Emails privés envoyés du poste de travail : la Cour européenne des droits de l’Homme rend son verdict

17 juillet 20185 min

Emails privés envoyés du poste de travail : la Cour européenne des droits de l’Homme rend son verdict

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 5 septembre 2017 un arrêt relatif à la violation du droit au respect de la vie privée et de la correspondance. Cet arrêt va-t-il avoir des conséquences sur le droit français ?
C’est la question que nous avons posée à François-Xavier Michel, avocat au barreau de Rennes, associé chez Cornet Vincent Ségurel, spécialiste en droit social.

Les faits : licenciement d’un salarié après surveillance de ses emails

L’affaire concerne le licenciement, en 2007, d’un salarié par son entreprise après surveillance de ses communications électroniques et de leur contenu qui révélait des communications personnelles. Faisant valoir une atteinte à son droit à la correspondance, le salarié a contesté son licenciement devant la justice de son pays – la Roumanie. Le tribunal puis la cour d’appel de Bucarest jugèrent que « la conduite de l’employeur avait été raisonnable et que la surveillance des communications du salarié avait constitué le seul moyen d’établir s’il y avait eu une infraction disciplinaire. »

En l’occurrence, une infraction au règlement intérieur qui interdisait à des fins personnelles l’usage des ressources de l’entreprise.

La décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)

Le salarié saisit alors la Cour européenne des droits de l’Homme, en mettant en avant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Cependant, en janvier 2016, la Cour décide que les juridictions internes ont « ménagé un juste équilibre » entre le droit du salarié au respect de sa vie privée et les intérêts de son employeur.

Le 6 juin 2016, à la demande du salarié, l’affaire est renvoyée devant la Grande Chambre de la CEDH. Celle-ci a finalement inversé la décision et a conclu qu’il y a bien eu violation de l’article 8 de la Convention. En effet, bien que le salarié eût connaissance du règlement intérieur, les juridictions nationales n’ont pas vérifié s’il avait été averti de la possible surveillance de ses communications.

Par conséquent, les tribunaux roumains n’ont pas protégé le droit du salarié au respect de sa vie privée et de sa correspondance et, dès lors, l’équilibre entre ses droits et les intérêts de son employeur n’a pas été respecté.

Les conséquences pour le droit français

« Fondamentalement, cet arrêt ne va pas changer grand-chose en France », affirme François-Xavier Michel. « La Cour européenne des droits de l’Homme nous rappelle ici que le salarié a droit au respect de sa vie privée. L’employeur ne peut lui interdire toute vie sociale, y compris sur son lieu de travail. Par conséquent, il ne peut pas lui interdire totalement d’échanger des messages personnels avec le matériel de l’entreprise. »

L’arrêt n’est donc pas loin de la position de la Cour de cassation. « La Haute Juridiction est très vigilante quant au respect de la vie privée et a déjà considéré que les salariés avaient la possibilité d’avoir un minimum de vie privée sur leur lieu de travail » précise François-Xavier Michel.

Par ailleurs, poursuit-il, « la Cnil rappelle que l’employeur doit informer ses salariés d’un possible contrôle de leurs échanges et des moyens qu’il entend mettre en oeuvre pour exercer ce contrôle. »

Deux possibilités de contrôle existent. D’abord, celui des flux de données. Ce contrôle ne porte pas atteinte à la vie privée et permet de constater qu’un salarié utilise le réseau de l’entreprise de façon non appropriée. Ensuite, celui des contenus. Dans ce deuxième cas, François-Xavier Michel explique que « les modalités de surveillance doivent permettent d’assurer la sécurité de l’entreprise mais être les moins intrusives possibles pour la vie privée des salariés. Si l’employeur a des doutes sur le contenu des échanges d’un salarié qui seraient susceptibles de nuire aux intérêts de l’entreprise – fait d’une concurrence déloyale par la fuite de fichiers comportant des informations stratégiques par exemple – il a la possibilité de saisir le juge qui peut l’autoriser à faire constater des contenus par huissier. »

Si en France, la jurisprudence est abondante sur ce sujet, en revanche certains États de l’Union européenne, au premier rang desquels la Roumanie, devront prendre en compte cet arrêt en protégeant le droit au respect de la vie privée et de la correspondance des salariés.

Martine Porez – Journaliste

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