améliorations de son produit.
De son côté, l’Afnor a mandaté CNPP pour prélever des appareils sur notre site logistique afin de procéder à des tests dans son laboratoire. Un audit de l’usine de fabrication des extincteurs Gloria située en Pologne a été initié. Toutes ces procédures et analyses ont été partagées avec la Dreal et l’Afnor au travers de documents et de réunions tripartites. Fin 2020, l’Afnor a confirmé que les produits étaient conformes aux appareils témoins déposés en certification, et donc qu’il n’y avait pas de dérive. En revanche, suite aux essais menés par CNPP, l’Afnor a constaté qu’il subsistait une possibilité de vissage de travers de la bague de serrage de la tête sur le corps de l’extincteur.
Quelles décisions ont été prises, suite à ces essais ?
J. P. Le mode opératoire fait partie de la certification et son respect est obligatoire. Suite aux essais, le mode opératoire de maintenance a été renforcé. Un extincteur est ouvert à deux occasions : une fois par an lors de la maintenance préventive, ou lorsqu’il a été utilisé et qu’il faut le recharger. Ce mode opératoire renforcé décrit ainsi de manière très visuelle les étapes de vissage et comporte deux opérations de contrôle mécanique suivies d’un contrôle visuel.
Cette mise à jour a été présentée aux organismes certificateurs, Afnor et CNPP, puis présentée aux équipes techniques Chubb et diffusé très largement à l’ensemble de la profession. De plus, ce mode opératoire est en accès libre sur notre site internet. Au vu de tous ces éléments, la Dreal a décidé de clore le dossier, estimant que les mesures prises étaient satisfaisantes.
Au mois d’octobre 2022 (…), il se serait produit un accident sur un site avec un appareil (…) en maintenance, qui serait de notre marque et il y aurait un blessé.
En 2022, que s’est-il passé ?
J. P. Au mois d’octobre 2022, nous sommes informés verbalement par un confrère qu’il se serait produit un accident sur un site avec un appareil qu’il a en maintenance, qui serait de notre marque et il y aurait un blessé. Au vu du contexte, notre confrère ne peut pas nous en dire plus. En parallèle, l’information remonte à l’Afnor et à CNPP.
L’accident est évoqué en comité Apsad NF Services, regroupant les professionnels qui assurent la maintenance des extincteurs. Nous sommes présents à ce comité et expliquons que nous n’avons pas les informations nécessaires pour aller plus loin : l’identification de l’appareil, la date de fabrication, les conditions de maintenance, les circonstances de l’accident et bien sûr l’appareil lui-même à des fins d’analyse.
Nous prenons donc note de cet accident, nous en informons le fabricant Gloria, le groupe Chubb et en parallèle nous échangeons avec la Dreal.
Il n’y a pas eu un second Rapex de votre part, consécutif à cet accident ?
J. P. Non, de toute évidence Chubb France ne pouvait pas faire de déclaration car nous n’avions pas les informations requises sur cet accident malgré nos demandes en ce sens. En effet, pour faire un Rapex, il faut déclarer un certain nombre d’informations essentielles. Nous avons demandé à avoir ces informations pour agir. A ce jour, nous ne les avons pas.
Pourquoi l’arrêté ne vise-t-il que les extincteurs de la marque Gloria fabriqués avant juin 2022 ?
J. P. En réponse aux incidents survenus, le fabricant Gloria a modifié le produit à partir de cette date, principalement au niveau de la bague en rajoutant un chanfrein, de sorte qu’il n’y ait plus de risque de vissage de travers.
L’Afnor avait été informée et elle a souhaité faire des essais avec cette modification apportée à l’appareil. Les essais conduits par CNPP ont conclu que l’évolution et la modification produit avaient bien supprimé toute possibilité de vissage de travers. Le rapport remis par CNPP a été validé par l’Afnor, tout ceci a été officialisé et communiqué à la profession.
Aujourd’hui, c’est cet appareil au design modifié qui est commercialisé.
Sur le site de Chubb France, une page entière est dédiée au “plan d’action préventif d’optimisation de la sécurité du parc des extincteurs portatifs de la société GLORIA”.
Dans la vidéo ci-contre, on peut suivre les “étapes de revissage d’une bague d’un extincteur INtégral E6 AFFF”.
L’arrêté mentionne un certain nombre de mesures correctives pour les appareils antérieurs à juin 2022. Quelles sont-elles ?
J. P. Lors de nos échanges avec la Dreal, nous avons effectivement proposé un plan d’optimisation de la sécurité pour les produits toujours en place chez les utilisateurs. Dans le cadre de l’une des visites de maintenance préventive annuelle et d’ici à fin janvier 2025, il est prévu de remplacer la bague existante par la bague améliorée avec le chanfrein.
C’est une opération simple, qui prend moins d’une minute. D’ici à ce que la bague de serrage soit remplacée et dans la mesure où les extincteurs sont vérifiés par un professionnel qualifié, formé et qui respecte strictement les procédures de maintenance en vigueur, ils ne présentent pas de risque et peuvent donc être utilisés en cas de nécessité.
L’ensemble des bagues des extincteurs concernés par l’arrêté devront avoir été remplacées à fin janvier 2025.
L’enjeu aujourd’hui est de remplacer ces bagues et de faire passer le message auprès des mainteneurs ?
J. P. C’est exact, c’est notre challenge. Nous avons informé les organismes certificateurs, l’ensemble de la profession via les syndicats professionnels ainsi que nos confrères, pour leur demander de faire un état des lieux de leurs besoins et nous allons leur fournir les bagues pour qu’ils puissent les remplacer dans le cadre de la maintenance.
De plus, afin d’assurer l’information la plus exhaustive possible, nous avons mis en place sur notre site internet une page dédiée avec toutes les informations utiles, des informations de contact, etc. Il y a en particulier une vidéo détaillant les différentes étapes de maintenance et une vidéo rappelant les mesures de sécurité d’utilisation des extincteurs.
Hormis le cas de remplacement de la bague dans le cadre de la maintenance préventive annuelle, que prévoit l’arrêté ?
J. P. Il prévoit, pour les Sdis et les centres de formation, le remplacement complet de l’extincteur au profit d’un extincteur nouveau design. En effet, ils utilisent, lors de leurs interventions sur incendie ou lors de leurs formations, les extincteurs de manière intensive et peuvent être potentiellement amenés à les recharger eux-mêmes.
Quel peut être l’impact de cette décision administrative sur les activités de Chubb France ?
J. P. C’est un sujet important pour nous. Le titre de l’arrêté évoque un « retrait du marché », ce que les gens assimilent assez vite et à tort à un rappel produit. Or ce n’est pas le cas. Le retrait correspond en fait à l’arrêt de la commercialisation de l’extincteur avec son design d’origine. L’arrêté est clair à cet égard : « La mise à disposition sur le marché des extincteurs [concernés] dont la date de fabrication est antérieure au 1er juin 2022 et qui n’ont pas été remis en conformité est interdite ». Comme je l’ai expliqué, la commercialisation de cet extincteur est, de fait, déjà arrêtée puisque Gloria ne le fabrique plus.
Aujourd’hui, lorsque nous avons la possibilité d’expliquer à nos clients ce qu’il s’est produit et comment nous avons réagi, ils comprennent et ils considèrent que nous nous sommes comportés de manière professionnelle. Nous avons étayé de manière factuelle que l’appareil ne présente aucun risque lorsqu’il est neuf, et aucun risque lorsqu’il est bien maintenu par un technicien qualifié, formé et respectant strictement les procédures de maintenance, qui ont été renforcées. Nous allons, avec le concours de nos confrères, mener à bien cette opération d’optimisation de la sécurité.
Sur ce sujet, jamais nous n’avons fui nos responsabilités.
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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