Feu d’entreprise d’hygiène à Toulouse

16 mai 202512 min

Le 24 février 2025, un entrepôt s’embrase au cœur d’une zone industrielle périphérique de l’agglomération toulousaine. Risque banal : du papier toilette et des essuie-mains sont stockés dans le bâtiment. Mais moins d’une heure après le départ de feu, plus de 2 000 riverains sont impliqués. Il n’y a pas d’incendie anodin…

Ceci est une légende Alt

Les sapeurs-pompiers sont alertés par de nombreux appels, à partir de 9 h 33, l’autoroute A64 longeant le sinistre à vingt mètres. À l’arrivée du premier véhicule des pompiers, le bâtiment est totalement embrasé et les flammes ont déjà percé au droit des plus gros foyers. Les 13 employés présents ont été évacués, et le chef d’établissement est présent. Un grand nombre de badauds est regroupé sur les lieux.

Un groupe incendie se présente, suivi de renforts déclenchés avant même le premier message.

Le bâtiment dispose de nombreuses baies et accès sur sa façade principale, et trois lances sont rapidement établies, dont une sur échelle, dominant le brasier. Ordre est donné de ne pas pénétrer dans le bâtiment, la structure métallique et les façades accusant des déformations.

Des insecticides et raticides sur le site

Peu avant 10 h, les sapeurs-pompiers obtiennent de la direction de l’entreprise quelques informations peu précises sur les matières en feu : il y a effectivement des insecticides et raticides, parmi les 200 références de produits stockés, mais pas de notion de quantité ni de type de conditionnement. Toutefois, l’exploitant indique, parmi les parties à protéger en priorité, un groupe de 16 bouteilles d’oxygène, et les bureaux particulièrement exposés.

À mesure de l’arrivée des engins, une deuxième lance sur moyen aérien est établie à l’opposé, ainsi que trois lances au sol. Le feu est maintenant attaqué sur ses cinq faces. Le débit maximum sera de 4 500 l/min au plus fort. Sous l’action de refroidissement massif, le panache de fumée, initialement vertical et observé à plusieurs kilomètres, s’affaisse et englobe la zone d’intervention d’un brouillard. La direction du vent varie de 40 à 50 ° et il est nécessaire de procéder à des mesures de confinement et/ou d’évacuation d’une zone d’environ 10 ha ne comprenant que des établissements industriels.

Il n’est même pas encore pas 11 h, et un réseau de mesures est établi (une quinzaine de points jusqu’à 1,5 km) par la cellule mobile d’intervention chimique (CMIC), tandis qu’aidés de la police, les sapeurs-pompiers procèdent à l’information et au confinement des personnels des dizaines d’entreprises environnantes.

Feu d’entreprise d’hygiène à Toulouse © René Dosne/Face au Risque

Plus de 2 000 personnes confinées

À 11 h 15, le poste de commandement mobile où une alerte CO (oxyde de carbone) a été signalée, est déplacé de 100 m environ. La cause de cette alerte, émissions des groupes électrogènes ou fumées d’incendie, reste indéterminée. Vers 12 h 30, le feu est maîtrisé. La quantité et la nature des produits potentiellement toxiques sont en cours d’évaluation. Aux 237 personnes initialement confinées, s’ajoutent vers 11 h 30, 2 000 personnes d’un complexe tertiaire Thales, à moins de 3 km. Invitées à quitter les lieux à l’heure du déjeuner, elles seront placées en télétravail pour l’après-midi.

Une heure après, 65 personnes sont toujours confinées dans 12 entreprises. Des mesures sont toujours effectuées sur les fumées et l’eau d’extinction, évaluée à 150 m³. Vers 19 h, des foyers persistants sont toujours fumigènes. Ils seront traités à l’eau dopée, avant qu’un dispositif de surveillance ne soit organisé pour la nuit. L’entreprise prendra en charge le déblai par moyens mécaniques, la chute d’éléments menaçants, ainsi que l’enlèvement des déblais.

Enseignements

L’origine de l’incendie est soumise à enquête. Le feu a éclaté en présence de 13 membres du personnel répartis dans les locaux, ce qui en principe garantit une réaction rapide. Il semblerait que les premières manifestations du feu aient été vues dans la partie nord-ouest du bâtiment, à proximité d’une machine, dans le local d’environ 300 m² où se trouvaient 12 bouteilles d’oxygène. Si l’on n’a pas de précisions sur le temps de réaction entre la découverte du feu, une éventuelle première attaque et l’appel des secours, le bâtiment est perçu comme « totalement embrasé, toiture percée », alors que les secours se rendent sur les lieux. Le panache est visible du Codis, à près de 7 km.

La lutte contre l’incendie ne pose pas de problème particulier pour un entrepôt de taille moyenne. On observe aujourd’hui de nombreux feux de bâtiments de stockage dont le gigantisme ne permet plus aux lances placées en périphérie de se rejoindre entre façades opposées. Ici ce n’est pas le cas. Les accès sont ouverts, la face principale comprend de nombreuses ouvertures, l’approche des engins est possible malgré la présence initiale de camions, les dimensions du bâtiment et la rareté des recoupements de la zone de feu permettent une bonne couverture des lieux par les lances, sur les quatre faces et depuis les échelles par la toiture effondrée.

La zone industrielle est bien alimentée (premier poteau entre 50 et 80 m) et l’alimentation des poteaux d’incendie diversifiée. De plus, on évoque au début un entrepôt de papier pour WC. Un gros volume d’engins est envoyé à priori, compte tenu du panache et des nombreux appels.

24 heures d’opérations

Peu avant midi, le feu est attaqué au moyen de sept lances. Un coup de lance-canon final et une eau additionnée de mouillant auront raison des masses persistant à se consumer. Le feu est totalement maîtrisé à 15 h 30 et déclaré éteint 24 heures plus tard. La présence de masses de papier et essuie-mains brûlant à cœur provoquent un dégagement de fumées durable et bas au sol en raison d’une chaleur réduite.

Mais comme c’est souvent le cas, l’entreprise fera appel à des moyens de déblai mécaniques pour mettre à jour les derniers foyers, traités à l’eau dopée, et faire tomber des éléments de structure menaçant ruine, permettant aux sapeurs-pompiers de progresser. Les eaux d’extinction retenues seront analysées.

Les pompiers ont utilisé un drone pour surveiller la progression du feu © Mathieu Boutinaud, Sdis 31

Les pompiers ont utilisé un drone pour surveiller la progression du feu. © M. Boutinaud, Sdis 31.

Entre une et deux tonnes de produits toxiques

C’est après contact avec le chef d’établissement et la compréhension de la dualité de l’activité, fourniture de papiers et essuie-mains aux entreprises, et activités de désinsectisation et dératisation, que la réelle complexité de l’intervention apparaît. Bien que les informations soient imprécises, il semble que l’on stocke divers produits toxiques. Pour les rats, souris, insectes et autres puces de lit. Mais encore ? La composition, les quantités de produits et leur mode de conditionnement sont vagues, au point que le responsable risque chimique aborde le problème autrement : « Monsieur, quels sont les produits que vous n’aimeriez pas manipuler ? » Quels sont les produits réellement sur place, ceux épuisés ? Livrés ? L’état des stocks est difficile à établir, mais semble-t-il limité : entre une et deux tonnes maximum.

Les niveaux de dangerosité pour l’homme, la faune et la flore sont inconnus. Les conditionnements de produits potentiellement toxiques pour les rats et insectes sont petits. Il s’agit de boites et de fioles. L’information à la population va rapidement être prise en compte par la préfecture, qui va diffuser des communiqués.

Pour les entreprises de la zone contrôlée et son pourtour, la communication sera assurée par les sapeurs-pompiers et la police, à l’occasion notamment des prises de mesures. Ensuite, des tournées de « levée de doute » et informations délivrées aux entreprises sont effectuées.

Quel impact sur la nature et les populations ?

« Les produits stockés dans l’entrepôt, tous dégradés par l’incendie, n’étaient pas de nature à générer un effet nocif pour la population », rassure la préfecture. Les particules fines sont, elles aussi, en deçà des seuils inquiétants, et n’ont pas d’effets néfastes sur la santé. Enfin, si dans la zone étaient présents des points de captage d’eau, ces derniers, selon la Préfecture, n’ont pas été touchés, et la qualité de l’eau potable n’est pas altérée. Toujours selon la préfecture, aucune mortalité piscicole n’est à déplorer dans les cours d’eau alentour.

C’est après les premiers prélèvements de particules supérieurs à 500 ppm que des mesures à destination des riverains sont prises dans la direction survolée par le panache qui se rabat progressivement au sol. Une zone « contrôlée » d’environ 200 m x 500 m, ne concernant que des entreprises, est définie. Elle couvre sensiblement la zone susceptible, avec le vent tournant, d’être balayée, et concerne 22 entreprises et près de 240 employés. 2 000 vont s’y ajouter, provenant de l’entreprise Thales. Ces derniers quitteront le site avec des mesures de télétravail pour l’après-midi. L’opération s’étend sur l’heure du déjeuner. Les exploitants se renseignent au poste de commandement pour prendre les consignes d’évacuation ou de confinement.

Un premier réseau de mesures va être instauré de 10 h à midi, avec une quinzaine de points de relevés. C’est le plus large (à près de 2 km du feu). Le second réseau de mesures, de 12 h à 13 h, se fait sur trois points de relevés et le troisième, de 15 h à 16 h, est en bordure de la zone contrôlée. Ces mesures ont permis de relever une concentration de 680 ppm pour les particules PM 2.5 entre 10 h et 12 h, et de 580 ppm pour les particules PM 10, toujours entre 10 h et 12 h.

Afin d’identifier une potentielle pollution de l’air nécessitant d’évacuer les riverains ou les entreprises à proximité, les pompiers ont effectué des relevés dans l’air. © M. Boutinaud, Sdis 31.

Les pompiers ont effectué des relevés dans l’air © Mathieu Boutinaud, Sdis 31

8 personnes présentant des symptômes

En début d’après-midi, 65 personnes sont toujours confinées dans 12 entreprises proches. Vers 16 h, les prélèvements d’air sont en dessous des seuils. 8 personnes présentant des symptômes, (irritation des voies aériennes supérieures) vont être examinées, dont 7 policiers et un employé d’une entreprise riveraine.

Pour les sapeurs-pompiers, les éléments défavorables de cette intervention portent essentiellement sur l’imprécision concernant la quantité, la nature, la réelle toxicité, et la dangerosité des produits. En outre, la zone alentour est diverse, avec de nombreuses entreprises composant la zone industrielle. Cela implique des reconnaissances étendues, consommatrices de temps et de personnels. De longues opérations de déblai auront également lieu pendant 25 heures, entre le « feu totalement maîtrisé » et le « feu éteint, fin des opérations ».

Créée il y a 100 ans au Royaume-Uni, la société touchée par l’incendie dispose de 1 800 agences dans 80 pays. Présente depuis une quarantaine d’années en France, la société, forte de 300 employés, dispose de 13 agences régionales. Ce maillage permettra à l’entreprise d’amortir au mieux la perte de son agence toulousaine, dont l’activité sera reportée sur les agences voisines, et le chômage technique évité. Par ailleurs, l’action des sapeurs-pompiers a permis de préserver l’essentiel des bureaux, les fichiers clients et autres documents informatiques, facilitant la poursuite d’activité.

La société sinistrée regroupe deux activités. D’un côté dératisation et insecticides, de l’autre produits d’hygiène et blanchisserie d’entreprises (rouleaux de papier toilette, essuie-mains, etc.)

Bâti sur un terrain de 4 500 m², l’entrepôt de 1 350 m² environ est construit sur une dalle en béton.

Son ossature est métallique, ses façades de bardage double peau, sa toiture est en fibrociment, contenant vraisemblablement de l’amiante, avec isolation en sous-couche. Au cours de leur intervention, les pompiers ont privilégié la gestion du nuage potentiellement toxique.

Quatre skydomes équipent la toiture, ainsi que de nombreuses insertions de plaques translucides fusibles. Le bâtiment abrite une zone de stockage, une zone de bureaux R + 1 desservie par deux escaliers, une zone de nettoyage et de préparation de produits et une machine à laver industrielle.

Douze bouteilles d’oxygène sont stockées dans cette partie d’environ 250 m².

Dans la zone entrepôt, les marchandises sont stockées en racks ou en casiers sur roulettes.

Des recoupements existent, en maçonnerie légère ou en placoplâtre pour les bureaux. À une distance comprise entre 17 et 20 mètres se trouvent un bâtiment industriel de 540 m² et un entrepôt de 4 000 m².

L’établissement est inconnu des sapeurs-pompiers, de la Dreal, et n’est pas classé ICPE. Il n’est soumis ni à déclaration, ni à autorisation. Sa défense intérieure est assurée par des extincteurs adaptés, et le premier poteau d’incendie est à environ 50 mètres. Ses quatre faces sont accessibles aux véhicules de secours, et le centre de secours le plus proche est à 1,6 km.

Il n’est pas nécessaire d’intervenir sur un site industriel Seveso, une plateforme pétrochimique, un accident de transport de matières dangereuses (TMD) ou autre incident de ce type pour être confronté, en cours d’intervention, après recueil d’informations, à une opération de confinement ou d’évacuation des populations, parfois d’envergure. Le dimensionnement de l’intervention doit alors être renforcée, des moyens spécifiques en risque chimique être engagés, des personnels supplémentaires pour effectuer les prélèvements d’air doivent être mobilisés, et les autorités préfectorales doivent s’ajouter au dispositif.

Outre les accidents de TMD, à part, nombre de sinistres peuvent conduire à une prise en charge massive des populations. Feux d’entreprises de produits chlorés pour piscine, feu à Grasse, la cité des parfums (Face au Risque n° 340), feu d’immeuble amianté à Rouen (Face au Risque n° 599) nécessitant la pose d’un film étanche sur les décombres…

Enfin, en 2003, l’explosion d’une fraction d’un stock d’ammonitrates de 3 à 5 tonnes après une heure d’incendie dans une exploitation agricole « banale » blesse 25 personnes dont 18 pompiers (4 gravement), entrainant de gros dégâts dans la commune de Saint-Romain-en-Jarez, soufflée dans un rayon de 800 m (Face au Risque n° 399).

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Article extrait du n° 607 de Face au Risque : « Réglementation incendie et construction bois » (mai-juin 2025).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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