Sûreté des chantiers : l’exemple du Grand Paris Express

15 novembre 20219 min

Le Grand Paris Express est le nouveau métro qui doit relier les lieux de vie en banlieue, sans passer par Paris. Piloté par la Société du Grand Paris, le projet consiste à réaliser environ 200 km de lignes nouvelles et 68 nouvelles gares. Ce qui représente des centaines de chantiers qu’il faut sécuriser. Le point avec Claire Sabatier, chargée de mission sécurité et sûreté des chantiers à la Société du Grand Paris.

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Les travaux du Grand Paris Express ont débuté en 2016 pour une livraison à horizon 2030. Pouvez-vous nous présenter ce projet hors norme ?

Claire Sabatier. Le Grand Paris Express, ce sont six nouvelles lignes de métro automatique qui vont contourner Paris, auxquelles s’ajoute le prolongement de la ligne 14. Les premiers travaux ont démarré en 2016 et aujourd’hui, seules deux lignes ne sont pas encore en chantier et sont toujours en phase de travaux préparatoires. La plupart des chantiers sont en phase de travaux de génie civil. Sur la ligne 15 Sud, l’aménagement des tunnels et des gares a commencé (travaux systèmes et tout corps d’état).

Nous comptons actuellement environ 130 chantiers en activité. Au plus fort du projet, il y en aura environ 200 en simultanée. Soit un chantier tous les 800 m, ce qui correspondra aux accès secours et ventilation lorsque le réseau sera en phase d’exploitation. C’est un projet conséquent. La surface totale de nos emprises chantiers représente une fois et demie la surface de Paris. Et tout est réalisé sous maîtrise d’ouvrage Société du Grand Paris (SGP). Nous avons aussi un nombre important d’interfaces, que ce soit avec des réseaux existants ou d’autres chantiers sous maîtrise d’ouvrage tiers type SNCF ou RATP. C’est à prendre en compte dans le contexte. Nos chantiers sont situés en zone urbaine dense mais aussi en zone rurale. On a donc des sujets différents en termes de sûreté.

Quels sont les principaux risques identifiés en ce qui concerne la sûreté ?

C. S. Les principales menaces sur les chantiers sont les intrusions (ou les tentatives) à des fins de vol de matériaux, outils ou engins, ainsi que de dégradations volontaires. Concernant les vols, assez fréquents, on dénombre des vols d’opportunité (le portail est resté grand ouvert par exemple) ou des vols en bande organisée. Il s’agit principalement, au stade où nous en sommes, de matériels électroportatifs (appareils de mesure, de topographie faciles à transporter), souvent avec effraction. Ils ont lieu par phase, soit parce qu’il y a eu une rupture dans la chaîne de sûreté de l’entreprise, soit parce que des bandes s’organisent.

Les engins de chantier en phase de génie civil ne sont pas faciles à voler mais ils peuvent être brûlés de manière volontaire. Une pelleteuse a par exemple été incendiée sur un chantier pour manifester un mécontentement. Des dégradations peuvent également être faites pour tester le délai de réactivité, en prévision d’un acte ultérieur.

Claire Sabatier, chargée de mission sécurité et sûreté des chantiers à la Société du Grand Paris. Photo Claire-Lise Havet/Société du Grand Paris

Certaines phases du chantier présentent-elles plus de risques ?

C. S. Les phases d’aménagement (tous corps d’état) vont peut-être être plus sensibles, car c’est là qu’il y a le plus de petits matériels et matériaux faciles à transporter et un nombre plus important de personnels sur chantier, ce qui peut rendre plus difficile le contrôle des accès. Nous faisons des rappels régulièrement à nos entreprises gestionnaires de site sur ces sujets.

Le risque d’agression est par ailleurs à prendre en compte dans certaines zones urbaines. Certains chantiers peuvent s’inscrire dans un territoire soumis à un régime de petite délinquance que l’on vient déranger. Nous n’avons pas eu de remontées d’agressions physiques mais plutôt de menaces. Un dialogue s’est instauré très tôt dans ces quartiers sensibles avec les riverains, les services de la ville et les forces de police. Tout un travail de pédagogie a été fait et l’est encore pour éviter les débordements ou escalade de la violence injustifiés.

Tous les chantiers du Grand Paris Express sont considérés comme sensibles par leur valeur, l’image qu’ils véhiculent et les enjeux qu’ils portent. Mais ils ne nécessitent pas nécessairement les mêmes dispositifs de sûreté. C’est pourquoi il est primordial qu’un lien avec les services de police ou de gendarmerie soit établi le plus tôt possible, afin de recueillir les informations contextuelles et les conseils qui permettront de dimensionner correctement les mesures à mettre en place.

La Société du Grand Paris a signé en ce sens, en 2017, un protocole avec la préfecture de Police. Que permet-il ?

C. S. Il s’agit d’un partenariat pour lutter plus efficacement contre les actes délictueux auxquels les chantiers peuvent être exposés. En pratique, les entreprises gestionnaires de site prennent un rendez-vous avec un référent sûreté local police ou gendarmerie pour échanger sur les dispositions prises pour la sécurisation de leur chantier. Le référent fait un rapide diagnostic du site, selon sa vulnérabilité et la sensibilité du quartier dans lequel il s’inscrit. Il évalue les mesures envisagées et préconise éventuellement des mesures complémentaires. Cet état des lieux est formalisé dans une fiche-navette qui circule entre la SGP, le gestionnaire de site et la préfecture de police. Charge au gestionnaire de site de choisir ou non de suivre ces préconisations puisque c’est lui qui gère la sûreté de son chantier. La SGP en a fait une obligation de résultat.

“Les échanges avec les acteurs locaux sont primordiaux. Ils connaissent les territoires dans lesquels s’inscrivent les chantiers.”

Un échange permanent s’instaure entre les gestionnaires de site et les forces de police ou gendarmerie locales puisqu’ils ont un contact privilégié identifié qu’ils peuvent joindre en cas de question de fond. Cela permet aussi de faire entrer les chantiers concernés dans le maillage des patrouilles et peut aussi faciliter les procédures en cas de dépôt de plainte. Cela a par exemple permis d’identifier un même mode opératoire sur de multiples vols ou tentatives d’effraction sur plusieurs de nos chantiers, facilitant alors les suites de l’enquête.

Les échanges et la concertation, le partenariat avec les acteurs locaux sont primordiaux. Ils connaissent les territoires dans lesquels s’inscrivent les chantiers. C’est la colonne vertébrale de ce qu’on a mis en place. Plus les acteurs se connaissent, mieux ce sera.

De notre côté, la SGP se réunit annuellement avec la préfecture de police dans le cadre de ce protocole, d’une part pour faire le suivi de l’avancement des chantiers et d’autre part pour effectuer le bilan sur les événements qui se sont produits au cours de l’année écoulée. Un enchaînement de vols peut par exemple mener à un renforcement des patrouilles sur la zone concernée.

Outre ce partenariat, quel est votre rôle dans la gestion de la sûreté des chantiers ?

Chantier du Grand Paris Express. Terrassement de la gare Clichy - Montfermeil. Photo Olivier Brunet/Société du Grand Paris

C. S. Si les entreprises gestionnaires de site sont responsables de la sûreté de leur chantier, nous sommes tout de même impliqués sur ces questions. Nous demandons et recommandons plusieurs mesures et dispositifs techniques, listés dans notre document « Charte et référentiels sécurité des chantiers », annexé au cahier des clauses administratives particulières et donc contractuellement applicable.

Nous demandons ainsi que les emprises soient closes en permanence, en rappelant que les clôtures sont considérées infranchissables à partir de 2,5 m de haut. Nous exigeons un contrôle des accès strict pour des questions de sécurité et de sûreté. Il est le plus souvent électronique, avec badges et hachoirs. Nous encourageons fortement les entreprises à avoir recours au gardiennage, à la vidéoprotection et à la détection anti-intrusion. Ce qui est le cas le plus souvent, mais ce n’est pas systématique.

Nous insistons également sur l’importance qu’un éclairage spécifique associé à un allumage par détection de présence soit installé au niveau de chaque accès ainsi qu’aux endroits où seraient identifiées des vulnérabilités.

Pour ce qui est des matériels et matériaux sensibles ou onéreux (engins de chantier, câbles…), nous recommandons à nos gestionnaires de sites de :

  • sensibiliser les personnes et entreprises intervenantes aux vols sur les chantiers ;
  • regrouper ces matériaux dans une enceinte spécifique close, protégée par un dispositif de détection d’intrusion ;
  • marquer électroniquement les matériels de valeur ;
  • conserver hors du chantier les données qui concernent ces matériels ;
  • organiser en conséquence leurs livraisons pour se prémunir des vols.

Êtes-vous régulièrement en lien avec les gestionnaires de site ?

C. S. Avant chaque prise de possession d’un site par une entreprise, nous animons une réunion de lancement sécurité/ sûreté, durant laquelle nous abordons ces questions pour notamment présenter le protocole d’accord avec la préfecture de police et déclencher sa mise en œuvre. Nous rappelons également notre doctrine présentée dans la Charte et demandons à nos entreprises de déposer plainte systématiquement en cas d’actes délictueux commis sur un chantier, pour que ce soit suivi et tracé sur l’ensemble de nos chantiers. Nous demandons à nos entreprises de nous informer des dépôts de plainte éventuels et de tout événement survenu sur les chantiers.

Si nous remarquons une hausse des événements sûreté sur un chantier, nous pouvons rappeler au gestionnaire son obligation de résultat. Ou si nous sommes au courant d’une manifestation près d’un chantier, nous demandons de rehausser leur niveau de vigilance sur la période concernée.

Dans le cadre du protocole avec la préfecture et les fiches-navettes, nous sommes en lien régulièrement avec les entreprises sur ces questions de sûreté. En cas de sujet spécifique, le référent ou responsable sûreté du gestionnaire de site est à la manœuvre, en lien avec nous, les forces de l’ordre et les services de la commune concernée.


Article extrait du n° 576 de Face au Risque : « Sûreté des chantiers » (octobre 2021).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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