La difficile mise en œuvre de la réglementation post-Lubrizol

Le Geespi, syndicat professionnel représentatif des bureaux d’études en sécurité incendie et membre de la FFMI, s’inquiète de la difficile application de la réglementation post-Lubrizol pour de nombreux sites. Il demande aux différents acteurs de se réunir pour trouver des solutions.

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Un an jour pour jour après l’incendie survenu le 26 septembre 2019 dans une usine de produits chimiques à Rouen, la réglementation dite « post-Lubrizol » a été publiée (lire l’encadré “Rappel réglementaire” en fin d’article). Elle repose notamment sur le principe classique de limitation de la surface de l’incendie. Une attention particulière est également portée sur les récipients mobiles fusibles susceptibles d’alimenter l’incendie (GRV/IBC).

Deux ans après la publication de ce corpus réglementaire dense (décrets, arrêtés et guides d’application), les bureaux d’études affiliés au Geespi, Groupement des entreprises d’études de sécurité et prévention incendie (membre de la FFMI), tirent les premiers enseignements de son application.

En plus des sites classés Seveso ou liés aux rubriques ICPE concernant des liquides inflammables et combustibles, le spectre d’application concerne également d’autres sites dès lors que la quantité de combustibles sous toiture dépasse les 500 tonnes. Ainsi, un centre de tri de déchets classé sous la rubrique 2714 peut désormais être également classé 1510. Pourtant, nombre d’industriels et de logisticiens n’en ont pas conscience.

La rédaction actuelle de la réglementation est sans doute trop rigide avec un niveau de détail technique élevé.

Coût des travaux

La mise en œuvre des actions requises pour satisfaire aux exigences de cette nouvelle réglementation implique un surcoût à la construction des projets neufs. De même, la mise en conformité stricte des sites existants pour le 1er janvier 2026 représente une réelle complexité car elle nécessite, dans la majorité des cas :

  • de la réserve foncière pour créer des rétentions (produits et/ou eaux d’extinction) ou réaménager des stockages ;
  • la création de réseaux de drainage correctement dimensionnés nécessitant souvent de détruire des dalles ;
  • la création de compartimentages coupe-feu, difficilement réalisables dans de nombreux bâtiments existants.

La rédaction actuelle de la réglementation est sans doute trop rigide avec un niveau de détail technique élevé. En pratique, les solutions décrites ne correspondent pas à la configuration des sites existants. Lorsque des solutions techniques existent, le montant des travaux peut s’avérer très important, voire rédhibitoire.

Retard

Pour une mise en conformité des sites au 1er janvier 2026, des études préliminaires sont à mener dès 2023. Seul un ordonnancement rigoureux des actions permettra la définition de solutions technicoéconomiques adéquates avec un impact acceptable sur l’exploitation des sites.

Or, nous constatons que de nombreux industriels n’ont pas encore initié la démarche. Seule la minorité de sites qui aura pu débloquer les budgets et planifier les travaux en 2024-2025 pourra répondre à l’exigence de mise en conformité requise par la réglementation.

À l’heure actuelle, les inspecteurs Dreal en charge de l’instruction des dossiers ne sont pas tous au fait des aspects techniques de la réglementation et certains points restent en suspens. La position classique de l’Administration correspond au respect strict des textes. Il est, par conséquent, impossible pour un maître d’œuvre de garantir à son client industriel que les travaux envisagés lui permettront d’atteindre la conformité et ce, quel que soit l’effort financier consenti.

Le coût très élevé des travaux, la stricte conformité impossible sur de nombreux sites existants et l’incertitude sur l’acceptabilité des solutions proposées sont autant de freins à l’avancement des projets.

Impacts pour les exploitants

Nous constatons, par ailleurs, des évolutions impactantes pour les exploitants :

  • tendance des Dreal et des Sdis à demander la complète autonomie sur les rétentions de liquides inflammables, afin de limiter les recours aux moyens extérieurs mobilisés dans le cadre de la défense extérieure contre l’incendie (Deci) ;
  • pression très forte des assureurs à équiper les sites de systèmes de type sprinkleur. Compte tenu de l’exigence nouvelle de mise à disposition des rapports assureurs aux Dreal, ne risque-t-on pas de voir de simples recommandations se transformer en exigences réglementaires via des arrêtés préfectoraux ?
  • interdiction prochaine (2026) des récipients mobiles fusibles type GRV/ IBC qui ne satisferaient pas à des tests de qualification. En l’absence de protocole de test, et malgré la clause de revoyure, la supply chain de nombreuses activités sera impactée.

Inquiétude

Nous, bureaux d’études affiliés au Geespi, sommes inquiets quant aux conséquences d’une application irréfléchie de cette nouvelle réglementation. Coût très élevé des travaux, stricte conformité impossible sur de nombreux sites existants et incertitude sur l’acceptabilité des solutions proposées sont autant de freins à l’avancement des projets. Il nous semble urgent que les différents acteurs – industriels, logisticiens, administration, assureurs et maîtres d’œuvre – se mettent autour de la table pour retrouver l’esprit et l’objectif initial de ces textes.

Deux décrets et cinq arrêtés ont été publiés au Journal officiel le 26 septembre 2020.


Article extrait du n° 592 de Face au Risque : « Qui sont les chargés de sécurité ? » (mai 2023).

Nicolas Lochet
Elen Risk Consulting

Catherine Gérard
ODZ Consultants

Philippe Cabaz
Cyrus Industrie

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