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Feu de l’entrepôt « Bolloré Logistic »
Le 16 janvier 2023, en milieu d’après-midi, un incendie survient dans la cellule de l’entrepôt « Bolloré Logistic » à Grand-Couronne (Seine-Maritime) stockant, entre autres, près de 12 500 composants de batteries automobiles. Une dizaine d’heures plus tard, ce sont trois cellules totalisant 18 000 m² qui sont la proie des flammes, malgré la présence d’une protection sprinkleur et le puissant dispositif établi par les sapeurs-pompiers.
L’intervention
Le premier appel parvient aux sapeurs-pompiers à 16 h 32 en provenance de l’entreprise. Un employé a constaté une fumée puis l’inflammation d’un élément de batterie au cœur d’un stock. Deux autres appels vont préciser qu’il s’agit de batteries automobiles, stockées dans la cellule 1.
En transit, le premier chef de groupe va demander des renforts en moyens et commandement au vu de la fumée visible bien avant son arrivée.
Pourtant, à l’arrivée des premiers moyens à 16 h 46, la toiture n’a pas encore percé et les exutoires ne se sont pas ouverts. Rapidement, alors que les premières reconnaissances et prises de renseignements s’opèrent, la toiture s’effondre et une puissante colonne de flammes et de fumées s’en échappe, au milieu de salves de détonations semblables à des feux d’artifice qui projettent des débris enflammés allumant des foyers partiels alentour, notamment à une dizaine de véhicules.
En l’absence de sauvetages (tout le personnel du site a évacué), il est décidé de ne pas exposer les sapeurs-pompiers. L’attaque est conduite depuis l’extérieur. Elle s’opère en périphérie et se renforce à mesure de l’arrivée des renforts.
À 17 h 25 : « Importante fumée et déflagrations » sont notées dans le premier message.
Le SSI indique que la cellule 1 est atteinte, mais aucune information sur le déclenchement des sprinkleurs. Les sapeurs-pompiers entendent les pompes du local sprinkleur, mais ils ont un doute sur la projection d’eau dans les deux premières cellules en raison du développement important de l’incendie.
Une lance est en action, protégée derrière un mur…
Mesures de qualité de l’air
Bientôt, le feu se propage à la cellule 2 contiguë de 6 000 m², contenant 70 000 pneus… Le feu redouble. Deux remorqueurs et quatre cellules pompes grande puissance sont dirigés sur les lieux. Le panache extrêmement dense implique la prise de mesures atmosphériques par la cellule mobile d’intervention chimique. Les résultats ne sont pas significatifs et n’entraîneront pas de mesures de confinement particulières sous le panache. Il est plus de 20 h 30.
À 21 h, le débit projeté est environ de 6 000 l/min. La mise en œuvre des moyens grande puissance en cours d’établissement le porteront à 16 000 l/min.
Vers 21 h 30, le vent a changé d’orientation et pousse une odeur de brûlé sur le sud rouennais fortement sensibilisé depuis l’incendie de Lubrizol… Les relevés sont nuls à l’exception des particules fines, en deçà des seuils d’alerte.
À 23 h, les mairies du PPI (plan particulier d’intervention) de Rouen et de huit communes sont informées d’odeurs de fumée pouvant les impacter, sans danger toutefois puisque l’on ne relève pas de concentrations significatives. Aucune mesure particulière n’est à adopter. Des prélèvements sont effectués jusqu’à 10 km sous le panache, et sur neuf points fixes autour du sinistre. Aucun composé particulier n’est détecté.
Le feu est circonscrit aux cellules 1 et 2 à 23 h 30
Deux lances-canons assurent le refroidissement du mur coupe-feu entre les cellules 2 et 3, ou deux brèches de petite dimension sont apparues.
L’extinction de la cellule 2 emplie de pneus va s’opérer à la mousse. Le « top mousse » est lancé peu avant minuit avec un débit de 8 000 l/min. L’équilibre est à trouver entre eau projetée et eaux d’extinction retenues sur le site. Vers 2 h le lendemain, neuf camions-citernes pompent les eaux par norias au rythme de 200 m³/h.
Peu avant 3 h, le feu est considéré comme maîtrisé.
La 3e cellule s’embrase
Des reconnaissances sont régulièrement effectuées en périphérie du feu et pourtant, vers 3 h, sans signe annonciateur, la cellule 3 s’embrase brutalement, ajoutant 6 000 m² aux 12 000 déjà en feu…
Le dispositif est redéployé et la protection est maintenant reportée sur le mur séparatif entre les cellules 3 et 4, siège de fissures. Mais le feu ne passera pas et, à mesure qu’il baisse d’intensité dans les trois cellules, les efforts se portent sur le traitement des eaux d’extinction, pompées et chargées dans des barges. Le lourd dispositif de lutte, impliquant le passage de lignes de gros tuyaux depuis la zone de pompage en Seine, est réorganisé, afin de permettre une reprise progressive de l’activité dans le port et les entreprises voisines.
Le feu est déclaré éteint le 23 janvier à 15 h 30, soit 7 jours après son éclosion. Plus de 160 heures riches en rebondissements révélatrices de la complexité conjointe d’un feu de très grande surface, et de marchandises particulièrement réactives comme des batteries au lithium !
171 employés sur le site dévasté sont en chômage technique. Aucun blessé grave n’est compté parmi les 165 sapeurs-pompiers engagés.
Le feu s’est propagé à la cellule 2 contiguë de 6 000 m², contenant 70 000 pneus, puis ce sera une 3e cellule qui sera touchée.
Retour sur le développement du feu
L’origine du feu fait l’objet d’une enquête. D’après les premiers témoins, il éclate dans la cellule 1 à l’extrémité ouest du bâtiment, contenant des éléments permettant de constituer plus de 3 500 batteries automobiles. Il semble que la surchauffe d’un élément de batterie ait été observé au milieu d’un stockage.
Selon un communiqué de l’exploitant, « c’est une batterie au lithium qui a pris feu dans une cellule du bâtiment où étaient stockés environ 12 250 batteries ou éléments de batteries au lithium ».
Il est rare de constater une propagation du feu entre cellules sans que les murs coupe-feu, pourtant construits dans les règles de l’art, ne soient détériorés ou partiellement effondrés.
Il existe toutefois quelques exemples comme l’inflammation par rayonnement du revêtement d’étanchéité au-delà du mur coupe-feu, même s’il dépasse en toiture, la fonte des dômes d’exutoires coulant à l’intérieur, la fonte des descentes d’eau en PVC au-delà du mur coupe-feu, la chute d’éléments enflammés tombant par les exutoires ouverts, etc.
Ici, il semble que l’explication se trouve dans l’extrême virulence des feux impliquant des batteries et des projections qu’ils entraînent. Les sapeurs-pompiers et témoins observent dès lors que la toiture se crève. La production de boules de feu de plusieurs dizaines de mètres de diamètre, auréolées de projections incandescentes, embrasent accessoirement une dizaine de véhicules à l’extérieur et quelques objets en périphérie. Ce sont vraisemblablement ces projections qui ont enflammé toiture et exutoires de la cellule contiguë, sans que le mur coupe-feu n’en soit affecté.
L’extinction
Les sapeurs-pompiers sont confrontés à une double problématique : un incendie d’éléments de batteries, à la réaction particulièrement violente, dans un complexe de très grande dimension. Ils sont rapidement face à un feu de 12 000 m² et il ne reste plus que deux cellules de 6 000 m² à protéger !
Il y a quelques décennies encore, un tel sinistre aurait pu être combattu par plusieurs dizaines de lances de 500, 1 000 et 2 000 l/min (pour les canons), pour un résultat semblable, mais en exposant un nombreux personnel. On jouait alors sur la multiplication des points d’attaque.
Ici, près de 40 véhicules sont dépêchés sur les lieux au cours de la première heure.
Aujourd’hui l’on sait que ces méga-incendies, au regard des quantités de marchandises stockées sur de grandes hauteurs, ne s’éteignent pas vraiment, mais s’accompagnent dans leur agonie. Que la part du feu est à faire. On va donc concentrer des moyens puissants et de longue portée (on relève plus de 100 m entre façades) aux points stratégiques dont, en priorité, les murs coupe-feu qu’il faut aider à tenir. Des lances moins puissantes s’occupent des zones bureaux accolées, des locaux transfo ou de charge des chariots de manutention (gaz ou électricité).
Le Sdis76, au tissu industriel dense entre Rouen et Le Havre, dispose de moyens d’extinction particulièrement puissants, que la proximité de la Seine va optimiser.
Deux remorqueurs du port de Rouen, débitant chacun 2 400 m³/h, vont alimenter, par des lignes de tuyau de 150 mm (rarement employés ailleurs), quatre unités de pompage de 6 000 l/min. Elles vont à leur tour alimenter des engins grande-puissance raccordés à des lances-canons de 2 000 à 3 000 l/ min, au sol ou sur bras élévateurs articulés, seuls capables de combattre ces feux efficacement sur ces grandes surfaces tout en préservant la sécurité des personnels…
Mais la mise en œuvre de moyens lourds est longue (établissement de plusieurs kilomètres cumulés de gros tuyaux, raccordement aux remorqueurs, etc.), tandis que les phénomènes thermiques à la mesure des énormes volumes concernés s’enchaînent.
L’installation d’extinction automatique
Lors de l’incendie d’Allo-Pneus à Valence ayant la même surface de cellule (lire la rubrique “Les précédents” à la fin de l’article), l’installation sprinkleur est débordée par la localisation de plusieurs départs de feu d’origine criminelle.
À Grand-Couronne, l’installation sprinkleurs est sans doute rapidement confrontée à des projections enflammées créant rapidement un effet domino tous azimuts dans la cellule 4. On n’est plus dans le concept de la « surface impliquée » calculée pour assurer un débit surfacique optimum sur une surface donnée. On peut supposer que la multiplicité des départs de feu ait conduit à un arrosage dépassant la surface impliquée, réduisant le débit de chaque tête à des valeurs inefficaces. C’est une hypothèse.
Cette constatation, observée sur d’autres incendies de ce type, devra conduire à repenser les dispositifs d’extinction des entrepôts stockant des batteries en grande quantité, en y adjoignant des mesures de fractionnement et de compartimentage des stockages.
Par ailleurs, il semble qu’un déclenchement manuel de l’installation automatique dans la cellule 3 a été tenté, avant son embrasement, mais ce serait soldé par un échec.
Propagation du feu à la 3e cellule
Si le mode de propagation entre les cellules 1 et 2 peut être attribué aux projections de débris de batteries en feu au-dessus du mur coupe-feu, en revanche le passage de la cellule 2 (pneus) à la cellule 3 (textiles et cartons) paraît moins évidente.
Si le feu est déclaré « circonscrit » à 22 h 30, soit 7 heures après l’alerte, le seul front par lequel il pourrait encore se développer est le mur séparatif coupe-feu entre les cellules 2 et 3. Toutes les autres faces ouvrent sur l’extérieur.
Pourtant, vers 3 h, le feu va apparaître dans la cellule 3, alors que son mur coupe-feu remplit toujours sa mission… à l’exception de 2 trous de moins d’un demi-mètre carré balayés par deux lances-canons de 1 000 l/min. Le mur coupe-feu est régulièrement observé lors de « tours du feu » effectués par les chefs de secteurs, et de survols de drones. Et pourtant rien. Fumée, fumerolles, élévation de température ne seront observées que quelques minutes avant l’embrasement de cette cellule !
Pas de stockages ni de racks adossés à ce mur, à l’exception de quelques palettes. Aucune explication rationnelle n’explique cette propagation…
Enfin, à l’engagement quasi systématique d’un drone sur les gros sinistres pour prises de vues et relevés de températures, s’ajoute maintenant le guidage de lances sur bras élévateur. En effet, lorsque les personnels en nacelle peuvent être exposés à des effets missiles ou fumées denses, le drone peut orienter l’opérateur au sol afin que la lance-canon, téléguidée, atteigne bien l’objectif. Cette action avait aussi été réalisée à Notre-Dame de Paris, avec le drone de la préfecture de Police.
Le site est dévasté malgré l’engagement de 165 sapeurs-pompiers. 171 employés sont mis au chômage technique.
La crainte d’une pollution atmosphérique
Cet incendie « post Lubrizol » a entraîné son lot de mesures et de déclarations propres à rassurer les riverains de l’entrepôt et les habitants des secteurs survolés par le panache jusque dans le département voisin de l’Eure.
Très rapidement, un réseau de mesures est mis en place par les sapeurs-pompiers, appuyé par les réseaux locaux de surveillance fixe. Toutefois, comme on le remarque à chaque fois, ce n’est pas durant la phase active de l’incendie que le risque de pollution atmosphérique est le plus important sur zone, grâce à la forte convection qui verticalise le panache, mais durant la phase finale, lorsque la température du foyer s’abaisse et que les fumées stagnent, parfois plusieurs jours, sur le bâtiment et ses environs.
Article extrait du n° 592 de Face au Risque : « Qui sont les chargés de sécurité ? » (mai 2023).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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