De la conformité à la résilience, repenser la cybersécurité dans l’industrie 4.0

6 novembre 20256 min

Les chaînes de production ne s’immobilisent plus à cause de pannes mécaniques, mais en raison d’incidents de cybersécurité. Dans l’industrie manufacturière, le risque d’origine cyber est un enjeu stratégique majeur : il peut paralyser la production, désorganiser les chaînes d’approvisionnement et ébranler la confiance des investisseurs comme des clients.

Cybersécurité industrielle : passer de la conformité à la résilience © Gorodenkoff/AdobeStock

Les récentes cyberattaques dans l’industrie automobile illustrent bien cette menace. Stellantis a récemment fait état d’une fuite de données, tandis que Jaguar Land Rover a vu sa production paralysée pendant plus de quatre semaines à la suite d’une cyberattaque. Ces géants mondiaux disposent pourtant de ressources considérables. Si des entreprises de cette envergure peuvent être mises à l’arrêt pendant des semaines, que dire des PME industrielles aux équipes limitées ? Le constat est sans appel : aucune usine n’est à l’abri.

De la conformité à la résilience

Nombre d’industriels abordent encore la cybersécurité comme une simple obligation réglementaire à satisfaire. Or, se limiter au strict minimum requis ne suffit pas à stopper les cyberattaques. Cette approche doit être considérée comme un socle de base, non comme un but ultime. Les ransomwares s’appuient sur les vols de mots de passe. Avec 85 % des compromissions dans le secteur manufacturier impliquant de l’hameçonnage, des intrusions système ou des logiciels compromis, la posture de sécurité standard ne suffit manifestement plus face aux risques avérés.

Quelle durée d’interruption de votre activité est tolérable ? Quel est l’impact d’une violation de propriété intellectuelle ? Où se situe votre seuil de risque acceptable ? Telles sont les questions existentielles qui relèvent de la direction générale et du conseil d’administration, non de simples problématiques techniques. À l’instar du contrôle qualité ou de la sécurité au travail, la cybersécurité nécessite gouvernance, culture d’entreprise et ressources dédiées.

Les équipements OT sont conçus pour durer, parfois des décennies. Mais leur remplacement est souvent retardé en raison de coûts et de perturbations induites. Cependant, avec le temps, ces technologies deviennent de plus en plus vulnérables aux attaques. Protocoles obsolètes, systèmes non maintenus, configurations désuètes : autant de failles qui dépassent le cadre technique pour devenir des risques généraux. Dans le cas des PME, la question est de déterminer à quel moment le coût potentiel d’un cyber-incident dépasse celui de la modernisation ou du remplacement des équipements vieillissants.

Identifier les points d’entrée des cyberattaques

Malgré l’attention portée à la sécurité OT dans l’industrie 4.0, c’est souvent l’informatique qui constitue la porte d’entrée principale. Les e-mails d’hameçonnage, les identifiants volés et les logiciels tiers compromis sont les vecteurs les plus fréquents. Les fabricants sont particulièrement exposés pour plusieurs raisons :

  • Les attaquants savent que les usines ne peuvent pas se permettre d’interruptions. La production en flux tendu aggrave les conséquences d’un incident, augmentant la pression de payer une rançon ou de subir un arrêt prolongé.
  • Les chaînes d’approvisionnement élargissent la surface d’attaque. Une faille chez un fournisseur peut impacter toute la chaîne, y compris vos opérations, et vice versa.
  • Les équipes IT sont souvent sous-dimensionnées. Les PME industrielles manquent de ressources pour assurer une surveillance continue et une réponse rapide.
  • La propriété intellectuelle est une cible de choix. Plans, formules, prototypes : autant d’actifs convoités par les cybercriminels.

Construire une infrastructure IT/OT résiliente

Il ne s’agit plus seulement de bloquer les attaques, mais d’anticiper les menaces et de les neutraliser avant qu’elles n’impactent les opérations.

  1. Renseignements sur les menaces : Des informations concrètes sur le paysage des menaces actuelles, incluant les tactiques des groupes, les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement et les menaces persistantes avancées, permettent aux équipes de prioriser les risques réels.
  1. Surveillance continue et étendue : La corrélation des activités entre les terminaux, les serveurs et les applications cloud permet de détecter les anomalies révélatrices d’une intrusion. Cette surveillance doit aller au-delà de l’infrastructure IT classique, et lorsque c’est possible, inclure les systèmes OT. Une plateforme unifiée pour la supervision IT/OT améliore la visibilité et renforce la capacité à anticiper et contrer les menaces.
  1. Segmentation et contrôle d’accès : La mise en place de périmètres clairs, la segmentation des environnements OT, une gestion rigoureuse des identités et l’authentification multifactorielle limitent les mouvements latéraux des attaquants au sein du système.
  1. Gestion des vulnérabilités : L’application automatisée des correctifs et des mises à jour de firmware sur l’ensemble des équipements comble les brèches exploitables par les cybercriminels.
  1. Sauvegarde et récupération : Des sauvegardes hors ligne externalisées et des procédures de restauration régulièrement testées permettent de limiter les temps d’arrêt et d’éviter que les ransomwares ne paralysent la production.

La combinaison de renseignements sur les menaces, d’une surveillance active et de capacités de réponse modernes comme la détection et réponse étendues (XDR) permet aux PME d’acquérir une posture de sécurité robuste, sans avoir à déployer un centre SOC complet. La protection classique des terminaux ne suffit plus. La solution XDR (Extended Detection and Response) centralise la détection et la réponse sur l’ensemble des appareils, serveurs et environnements cloud. Elle offre une vision globale des signaux faibles issus de sources disparates, révélateurs d’une attaque en cours. Les services MDR (Managed Detection and Response) permettent aux petites équipes IT de bénéficier d’une surveillance 24/7, d’un confinement rapide des menaces et d’une réduction des angles morts, assurant ainsi la continuité des opérations.

La cybersécurité, un investissement stratégique

Les cyberattaques ne sont pas des risques théoriques : elles représentent des coûts bien réels. Selon le rapport 2025 d’IBM, une violation dans le secteur industriel coûte en moyenne 5 millions de dollars. Mais les pertes les plus lourdes proviennent de l’arrêt de la production, des contrats non honorés et de la perte de confiance des clients. Considérer la cybersécurité comme un enjeu commercial permet de protéger la croissance, la réputation et la résilience de l’entreprise. Les dirigeants et les conseils d’administration doivent envisager le remplacement des technologies obsolètes non seulement comme une mise à niveau technique, mais comme une mesure stratégique pour limiter l’impact des cyber-incidents.

Au-delà de la réduction des risques, il faut viser la résilience. Dans le secteur manufacturier, les équipes de cybersécurité doivent aller plus loin que la simple réduction des risques. Elles doivent privilégier les actions qui minimisent les interruptions et les conséquences économiques. La cyber-résilience ne signifie pas l’élimination totale du risque, mais la définition d’un seuil de risque acceptable, accompagné de défenses suffisamment solides pour maintenir les opérations, même sous pression. Dans l’industrie 4.0, l’innovation sans cybersécurité représente un risque commercial déguisé. Les usines les plus performantes seront celles qui auront intégré la cyber-résilience au cœur de leur stratégie.

À lire également

Notre article “Les spécificités des systèmes industriels” extrait de notre dossier “Cybersécurité des systèmes industriels” publié dans le  n° 577 de Face au Risque (novembre 2021).

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Benoît Grunemwald, expert en Cybersécurité

Benoit Grünemwald

Expert en cybersécurité chez Eset France & Afrique francophone

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