Pandémie : l’assurance des pertes d’exploitation en question
Face aux pertes colossales engendrée par la crise sanitaire du Covid-19 pour des pans entiers de l’économie, plusieurs groupes de travail planchent sur la création d’un régime spécifique visant à indemniser les risques systémiques.
À l’invitation du GPMSE, la députée Valéria Faure–Muntian, présidente du Groupe d’études assurances à l’Assemblée nationale, a dévoilé l’agenda et les contours d’un futur dispositif calqué sur celui des catastrophes naturelles.
« Les huit semaines de confinement, du 17 mars 2020 au 10 mai 2020 ont conduit à une contraction du produit intérieur brut (PIB) de 32 % », pointe un récent rapport de l’OFCE à propos de l’impact global de la crise sanitaire sur l’économie en France.
Ce recul de l’activité a été variable selon les secteurs économiques. L’hébergement et la restauration ont encaissé les plus fortes baisses de valeur ajoutée (moins 62 % selon le rapport cité plus haut). Suivent toutes les branches associées aux transports (fabrication de matériels de transports, cokéfaction et raffinage, transports et entreposage).
La sécurité électronique dans la tourmente
Qu’en est-il du secteur de la sécurité électronique ? Jean-Christophe Chwat, président du GPMSE (Groupement professionnel des métiers de la sécurité électronique), rappelle qu’un sondage effectué auprès de ses 150 adhérents (installation et télésurveillance confondues) indique des pertes d’activité allant de 20 à 90 %. Une ampleur et des écarts considérables, à la mesure de la disparité des métiers exercés.
Dans ce contexte, la députée Valéria Faure-Muntian fait deux constats : « nous avons connu une crise sanitaire qui a aujourd’hui des conséquences économiques, et qui demain va se traduire par des conséquences sociales ». D’autre part, « les assurances préexistantes ne sont pas en adéquation avec le besoin de couverture de ce risque de pertes d’exploitation, notamment car le secteur assurantiel est dans l’incapacité de prendre en charge les risques systémiques ».
En écho, la députée évoque l’estimation du milliard de pertes financières au niveau national engendré par chaque jour de confinement.
Partant de là, cette visioconférence avec les membres du GPMSE comporte deux objectifs : présenter aux adhérents le projet de ce régime d’assurance spécifique pour anticiper les futures crises ; obtenir les premiers retours du secteur de la surveillance électronique à propos du dispositif.
Un groupe de travail, un projet de loi
Un groupe de travail a été mis en place par le ministère de l’Économie : piloté par la direction générale du Trésor, il comprend quatre parlementaires (deux députés, dont Valéria Faure-Muntian, deux sénateurs), des représentants du monde de l’assurance (assureurs, courtiers, agents généraux, réassureurs, actuaires) et de l’entreprise (CPME, Medef).
Les réunions ont débuté mi-avril, et un premier rapport sera présenté courant juillet. Sur cette base, une vague de consultations des acteurs économiques sera organisée durant la période estivale afin de pouvoir affiner les propositions initiales. À l’automne, la synthèse des travaux entrepris devrait déboucher sur un projet de loi visant à prendre en charge les risques systémiques.
Un plan d’action à trois volets
Afin que cette catastrophe ne se reproduise pas et que le risque puisse se partager entre le public et le privé, les propositions faites par le groupe de travail concernent trois volets :
- L’acquisition d’une culture du risque par les entreprises au moyen de la consolidation des fonds propres et des provisions ;
- Le renforcement de la qualité et du taux de pénétration des contrats d’assurance de pertes d’exploitation avec et sans dommages auprès des entreprises ;
- La création, au sein de ces contrats, d’une surprime de type catastrophes naturelles, partagée à la fois en cotisation et en risque entre les assureurs privés et la CCR (Caisse Centrale de Réassurance) en tant que réassureur public, le tout assorti d’une garantie de l’État en dernier ressort.
Le risque systémique : quelle définition ?
Qu’est-ce qu’un risque systémique ? D’emblée, la députée indique que le groupe de travail a clairement refusé d’y inclure le risque cyber, ce dernier méritant un traitement à part au travers du marché de la cyber-assurance. Pour autant, on peut ainsi définir de manière générique la garantie d’un risque systémique : « couvrir les pertes d’exploitation liées à une décision administrative dans le cadre de la protection civile ».
En matière de décision administrative, plusieurs cas d’espèces autres qu’une pandémie ont ainsi été cités par la députée : « l’interruption du trafic aérien durant l’éruption d’un volcan, les commerces obligés de fermer leurs portes dans les quartiers impactés par l’incendie autour de la cathédrale Notre Dame de Paris, le confinement imposé aux entreprises riveraines dans le cadre de l’incendie de Lubrizol à Rouen, les fermetures de certains axes de circulation après les attentats terroristes de 2015, voire la fermeture de certains commerces imposée de manière récurrente durant les manifestations des Gilets Jaunes. »
On s’aperçoit donc qu’un risque systémique peut très bien trouver son origine dans une catastrophe naturelle, un risque technologique majeur, une action humaine d’envergure.
Élément déclencheur, grille d’évaluation, indemnité forfaitaire
Si l’élément déclencheur de la prise en charge du risque est clairement identifié, une décision administrative visant à la protection civile, les modalités de sa qualification de « systémique » passeront par une grille d’évaluation. À l’image de la déclaration de l’état de catastrophe naturelle, l’indemnisation des pertes d’exploitation dépendra de la réunion de plusieurs facteurs et de leur évaluation.
Parmi ces facteurs, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise devraient constituer deux éléments clés, assortis aux pertes. Sur la forme de l’indemnisation, le groupe de travail se dirige a priori vers une prise en charge de type forfaitaire, et non indemnitaire. Notamment car le calcul des pertes effectives prend du temps, retardant d’autant le versement d’une indemnité. On peut donc déduire de ces détails qu’il y aura un seuil d’intervention, en deçà duquel la garantie ne se déclenchera pas.
Assurance facultative ou obligatoire ? Une assiette délicate
Le succès de la mutualisation du risque systémique par l’assurance passera indéniablement par une souscription large des entreprises au nouveau dispositif. Un rattachement de cette nouvelle surprime « risque systémique » aux contrats pertes d’exploitation (avec ou sans dommages) existants paraissait logique, mais seulement 50 % des entreprises souscrivent ce type d’assurance.
Les assureurs proposaient de leur côté de rattacher la nouvelle garantie à l’assurance incendie, bénéficiant d’une assiette plus large. Mais cela pose certaines difficultés, notamment dans le cas des entrepreneurs indépendants ne disposant pas de locaux. Sans parler que la nouvelle garantie « risque systémique » aurait du mal à s’intégrer au risque incendie proprement dit.
Un point semble clair : le nouveau contrat « risque systémique » ne sera pas rendu obligatoire. Une différence notable par rapport au projet de loi adopté par le Sénat début juin, qui veut rendre obligatoire la couverture des entreprises contre les pertes d’exploitation générées par les mesures prises lors d’une crise sanitaire grave. Car même si cela permettrait une assiette large, la députée estime que cela n’est pas envisageable car « la nouvelle garantie serait alors considérée comme une nouvelle taxe ».
Un problème de fond(s)
Il reste que derrière les difficultés techniques et les perspectives d’adhésion des entreprises, subsiste une question de fond : la pandémie est-elle un risque systémique assurable ?
Car à la différence de tous les autres risques systémiques évoqués (catastrophe naturelle, terrorisme…), comme le rappelle Olivier Moustacakis (cofondateur du site Assurland.com) dans Le Monde, la pandémie possède deux caractéristiques propres : avec deux crises sanitaires majeures en l’espace de 100 ans (la grippe espagnole de 1918 et le Covid-19), les statistiques manquent pour estimer finement sa probabilité d’occurrence et son ampleur ; d’autre part, une crise sanitaire mondiale est difficilement mutualisable, car à la différence des inondations et des tempêtes, elle touche tous les secteurs économiques de la planète au même moment. La diversification du risque pandémie dans l’espace est impossible.
Faut-il alors faire reposer la souscription sur un fonds de long terme, basé sur la solidarité intergénérationnelle dans la durée ? Les débats ne sont pas clos !
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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