Le bien-être au travail bouleversé par la pandémie

11 mars 20229 min

Les relations de travail dans l’entreprise se sont largement dégradées depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Cette situation inédite rend d’autant plus nécessaires les actions pour diminuer le stress des collaborateurs.

Stress et dépressions

Multiplication des dépressions et de l’anxiété dans l’univers du travail, salariés plus nombreux en situation de « burn out » : la crise sanitaire prolongée fait des dégâts au sein de l’entreprise.

« La pandémie a augmenté le niveau de stress en entreprise : les prescriptions d’anxiolytiques et d’hypnotiques ont augmenté dès le mois de mars 2020. Or, le stress rend plus irritable, plus agressif et vient donc dégrader les relations humaines au travail et… en dehors », nous explique le docteur Philippe Rodet, pionnier sur le sujet de la motivation au travail, auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Le management bienveillant ou encore Se protéger du stress et réussir.

Reconnaissance de maladies psychiques

Demandes de reconnaissance de maladies psychiques professionnelles - Source AT-MP

Les chiffres de l’Assurance maladie sont édifiants : les demandes de reconnaissance de maladies psychiques professionnelles ont bondi de 43% en 2020. Tandis que les avis favorables prononcés par les commissions dédiées sur cette question ont été en hausse de 37%. Au-delà d’un assouplissement réglementaire permettant aux malades de soumettre leur dossier plus facilement, on constate donc une vraie rupture. Si les demandes de reconnaissance de troubles anxieux ont progressé de 10% « seulement », celles portant sur le stress post-traumatique ont été en hausse de 39%. Et celles pour la dépression de 41%.

Les psychologues d’entreprise sont d’ailleurs extrêmement sollicités depuis deux ans pour soulager des salariés en situation de stress.

« La crise sanitaire a mis en avant les problèmes de relations au travail qui existaient déjà auparavant. Dans la situation actuelle, ils ne sont pas mis de côté comme cela a pu être le cas lors du premier confinement. Si le personnel ressent une certaine lassitude, car la crise perdure, les équipes restent soudées », affirme Claire Léger, préventeur hygiène-sécurité au service de santé au travail du CHU de Bordeaux.

Sentiment d’injustice

Cette volonté de réaliser un objectif commun ne s’est pas manifestée partout. Le fait que certaines personnes soient obligées d’être présentes dans l’entreprise et d’autres non a pu créer un sentiment d’injustice. Une situation qui peut être résumée ainsi : les cols bleus contraints de venir à leur poste de travail et les cols blancs à l’abri chez eux en télétravail.

Selon un sondage OpinionWay d’avril 2020, c’est-à-dire au début du premier confinement, le pourcentage de collaborateurs très motivés a baissé de 25 %.

La gestion des relations au travail devient donc plus délicate. « Il va falloir transmettre à chaque collaborateur des clés susceptibles de l’aider à se protéger des effets du stress et demander aux managers d’être bienveillants dans leur mode de management. Dans ces périodes-là, il est indispensable de rassurer, notamment en montrant que l’on se donne les moyens de contrôler la situation et d’aider à se projeter vers un avenir plus agréable », souligne Philippe Rodet.

Il est par exemple nécessaire de trouver un juste équilibre entre travail au bureau et travail à distance. La souplesse et l’adaptation à la situation particulière de chaque collaborateur semble être le maître mot. Une personne ayant des problèmes de santé préfère évidemment travailler chez elle alors qu’un employé vivant seul pourra apprécier de venir au bureau le plus souvent possible.

Le télétravail présente cependant des inconvénients : des liens sociaux distendus, avec une absence de convivialité entre collègues qui peut être préjudiciable.

Difficultés de recrutement

Tendance plus lourde de conséquence : les entreprises rencontrent des problèmes inédits de recrutement. « La Covid a fait réfléchir le personnel sur la finalité de leur travail par rapport aux nouvelles obligations professionnelles. Certains quittent leur métier et l’on constate même une baisse du nombre d’étudiants dans la filière santé », relève Claire Léger du CHU de Bordeaux.

Par ailleurs, il convient d’être particulièrement vigilant avec le personnel en relation avec le public (agences bancaires, établissements de santé, bureaux de poste, etc.). Car les incivilités sont nettement remontées après les confinements. Il est désormais courant que des formations spécialisées soient organisées pour savoir quelle attitude adopter face à une personne menaçante.

Remotiver le personnel

Tous les spécialistes des relations au travail soulignent que la période rend plus que jamais nécessaires les actions visant à (re)motiver le personnel… tout en s’adaptant à la crise sanitaire.

Les voyages d’entreprise – une pratique courante avant la pandémie – doivent raisonnablement être reportés, sans pour autant être supprimés afin de donner une perspective positive au personnel. En revanche, il parait judicieux d’organiser certaines activités sportives entre collègues, comme le footing en pleine nature, ou aussi des séances de méditation ou de yoga. L’organisation de séances de massages offertes aux salariés doit cependant faire l’objet de certaines précautions.

Les salles de sport installées dans les locaux mêmes de l’entreprise doivent être réaménagées, accompagnées de mesures d’espacement des personnes.

Il reste tout aussi important qu’avant – sinon davantage – que les salariés se sentent bien sur leur lieu de travail. Avant l’irruption de la crise sanitaire, la tendance était à la reconnaissance du droit à la détente pour les collaborateurs. Cela passait par la création d’espaces consacrés à la sieste, par la mise à disposition de jeux de société ou encore par un aménagement avec du mobilier « comme à la maison » avec tapis, bureaux dépareillés, bibliothèques remplies de livres, etc. Des pratiques venues tout droit des start-ups californiennes et qui se sont progressivement étendues à l’Europe, notamment en France. Toutes les catégories d’entreprises – PME ou grands groupes – et pratiquement tous les secteurs économiques ont largement adopté cette approche.

Un marché pour la convivialité

Cette mutation des relations dans l’entreprise représente un immense marché évalué à plusieurs milliards d’euros qui connaît une progression continue.

Cela comprend l’audit et l’aménagement des locaux, la formation des DRH, le soutien financier accordé à des actions conviviales et «incentive» pour le personnel. Face aux problèmes actuels de recrutements, il est décisif d’attirer les jeunes talents. Et l’ambiance au sein de l’entreprise est devenue un critère de sélection.

Le baromètre « Les jeunes et l’entreprise » réalisé en décembre dernier par BVA pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès et de la Macif est révélateur à cet égard. Les 18-24 ans estiment que le manager idéal doit créer un environnement de travail épanouissant (33 %) et reconnaître le travail accompli (31 %). Les valeurs qui donnent le plus envie de travailler à cette génération sont le respect (58 %), la confiance (45 %), la solidarité (32 %) et l’écoute (28 %). Une bonne ambiance est considérée comme l’élément le plus important dans les rapports entre collègues de travail pour 55 % des personnes interrogées.

Il semble désormais couramment admis qu’un changement d’organisation dans l’entreprise doit être bien préparé par la direction et que l’autonomie des collaborateurs doit être la plus large possible.

Une nouvelle jeunesse pour les open-space

La crise sanitaire va-t-elle balayer les innovations en matière de qualité de vie au travail (QVT) mises en place depuis une dizaine d’années ? Rien n’est moins sûr. Ce serait même plutôt le contraire. « Le management bienveillant permet de réduire les effets du stress et d’augmenter la motivation », martèle Philippe Rodet. « Depuis le retour au travail après les confinements, les projets liés au bien-être ont été relancés. Des groupes de travail réfléchissent sur la conception des bâtiments, l’ergonomie du mobilier ou l’amélioration de certains équipements », renchérit Claire Léger, du CHU de Bordeaux.

La grande question est celle de l’aménagement des locaux afin de tenir compte des risques sanitaires persistants. « La progression du travail à distance va certainement permettre d’améliorer la qualité des open-space en diminuant le nombre de personnes présentes dans la même salle », affirme le docteur Rodet.

Les Français sont devenus adeptes de ce style d’aménagement de l’espace de travail. Selon le baromètre Ubiq, plateforme spécialisée dans la recherche de bureaux, 2 786 espaces de coworking ont été installés sur le territoire en 2021, soit un bond de 60 % par rapport à l’année précédente. Les bureaux partagés ont même investi des lieux prestigieux – à l’instar de l’Hôtel de la Marine sur la place de la Concorde à Paris – et proposent sans cesse de nouveaux services.

Des groupes immobiliers spécialisés disposent jusqu’à plusieurs centaines de locaux éparpillés dans toute la France, si bien qu’un télétravailleur peut toujours trouver un bureau pour l’accueillir durant ses déplacements. Autres tendances : la location à la journée ou un bureau indépendant et privatif avec des services clés en main.

Le bureau traditionnel est bel et bien relégué aux oubliettes pour une grande partie de la population active…


Article extrait du n° 579 de Face au Risque : «Le bien-être au travail bouleversé par la pandémie» (février 2022).

Patrick Haas

Patrick Haas

Journaliste depuis 1975, directeur d’En Toute Sécurité, journal spécialisé dans l’information et l’analyse stratégique pour la profession de la sécurité, Patrick Haas a fait une grande partie de sa carrière dans la presse généraliste : 10 ans à l’Agence France Presse, 18 ans aux pages économiques du Figaro dont il a été chef de service et un an à France Soir comme directeur général.

Parallèlement, il fonde En Toute Sécurité en 1988 qui est un concept unique en Europe par son approche rédactionnelle. Il créé également l’Atlas, seul panorama économique des entreprises de sécurité, et édite une gamme de onze études de marché sur différents secteurs de la sécurité. Il est également conseiller pour diverses organisations professionnelles et salons de la sécurité, tout en intervenant lors de nombreux colloques pour délivrer ses analyses.

Patrick Haas a également fondé Expertise & Stratégie, une société de conseil qui fournit des prestations sur mesure.

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