La responsabilité des secours publics en intervention : des recours de plus en plus nombreux
Les recours visant la mise en cause de la responsabilité des services de secours par les victimes constituent un mouvement d’ampleur. Décryptage de ce phénomène du point de vue réglementaire et jurisprudentiel.
Responsabilité des secours publics en intervention : un contentieux croissant
Alors même qu’ils font partie des professions les plus appréciées au monde, les pompiers, les médecins et autres acteurs des secours publics sont confrontés aux attentes de plus en plus élevées de la population dans le cadre de leurs interventions. Ces dernières sont scrutées à la loupe avec un niveau d’exigence auparavant jamais atteint.
On leur demande toujours plus de réactivité, toujours plus d’efficacité, avec un degré d’acceptabilité de l’échec proche de zéro. Cette situation revient à mettre à la charge des services de secours une forme d’« obligation de résultat », sous peine de voir leur responsabilité recherchée.
« Cette situation revient à mettre à la charge des services de secours une forme d’« obligation de résultat », sous peine de voir leur responsabilité recherchée. »
Il faut souligner que cette tendance ne touche pas uniquement les acteurs présents sur le terrain, mais également tous les maillons de la chaîne de commandement, comme les maires et les officiers supérieurs, particulièrement mis en cause par les agents et leurs familles en cas de décès ou de blessures/
Exemple : TA Lille, 11 décembre 2024, condamnation du Sdis 62 à verser 27 000 € de dommages-intérêts à la famille d’un pompier décédé dans un incendie, à qui on avait donné ordre de pénétrer dans l’habitation pour porter secours alors qu’il était vraisemblable que plus de 30 minutes après la coupure de la communication, les occupants étaient déjà décédés ; ordre avait également été donné d’arroser l’étage de la maison provoquant un phénomène thermique violent causant le décès de deux pompiers.
Une autre particularité à noter est que cette recherche de responsabilité s’exerce de plus en plus devant les juridictions pénales, et non plus seulement devant le juge administratif, juge naturel du service public.
La responsabilité administrative des secours publics en intervention
La responsabilité administrative a pour but d’obtenir une indemnisation de l’administration pour les dommages subis par les victimes. Dans ce contexte, la commune, à travers la figure du maire, incarne un rôle de premier plan en matière de secours publics en raison des pouvoirs de police dont celui-ci dispose sur le périmètre de sa commune, et qui sont tirés des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). En situation d’urgence, en cas d’absence totale de mise en œuvre des pouvoirs de police municipale, la commune sera condamnée pour la faute commise par le maire.
Exemple : TA Nice, 5 janvier 2025, n° 2001668 : condamnation de la commune à verser 65 000 € aux héritiers d’une résidente décédée dans l’inondation de la maison de retraite de Biot, la faute du maire résidant dans le déclenchement tardif du plan communal de sauvegarde.
En plus de la commune, la responsabilité administrative des services d’incendie et de secours (Sdis) peut être recherchée s’ils ont commis une faute en matière opérationnelle (sur le fondement de l’article L. 2216-2 du CGCT), par exemple dans l’hypothèse d’une défaillance matérielle (défectuosité des pompes, absence ou défaut d’entretien des véhicules, insuffisance dans le déploiement des moyens de secours…). À ce titre, commettent par exemple une faute engageant la responsabilité du Sdis au titre de la reprise de feu les agents qui négligent de mettre en place un piquet de ronde à l’issue des opérations de vérification menées à la suite d’un premier incendie d’une construction qui comportait des poutres très imbriquées les unes dans les autres et utilisait de la laine de roche comme matériau d’isolation (CAA Lyon, 6ème chambre, 24 septembre 2015, n° 14LY02929).
Un autre fondement de responsabilité consiste dans la faute de commandement ou de gestion, telle qu’une organisation défectueuse du service de secours (article L. 1424-8 du CGCT).
En ce qui concerne les services du Samu, ils engagent, à travers leurs actions ou omissions, la responsabilité du service public hospitalier lui-même.
Exemple : CAA Nantes, 12 avril 2012, n° 10NT00310 , sur la faute du médecin régulateur, ayant fait porter sur un enfant de dix ans la responsabilité de s’assurer de l’évolution des symptômes de son père et lui intimant de contacter le médecin libéral de garde, au lieu de déclencher une intervention au domicile.
À l’inverse, le médecin de ville libéral qui serait appelé à se déplacer sur demande du médecin régulateur du Samu, dans le cadre de la permanence des soins, n’engage que sa propre responsabilité puisqu’il n’est pas collaborateur du service public. Il demeure responsable à titre personnel de la consultation ou de la visite qu’il accomplit. À ce titre, sa responsabilité civile personnelle peut être engagée devant les juridictions civiles (Civ. 1ère, 4 février 2015, n° 14-10.337).
« La responsabilité administrative des Sdis peut être recherchée s’ils ont commis une faute en matière opérationnelle. »
La responsabilité pénale des secours publics en intervention
Si on observe une recrudescence de l’utilisation de la voie judiciaire pénale par les administrés, dans la pratique, les condamnations restent cependant limitées, les critères de condamnation étant plus exigeants au pénal que devant le juge administratif.
Les principales infractions pour lesquelles les services de secours se trouvent dans les faits poursuivis et le cas échéant condamnés consistent dans le délit d’omission de porter secours visé à l’article 223-6 du code pénal, ainsi que les délits non intentionnels que sont l’homicide ou les blessures involontaires (articles 221-6 et 222-19 et suivants du code pénal). Dans les cas les plus flagrants, il peut également leur être reproché la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ou la commission d’une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer (article 121-3 du code pénal).
Dans la pratique, les services qui réceptionnent les appels urgents et interviennent donc en première ligne dans la chaîne de secours sont particulièrement exposés à la reconnaissance à leur encontre du délit d’omission de porter secours. Il leur appartient en effet d’analyser efficacement les signes de gravité potentiels, de délivrer à l’appelant les conseils adaptés, le cas échéant tout en dépêchant les secours appropriés.
Exemple : Tribunal correctionnel de Strasbourg, 4 juillet 2024, condamnation d’une opératrice du Samu pour non-assistance à personne en danger à un an de prison avec sursis et au versement de 15 000 € de dommages-intérêts à la famille d’une femme enceinte dont elle avait raillé et mal évalué les symptômes au téléphone, retardant sa prise en charge, et qui était finalement décédée à l’hôpital.
Il existe également une abondante jurisprudence impactant les médecins de garde qui n’ont pu être joints à temps, pour une raison ou pour une autre, au détriment des patients.
Exemple : Crim., 13 février 2007, n° 06-81.089, confirmation de la condamnation à trois mois de prison avec sursis pour homicide involontaire d’une médecin de garde, qui dormait chez son compagnon dont la ligne fixe était restreinte du fait de factures impayées, ce qui rendait inopérant le transfert d’appel effectué alors qu’elle devait pouvoir intervenir à tout moment ; ce faisant, elle a retardé la mise en œuvre du bilan médical initial susceptible d’entraîner l’engagement des secours adaptés, cette faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer.
« Cette recherche de responsabilité s’exerce de plus en plus devant les juridictions pénales, et non plus seulement devant le juge administratif. »
Face à ces risques de mise en cause de responsabilité, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour faire évoluer l’organisation des services de secours et éduquer le public aux aléas des interventions, tout en renforçant leurs compétences en matière de gestes de premiers secours (pour lesquels il est reconnu que les Français sont globalement moins formés que leurs voisins européens). Ceci dans le but de parvenir à un équilibre entre les attentes légitimes des administrés et le besoin de sécurité juridique ressenti par les secours publics dans l’exercice de leurs missions.
À lire également
Notre article “Risques émergents : la question de la responsabilité” extrait du dossier “Gérer les risques émergents” publié dans le n° 599 de Face au Risque.
Article extrait du n° 609 de Face au Risque : « La santé mentale au travail » (septembre-octobre 2025).

Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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