Feu instructif. Feu dans le métro toulousain

18 octobre 202210 min

Le 30 octobre 2021, un incendie entraîne d’importantes perturbations dans le métro toulousain, dont les deux lignes A et B sont exploitées par la société Tisséo. De ce feu d’escalier mécanique seront tirés des enseignements, dont certains, seront mis rapidement en œuvre et appliqués sur un autre sinistre survenu en juillet 2022.

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Une évacuation confuse

Il est 16 h 34 le samedi 30 octobre 2021 lorsque les sapeurs-pompiers sont alertés par le poste de commande et de contrôle (PCC) de l’entreprise Tisséo pour un dégagement de fumée et de flammes sur un escalier mécanique de la station Jeanne-d’Arc du métro de Toulouse. Le PCC a été alerté trois minutes plus tôt par le détecteur incendie, constatant la présence de flammes entre les marches. Depuis le PCC, un contrôle vidéo permet de confirmer l’alerte.

La station est fermée et, selon l’exploitant, il n’y a plus d’usagers. Les rames circulent encore sans s’arrêter à la station, entraînant des mouvements fluctuants de fumée.

Le désenfumage transversal est établi selon la procédure : insufflation quai 1 et salle des billets et extraction quai 2 (le feu se situe du côté du quai 2).

Mais à 16 h 38, trois personnes errant dans la salle des billets enfumée sont repérées par les caméras de surveillance du PCC. Deux minutes plus tard, l’exploitant déclenche l’évacuation générale de la station Jeanne-d’Arc. La circulation des trains est stoppée.

Feu d'escalier mécanique dans le métro de Toulouse - Dessin : René Dosne-Face au Risque

La station Jeanne-d’Arc, inaugurée en 2007, est l’une des stations les plus empruntées du réseau toulousain avec 4 164 768 voyageurs/an (chiffre 2018).

Le métro comprend 2 lignes comptant au total 37 stations.

La station, accessible par deux escaliers et un ascenseur, est constituée de trois niveaux dont un, technique et inaccessible au public, sous le niveau des voies.

On distingue :

  • au niveau -1, la salle des billets, un demi-niveau « mezzanine » avec une moitié de la surface occupée par des locaux électriques ;
  • au niveau -2, les quais ;
  • au niveau -3, le sous-quai.

Les rames, automatiques, sont sur boggies à pneus.

Des RIA et extincteurs existent dans les stations placées par ailleurs sous détection de fumée, vidéosurveillance, système de communication avec les usagers en station et en rames, moyens de sonorisation des stations et des rames, ainsi que certaines commandes à distance, reliées au poste de commande et de contrôle (PCC).

Une armoire en entrée de station permet, entre-autre, aux sapeurs-pompiers d’interagir sur la ventilation.

Le centre de secours le plus proche (Lougnon) est à 2,5 km.

Une manifestation perturbe l’arrivée des secours

En surface, un long cortège de manifestants défile sur les boulevards et la circulation est très perturbée, entravant l’arrivée des secours. L’agent de Tisséo en charge de cinq stations est occupé sur une autre station par une personne ayant fait un malaise.

Le premier engin se présente sur les lieux. Il est 16 h 44 et les sapeurs-pompiers voulant engager une reconnaissance, au vu de l’importante fumée qui se dégage à l’extérieur, trouvent les accès clôturés. Les grilles ont été fermées à distance par le PCC. Il est décidé de les sectionner à la disqueuse, mais la réouverture est réalisée à distance depuis le PCC à 16 h 50. Des reconnaissances sont lancées à l’intérieur, à la caméra thermique, pour s’assurer qu’il ne reste pas d’occupants.

Conjointement, une lance à eau est établie au niveau de la salle des billets. Après avoir procédé à la coupure de l’alimentation électrique de l’escalier mécanique, un binôme ayant atteint le quai procède à l’extinction du feu au moyen d’un RIA (robinet d’incendie armé) de la station à 17h10. Le feu est éteint en quelques minutes.

Au niveau -1, dans la salle des billets, le feu visible en haut de l’escalier mécanique est jugulé par une lance. À 17 h 42, il est maîtrisé.

Une lance et un RIA sont en manœuvre sur l’escalator partiellement embrasé entre R-2 et R-1. L’ensemble des locaux techniques est reconnu.

À 18 h 14, le feu est éteint. L’ensemble de la station puis 150 m de tunnel de part et d’autre de la station sont inspectés par le groupe exploration longue durée.

L’agent de sécurité qui s’était initialement engagé, intoxiqué, est en attente de transport à l’hôpital.

Peu avant 19 h, l’opération est terminée pour les sapeurs-pompiers. Mais la station reste fermée durant 6 jours.

Les dommages

L’escalier mécanique est particulièrement détruit dans sa partie basse, les dégâts décroissant à mesure que l’on atteint la salle des billets. La structure d’acier est déformée, les balustrades de verre supportant les mains-courantes sont brisées, les enrobages isolants du système électrique ont disparu, à l’exception de la partie haute.

Les dépôts de fumée dans la station entraînent un nettoyage des lieux.

La station Jeanne-d’Arc ne rouvrira définitivement que le 11 novembre 2021.

L’origine de l’incendie ne semble pas électrique. On s’oriente plutôt vers un échauffement mécanique.

L’intervention des secours

L’intervention dans une infrastructure souterraine étendue et complexe, comme un réseau de transport où circulent des rames, est compliquée. Elle entraîne :

  • l’application de procédures au niveau de l’exploitant,
  • une doctrine d’engagement pour les secours ;
  • une transmission d’information entre les deux ;
  • la possibilité pour les sapeurs-pompiers de « prendre la main » sur certains automatismes comme le désenfumage, en fonction de l’emplacement du feu et de l’effet produit ;
  • des exercices communs assurant la meilleure efficacité le jour où… Car un incendie en milieu clos souterrain en présence d’un nombreux public peut vite s’avérer catastrophique.

L’intervention se produit alors qu’une manifestation est en cours sur le boulevard, paralysant la circulation et par conséquent ralentissant les engins de secours. Pourtant, les manifestations n’avaient pas été autorisées ce jour-là par la préfecture dans l’hypercentre de la ville rose, en raison des débordements des mouvements anti-passe sanitaire des week-ends précédents.

Par sécurité toutefois, en raison des appels à manifester, Tisséo a placé un agent de sûreté (non Ssiap) à la station. Celui-ci sera le premier maillon de la chaîne, assurant la levée de doute à la demande du PCC, informant et s’assurant du mieux possible qu’il ne reste pas d’usager dans la station. Il sera intoxiqué.

1 min 30 après que l’exploitant a annoncé que la station était évacuée (plus personne n’est visible sur la vidéosurveillance), trois personnes sont soudain vues, remontant dans la salle des billets enfumée. Heureusement les grilles ne sont pas encore fermées…

La gestion des fumées

La gestion des fumée reste un des aspects majeurs d’un incendie en réseau de transport souterrain.

Ici, les quais sont séparés des tunnels par des baies vitrées coulissantes allant jusqu’au plafond. Mais ces baies n’étant pas étanches, on constate que les quelques rames passant encore après l’alerte sans s’arrêter entraînent des mouvements d’air liés au pistonnement. Ce reflux d’air peut entraîner un enfumage loin du sinistre.

Poste de commande et de contrôle de Tisséo, société exploitant le métro de Toulouse - Crédit : Sdis31
Le poste de commande et de contrôle (PCC) de Tisséo.
Crédit : Sdis31

On l’a constaté sur le réseau parisien où des rames de RER entraînaient la fumée de la station Nanterre-Préfecture alors en chantier jusqu’à la station Étoile, à près de 6 km ! On l’a constaté aussi lors du feu de la station Simplon, d’où la fumée parvenait à 1,6 km de là à Gare du Nord. Le phénomène est également observé pour les lignes en correspondance passant au-dessus de la ligne où sévit l’incendie.

Armoire incendie de station de métro à Toulouse - Crédit : René Dosne-Face au Risque
Armoire incendie de station à partir de laquelle les pompiers peuvent intervenir sur certains équipements comme la ventilation.
Crédit : René Dosne/Face au Risque

À Toulouse, dans chaque station, une armoire est affectée aux sapeurs-pompiers. Elle leur permet, en fonction des effets observés sur les fumées par la ventilation mécanique, d’agir, après concertation avec le PCC, sur le soufflage, l’extraction ou l’arrêt du système, la centrale de détection incendie ou encore d’effectuer une coupure d’urgence du réseau électrique. Plans et résumés des procédures sont disponibles dans cette armoire.

Neuf minutes après l’alarme, la station est totalement enfumée. La mise en route du désenfumage s’effectue 3 minutes après le déclenchement du détecteur de fumée. Le désenfumage a donc été mis en place par le PCC à 16 h 34 puis il a été repris manuellement par les pompiers au niveau du coffret pompier sur place à 17 h 40.

En raison du manque d’efficacité du désenfumage de la station, la salle des billets, dernier niveau avant l’extérieur et où débouche l’escalier mécanique, est placée en mode « extraction », purgeant la station.

Des agents de Tisséo patrouillent en permanence en véhicules le long du réseau, se portant sur les lieux d’incidents dans les meilleurs délais.

L’alarme d’évacuation d’une station est temporisée à douze minutes après la détection automatique : dix minutes pour l’arrivée de l’agent Tisséo sur les lieux et deux pour la levée de doute.

Des axes de progression

Aucun des usagers n’a utilisé de déclencheur manuel, ou est entré en contact par les moyens de communication de la station avec le PCC. Ont-ils connaissance de ces systèmes ? Ceux-ci sont-ils bien indiqués ?

Cette intervention, rare, a permis d’identifier de nombreux points à améliorer, tant au niveau de l’exploitant que des sapeurs-pompiers. Un certain nombre de nouvelles procédures ont été appliquées lors du court-circuit dans un tunnel du métro, 9 mois plus tard.

  • L’incendie le plus meurtrier du métro parisien est survenu à la station « Couronnes » en 1903, occasionnant la mort de 84 personnes et de nombreux intoxiqués. Les wagons étaient alors en bois…
  • Le 18 novembre 1987, un incendie éclate sur un escalier mécanique en bois reliant les quais à la salle des guichets de la station King’s Cross à Londres. Accéléré par les matériaux combustibles et la pente, c’est un véritable déferlement de feu qui envahit la salle des guichets. 31 morts, 19 blessés graves et 80 plus légèrement atteints sont dénombrés.
  • Le 7 août 2005, un incendie éclate sur une rame arrêtée à la station Simplon à Paris. Le feu se propage à la rame stoppant sur la voie inverse pour y déverser ses voyageurs selon la procédure en vigueur. Les rames sont montées sur pneus et le dégagement de fumée s’étalant dans le tunnel est important. Il sera aggravé par la déclivité du tunnel, la circulation des rames sur une partie de la ligne occasionnant une aspiration des fumées par pistonnement, et sur la ligne la plus proche en correspondance. Heureusement l’incendie survient en milieu d’après-midi et seuls 13 voyageurs sont légèrement intoxiqués.

Dans tous ces sinistres, la survenue du feu dans un milieu souterrain et les importants volumes de fumée ne pouvant être contrôlés, expliquent les lourds bilans.


Article extrait du n° 586 de Face au Risque : « La réglementation incendie en reconstruction » (octobre 2022).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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