Ukraine : organiser le retour des salariés expatriés
Spécialiste mondial de la gestion des risques en santé et sécurité, International SOS assiste ses clients en Ukraine et en Russie. Xavier Carn, vice-président sûreté et sécurité du groupe nous explique les coulisses de cette gestion de crise inédite.
Quels sont le fonctionnement et les missions d’International SOS ?
Xavier Carn. Créé en 1985 par deux Français, International SOS propose des prestations de conseil et de prévention médicale et sécurité, d’accès à des moyens d’intervention en cas d’urgence aux entreprises ayant une activité à l’étranger.
Plus de 11 000 salariés, spécialistes médicaux, sûreté et logistique opèrent depuis 27 centres d’assistance qui fonctionnent 24/7 partout dans le monde. Nous travaillons également avec un réseau de 90 000 prestataires dans le monde pour assurer un accompagnement concret sur le terrain.
Nous accompagnons environ 80 % des entreprises du CAC 40 sur des prestations de conseil ou d’assistance. On travaille aussi pour des PME, des ONG voire des structures gouvernementales.
Comment avez-vous géré le début du conflit en Ukraine ?
X. C. Dès fin janvier, nous avons renforcé nos capacités d’analyse sur cette situation qu’on sentait devenir beaucoup plus tendue et compliquée et mis en garde nos membres. Nous avons également envoyé une équipe de gestion de crise sur le terrain pour parer à toute éventualité, reconnaître des cheminements pour des évacuations, des points de rassemblement. Et s’assurer que nos prestataires avaient des capacités solides et que, sur le plan médical, on pourrait avoir une continuité de soins pour nos membres si la situation s’aggravait.
« A certains moments, on passait la frontière entre l’Ukraine et la Pologne en 2 heures, à d’autres il fallait 20 heures ».
Les choses s’accélérant, dès le 12 février, on a recommandé aux entreprises présentes sur le territoire ukrainien d’évacuer leurs collaborateurs. Beaucoup l’ont fait. On a continué à maintenir une présence avec des personnels d’International SOS jusqu’au 24 février. Ils se sont ensuite retirés sur les pays frontaliers, notamment la Pologne. De ces points d’appui, les équipes ont pu déterminer si les points de passage aux frontières étaient praticables, quelles étaient les restrictions apportées et organiser la logistique pour accueillir des familles, trouver des hôtels, des endroits pour se nourrir… A certains moments par exemple, on passait la frontière entre l’Ukraine et la Pologne en 2 heures, à d’autres il fallait 20 heures.
Nous avons eu jusqu’à 600 entreprises présentes dans la région. Aujourd’hui, l’Ukraine et la région représentent 1 700 cas ouverts. On continue à faire deux à quatre missions d’évacuation par la route par jour. Il s’agit principalement de faire évacuer des collaborateurs ukrainiens.
Comment faites-vous pour avoir des informations fiables ?
X. C. C’est un vrai sujet, l’information est au cœur de notre travail. On croise différents types de sources : des agrégateurs de réseaux sociaux avec des analystes derrière, les informations de terrain remontées par nos prestataires. On fait beaucoup de travail d’anticipation.
L’une des fonctions de nos analystes est de scénariser en permanence les possibles, les événements qui peuvent amener une stagnation, une amélioration ou une dégradation de la situation. Il faut des analystes spécialisés dans la géopolitique de la région. Les scénarios sont réévalués tous les jours pour savoir si on a atteint tels déclencheurs.
Situation en Ukraine au 31 mars 2022
(Crédit Ministère des Armées)
Comment évolue la situation ?
X. C. Très peu d’expatriés restent en Ukraine. Pour les employés locaux, dans la plupart des cas, les entreprises ont donné le choix. On a beaucoup de demandes d’informations sur la Russie. Nos entreprises membres se demandent comment la situation va évoluer, ce qu’elles doivent faire par rapport aux effets collatéraux du régime de sanctions contre la Russie…
On aide aussi les entreprises à planifier ce qui peut se passer de positif ou négatif, avec des matrices d’escalade. Je suis en Moldavie, en Roumanie ou en Pologne, qu’est-ce qui pourrait m’inciter à changer ma posture sécuritaire vis-à-vis de mes collaborateurs ?
« Aujourd’hui ce qu’on fait pour nos clients, c’est au profit d’employés locaux ».
On est également en prise direct avec les cellules de crises. Souvent, avoir quelqu’un qui connaît bien le terrain, et qui peut donner des éclairages sur ce qu’on peut faire ou non, aider pour trouver la bonne manière de faire passer les bons messages aux salariés, va énormément aider les entreprises. Enfin, on est aussi beaucoup sollicités sur l’organisation de soutien psychologique pour les personnes déplacées ou restées sur place.
Qu’est-ce qui fait la particularité de cette crise ?
X. C. C’est une situation absolument inédite. D’abord, c’est très près de chez nous. Deuxièmement, on a assisté à l’évacuation, plutôt en bon ordre, des expatriés, et puis on a vu le devoir de protection étendu à l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise.
On l’avait entrevu au moment du Covid, mais dans cette ampleur-là, c’est nouveau pour les entreprises. C’est positif. Aujourd’hui ce qu’on fait pour nos clients, c’est au profit d’employés locaux.
Article extrait du n° 581 de Face au Risque : « Notre-Dame sous les deux de la rampe » (avril 2022).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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