Feu d’immeuble « bas carbone » en construction

25 novembre 202511 min

Le 1er juillet 2025, les sapeurs-pompiers sont alertés pour un « feu dans un immeuble en construction, avec explosions de bouteilles de gaz ». Ils vont être confrontés à un feu retors, dans un imposant complexe de huit étages dont les cinq derniers niveaux sont en bois.

L’incendie a touché un immeuble en construction situé dans l’est parisien. Les flammes ont dévasté les étages supérieurs, construits en partie en bois © René Dosne

Peu après 17 h, le 1er juillet 2025, les sapeurs-pompiers sont alertés pour un incendie sur le chantier de l’immeuble « Messager ». Un feu a éclaté au 4e étage d’un bâtiment en comptant sept, en cours de construction. Une à deux explosions ont été ressenties. Un premier groupe de véhicules est engagé. À l’arrivée des secours, de la fumée s’échappe du bâtiment.

Guidés par le personnel, les sapeurs-pompiers s’engagent dans l’un des deux escaliers encloisonnés dans une trémie de béton, mais non étanche aux fumées. Sa stabilité permet l’établissement d’une première lance, sur le foyer principal, tandis qu’une seconde lance, à grande puissance, est mise en œuvre au 5e pour enrayer les propagations. Les étages supérieurs s’enfument progressivement, compliquant les reconnaissances au-dessus du 4e. Les huisseries de fenêtres et les vitrages sont en place sur une très grande partie des façades.

Risque d’effondrement de l’immeuble bas carbone en construction

Des explosions de bouteilles de gaz sont ressenties du 4e au 6e et une dizaine de bouteilles sont bientôt regroupées à l’abri du feu. Un groupe habitation* est demandé en renfort peu avant 18 h. Les équipes engagées au 4e remarquent qu’un plafond de fumée descend rapidement à l’étage, avant que brutalement les 4e et 5e niveaux s’embrasent dans leur quasi-totalité ! L’attaque par l’intérieur est devenue impossible. La structure bois commence à s’effondrer sur elle-même, au cœur de l’édifice. L’ordre de repli général est lancé vers 18 h 30. Lances et tuyaux sont abandonnés sur place. Une seconde vague de renforts est demandée. Un périmètre de sécurité est établi, de nombreuses chutes de matériaux se produisant en périphérie du sinistre.

Le dispositif se réarticule sur une attaque extérieure, massive, à partir de moyens aériens, échelle et bras élévateurs de 32 et 42 mètres. Avant 18 h 30, le message suivant est passé : « Les secours sont confrontés à un feu d’immeuble en construction totalement embrasé du 4e au 7e étage. Tous les ouvriers ont été évacués. Le bâtiment en structure bois pourrait présenter des risques d’affaissement. Explosions ressenties, nombreux débris projetés au rez-de-chaussée. Risque de propagation aux niveaux inférieurs présent. »

*Un groupe habitation est composé de : 1 véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV), 1 équipe médicale, 1 engin pompe, 1 camionnette de réserve d’air comprimé (CRAC), 1 moyen élévateur aérien avec ventilation opérationnelle.

Feu instructif 610 Paris – Dessin René Dosne

Déploiement d’un robot d’extinction

Peu après 19 h, c’est un ensemble grande puissance qui est demandé. Le dispositif, constitué essentiellement de lances grande puissance et lances-canon (jusqu’à 3000 l/mn pour les lances des bras élévateurs), réclame de gros débits. Heureusement, le secteur est bien distribué, malgré le fait que quelques bouches d’incendie soient signalées comme hors service.

La structure bois commence à s’effondrer sur elle-même, au cœur de l’édifice.

Alors que l’effondrement de la structure bois se poursuit, interdisant l’approche, une lance sur robot d’extinction, gravissant quatre étages, alimentée par une colonne sèche partiellement exploitable, attaque le feu au plus près sur une terrasse du 4e étage. Peu avant 22 h, le feu est circonscrit au moyen de quatre lances-canon dont une sur robot d’extinction, ainsi que deux lances grande puissance et une lance.

À mesure que le feu régresse, deux lances-canon basculent en option mousse, afin de mieux pénétrer les foyers inaccessibles. La haute structure minée par le feu, déformée par endroits, effondrée à d’autres, est surveillée par télémètre laser. Il faut attendre minuit pour que le feu, sous le déluge des lances-canon, soit déclaré éteint, et laisse la place à une longue opération de surveillance, qui ne prendra fin que le 19 juillet, près de trois semaines après l’incendie !

Le détail du sinistre laisse apparaître des quantités importantes de bois brûlé © René Dosne

Le détail du sinistre laisse apparaître des quantités importantes de bois brûlé. © René Dosne.

Un sinistre riche d’enseignements

L’origine du feu, vraisemblablement parti du 4e étage, est soumise à enquête. Si le bois offre en certaines circonstances une bonne stabilité au feu, permettant l’évacuation des occupants dans les conditions réglementaires, en revanche, il ne va pas permettre aux sapeurs-pompiers de procéder à une attaque au plus près, comme dans un bâtiment traditionnel.

Nombre de feux importants traités dans nos colonnes ont contraint les pompiers à évacuer les lieux, face à une stabilité hypothétique durant les quelques heures que nécessite l’extinction. Les bâtiments ont ainsi été livrés aux flammes, et l’attaque par l’extérieur retardée. De plus, la conception des parois, planchers et plafonds multicouches facilite une propagation non contrôlée dans les vides existants. Les équipes d’attaque ont le feu « sous les pieds » et « au-dessus de la tête » sans même le détecter autrement qu’à la caméra thermique.

Ici, les pompiers ont tenté une attaque ciblée au 4e étage, à partir de la trémie de béton regroupant les gaines d’ascenseur et l’escalier, sur un feu paraissant contrôlable. C’est dans ce type de construction la partie assurant la meilleure stabilité, et pouvant servir de tour d’incendie, dès lors que l’on est en phase d’exploitation et que les portes coupe-feu sont présentes. En phase chantier le compartimentage est amoindri, voire inexistant.

Les deux trémies de béton, l’une abritant un escalier, l’autre quatre ascenseurs et un escalier, ont participé à la stabilité de la structure bois, déformée en son centre. La trémie principale a toutefois subi des contraintes entraînant l’apparition de fissures. Dès lors que le feu devient incontrôlable et que l’ordre d’évacuation de tous les personnels est lancé, l’attaque est reportée sur l’extérieur avec des moyens plus puissants : lances-canon au sol sur robots d’extinction, ou bras élévateurs, et lances grande puissance.

L’immeuble devait être livré à la rentrée et ses colonnes sèches étaient hors service.

Un risque d’effondrement spécifique

La prise en compte du risque d’effondrement est également spécifique. Si les structures d’acier se tordent et s’affaissent en tirant dans la majorité des cas les façades vers l’intérieur, et le béton tend à s’affaisser par blocs sur lui-même, en laissant parfois des poteaux ou des éléments de façade préfabriqués s’abattre à l’extérieur, la structure de bois peut voir certains de ses éléments, notamment les poteaux, s’abattre hors de son emprise au sol.

Sur l’incendie de l’immeuble « Messager », de nombreux éléments de structure jonchent les voies périphériques, entraînant le percement de tuyaux. Les feux à cœur, dans les poteaux porteurs, peuvent modifier la stabilité bien après la phase active d’extinction et de surveillance. Même détectés à la caméra thermique, ils ne pourraient en principe être combattus que par un grattage et un noyage que l’environnement instable ne permet pas d’effectuer.

Des dangers spécifiques à la phase chantier

L’immeuble devait être livré à la rentrée et ses colonnes sèches étaient hors service, pour celles de la cage d’escalier principale. Une autre a pu, malgré quelques fuites, alimenter un robot d’extinction. Les chantiers utilisant massivement les matériaux biosourcés devraient, à mesure qu’ils avancent, disposer d’équipements facilitant l’attaque d’un feu : colonnes sèches ou humides selon les cas. Autres dangers spécifiques aux feux d’immeubles en chantier : la présence de nombreuses bouteilles de gaz, dont quelques-unes ont explosé, des trémies mal sécurisées, ou peu visibles dans la fumée, des fers à béton dépassant du sol, entraînant des chutes dangereuses, des difficultés d’accès des engins en périphérie, etc.

S’il n’y a pas eu de victimes à déplorer, en revanche 17 tuyaux et deux dévidoirs mobiles ainsi que des lances ont été abandonnés au feu lors de l’ordre de repli.

L’immeuble « Messager » est un des éléments du futur « premier pôle économique de l’est parisien », occupant une ancienne emprise ferroviaire de la gare de Lyon. L’édifice devait être le premier immeuble bois bas carbone du programme.

D’une surface au sol de 2 200 m² environ, il se compose d’une base trapézoïdale de trois étages, traversée d’un patio paysagé, et d’un second bloc parallélépipédique de quatre étages, posé sur la base. Le bloc bas R+3 est de construction mixte béton-maçonnerie-bois, alors que le bloc R+4 à R+7 est en bois, à l’exception des deux trémies abritant les circulations verticales. L’immeuble ne comprend pas de sous-sol. Le bloc sinistré (+4 à +7) comporte en façades des structures métalliques tenues par un réseau horizontal et vertical d’IPN, abritant le dispositif d’occultation des façades.

Au moment du sinistre, l’immeuble est en chantier et les colonnes sèches hors service. Les travaux impliquent des difficultés d’approche des moyens de secours, en particulier les dévidoirs mobiles ainsi que les échelles et bras élévateurs.

Dans les alentours, le réseau de bouches d’incendie est dense. Certaines sont signalées indisponibles, mais s’avéreront finalement opérationnelles. Les deux premiers centres de secours sont à moins d’un kilomètre.

Les feux de structures bois « à faible empreinte carbone » apparaissent dans nos colonnes depuis plus d’une décennie, d’abord hors région parisienne. Chacun de ces sinistres fait apparaître des difficultés spécifiques liées aux matériaux biosourcés.

La phase de chantier, et notamment de fin des travaux, rend l’édifice vulnérable, compartimentage, détection et colonnes sèches n’étant pas en service. Les grands feux de résidences en bois que nous avons relatés aux États-Unis survenaient en fin de chantier, alors que le potentiel calorifique était à son maximum, mais que l’extinction automatique, obligatoire même sur les balcons dans ces constructions, était encore inactive.

En région parisienne, la BSPP avait déjà été confrontée, il y a deux ans, à un feu de groupe scolaire de 2 000 m², à Montfermeil, tout en bois, à l’exception de la trémie d’ascenseur, dont les façades étaient constituées de caissons de panneaux agglomérés emplis de paille.

À l’arrivée du premier engin, cent mètres de façade étaient déjà en feu. Puis ce fut le feu de centre de traitement de déchets, flambant neuf, implanté dans l’ouest parisien, dont une partie du bâti était en bois, le reste en béton.

Ils sont de deux ordres : feux d’immeubles en construction ou en travaux, et feux d’immeubles en bois. Si le feu de la cathédrale Notre-Dame de Paris est l’exemple le plus emblématique de la vulnérabilité d’un édifice en travaux (Face au Risque n° 553), le feu d’immeuble rue du Sentier à Paris (Face au Risque n° 605), le feu de la basilique de Nantes (Face au Risque n° 516), le feu de paquebot en construction aux chantiers de Saint-Nazaire (Face au Risque n° 270), le feu de la bourse de Copenhague (Face au Risque n° 603), le feu d’immeuble en bois à Salon de Provence (Face au Risque n° 520), sont des exemples traités dans nos colonnes.

La particularité de ces sinistres est l’absence de compartimentage, la présence d’équipements de sécurité non effectifs, et l’impossibilité pour les secours de procéder à une attaque « au plus près », s’appuyant sur des éléments stables et coupe-feu. Dans le cas de feux de constructions bois, ils vont devoir se replier face au développement du feu et sont en difficulté pour atteindre le matériau isolant.

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Article extrait du n° 610 de Face au Risque : « Photovoltaïque et risque incendie » (novembre-décembre 2025).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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