Explosions de nitrate d’ammonium à Texas City, il y a 75 ans

15 avril 20225 min
Explosions de nitrate d'ammonium à Texas City- Crédit -UpNorth Michigan-Flickr-Cc

Le 16 avril 1947, le port de Texas City (États-Unis) et ses environs sont anéantis par deux explosions majeures dues au nitrate d’ammonium.

Début d’incendie dans une cale du cargo français Grandcamp

Le 16 avril 1947, dans le port de Texas City, ville des États-Unis située sur le golfe du Mexique, à proximité de Houston, les dockers chargent d’engrais le cargo français Grandcamp. Composé de nitrate d’ammonium, ce produit en grains est conditionné en sacs de 45 kg. Environ 2 200 tonnes sont déjà entreposées dans les cales 2 et 4 du navire dont la cargaison est également composée, entre autres, de munitions pour armes légères.

Vers 8 h, des dockers détectent un incendie dans la cale 4. Ils tentent d’éteindre le feu avec les petites quantités d’eau à leur disposition. N’y parvenant pas, ils ferment les panneaux de cale pour étouffer l’incendie, selon les indications du capitaine, et envoient de la vapeur sous pression, seul moyen de lutte à bord. Mais la chaleur de la vapeur accélère l’incendie. Le navire est évacué et les pompiers sont alertés à 8 h 25. Le feu continue de progresser. Une fumée orangée s’échappe du navire. Visible de toute la ville, elle attire les badauds qui viennent observer les pompiers au travail. Aucun remorqueur n’est alors disponible pour tenter d’éloigner le navire vers le large.

Une double explosion

À 9 h 12, une violente explosion se produit, projetant des fragments du Grandcamp et sa cargaison à près de 900 m de haut. L’ancre du navire, pesant 1,5 t, est projetée à plus de 3 km. La plupart des bâtiments aux alentours sont rasés, dont l’usine Monsanto située à 100 m. Des centaines de travailleurs et de passants sont tués ainsi que 27 des 28 pompiers du service d’incendie de Texas City déjà sur place.

Explosion nitrate d'ammonium - Texas city-Capture Ina

L’onde de choc est ressentie jusqu’à 400 km de là. Des débris enflammés mettent le feu aux réservoirs de pétrole et de produits chimiques. Sous la violence de l’explosion, un raz-de-marée se produit.

Le lendemain, à 1 h 10, un autre cargo, le High Flyer, explose à son tour après avoir brûlé pendant de longues heures, alourdissant encore le bilan des dommages humains et matériels. Il était chargé de soufre et de 961 t de nitrate d’ammonium.

D’autres incendies vont encore ravager la ville pendant plusieurs jours.

Au total, cette catastrophe fait 581 morts et 3 500 blessés. Les dégâts matériels sont alors estimés à 50 millions de dollars et les coûts de la reconstruction industrielle à environ 100 millions de dollars.

L’aide nationale

Devant l’ampleur des dégâts, l’aide arrive de toute part. Les pompiers de tout le Texas viennent en renfort ainsi que des policiers qui contribuent au maintien de l’ordre. L’armée américaine et la marine viennent également prêter main forte et de nombreuses associations envoient des bénévoles. Par ailleurs, plusieurs fonds sont créés pour gérer les nombreux dons qui affluent.

L’origine incertaine du sinistre

L’origine incertaine du sinistre

Selon les enquêteurs, l’incendie de la cale 4 du Grandcamp pourrait être dû à une cigarette mal éteinte. Le feu aurait couvé toute la nuit et se serait ravivé à l’arrivée des dockers le matin.

Mais il est également possible que, sous l’effet de la forte chaleur régnant sous les sacs de nitrate d’ammonium, un feu se soit spontanément déclenché.

Quoiqu’il en soit, après des mois de tests et d’évaluation effectués par une équipe de chimistes, d’ingénieurs et de spécialistes des transports nommés par le gouvernement fédéral, la conclusion est que les conditions à bord du Grandcamp étaient propices à une réaction du nitrate d’ammonium.

Les procès

8 485 victimes se regroupent et se portent partie civile, demandant l’indemnisation des pertes subies. Le 14 avril 1950, le juge fédéral de Houston déclare les États-Unis responsables de nombreux actes de négligence. Le gouvernement américain, se trouvant alors dans l’obligation de verser 200 millions de dollars d’indemnités, fait appel de cette décision et gagne son procès. La Cour suprême confirme ensuite la décision de la cour d’appel. C’est finalement le Congrès qui décidera d’une réparation par voie législative en 1955. Deux ans plus tard, ce sont environ 17 millions de dollars qui ont été versés à près de 1 400 demandeurs. Le Texas a également pris en charge pendant trois ans différentes taxes municipales et de scolarité.

Les dangers du nitrate d’ammonium

Si la probabilité d’occurrence d’un accident dû au nitrate d’ammonium est faible, l’importance des dégâts en cas d’accident est élevée. De nombreuses explosions ont eu lieu avant et après Texas City, parmi lesquelles celle de l’usine chimique BASF d’Oppau en Allemagne le 21 septembre 1921, celle du port de Brest le 28 juillet 1947, trois mois après Texas City. Et plus récemment, AZF le 21 septembre 2001 et Beyrouth le 4 août 2020.

Après AZF puis Beyrouth, l’encadrement des activités liées au nitrate d’ammonium a été durci. Leur transit dans les ports maritimes fait l’objet d’un cadre clair. Tout récemment encore, un arrêté publié le 20 février 2022 affine les calculs de distances entre les îlots recevant du nitrate d’ammonium et renforce les prescriptions relatives à la taille de ces îlots.

En revanche, les conditions de navigation, le chargement et le déchargement de nitrate d’ammonium dans les ports fluviaux sont bien moins contrôlés et parfois même, ils ne sont pas connus. C’est ce que conclut le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable de mai 2021 sur la gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports.

L’ancre du Grandcamp, retrouvée à plus de 3 km, se dresse aujourd’hui face au Pioneer Park de Texas City, en mémoire du sinistre.
Crédit : Jon Burns/Flickr/Cc

Explosions de nitrate d'ammonium à Texas City -Ancre du Grandcamp- Crédit Jon Burns-Flickr-Cc

Article extrait du n° 581 de Face au Risque : « Notre-Dame sous les feux de la rampe » (avril 2022).

Martine POREZ

Martine Porez
Journaliste

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