Risque industriel. Incident Multisol, où en est-on 20 jours après ?

20 janvier 20218 min

Dans la nuit du 31 décembre 2020 au 1er janvier 2021, de fortes odeurs émanent dans la métropole rouennaise. Si la thèse des feux de cheminée a dans un premier temps été avancée, il est en réalité question d’un incident industriel survenu au sein du site Multisol de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime).

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Odeurs de pneus brûlés et feux de cheminée

« 86 signalements pour des odeurs de pneus brûlés ressenties dans tout le centre de la métropole rouennaise»… Ce sont les premières alertes qui sont lancées auprès d’Atmo Normandie (association agréée de surveillance de la qualité de l’air) le 1er janvier 2021 rappelle la ville de Saint-Étienne-du-Rouvray sur son site internet.

La piste de l’incident industriel n’est cependant pas encore de mise. Ce même jour, il est en effet question d’un « épisode de pollution aux particules fines dû aux températures basses, sans vent et à l’utilisation plus intensive des feux de cheminée en ces fêtes de fin d’année », avance l’association, relayée par la ville. La préfecture ira dans le même sens.

Deux inspections effectuées chez Multisol

La Direction régionale de l’environnement (Dreal) est envoyée une première fois à l’usine Multisol de Sotteville-lès-Rouen le mercredi 6 janvier à la suite d’un « signalement anonyme ». Si rien n’est relevé dans un premier temps, un communiqué de la CGT le jour-même – dénonçant « un dysfonctionnement extrêmement grave » chez Multisol – sous-traitant de Lubrizol – entraînera une réaction de la préfecture.

À travers un communiqué le mercredi 6 janvier, la préfecture précise ainsi que :

  • « Aucun incendie de site industriel n’a été signalé au SDIS et à la préfecture la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2021, ni par des industriels, ni par des riverains sur ce territoire » ;
  • « Le 2 janvier matin, plusieurs investigations ont été menées par le Sdis à la demande du préfet, auprès de sites industriels afin de déterminer si l’un de ces sites était à l’origine des odeurs perçues. Ces investigations n’ont pas permis de déterminer une origine industrielle à ces odeurs » ;
  • « Par-delà ces éléments factuels et objectifs, la Dreal va effectuer les contrôles nécessaires dans l’entreprise signalée pour voir s’il y a eu un dommage qui n’aurait pas été déclaré aux autorités et si l’exploitant a respecté ses obligations ».

La défense de Multisol

Multisol se définit sur son site internet comme « une entreprise mondiale et un leader du marché dans la formulation, le mélange et la distribution d’additifs de haute valeur pour carburants et lubrifiants, huiles de base et produits chimiques spéciaux ».

Contacté par Actu76, le groupe assure le mercredi 6 janvier n’avoir aucun lien avec ces fortes odeurs. Aucun signalement n’avait d’ailleurs été fait par l’entreprise concernant un événement survenu entre le 31 décembre 2020 et le 1er janvier 2021.

Sous pression – entre la double inspection de la Dreal, le communiqué de la CGT et les fuites de certains salariés – Multisol change cependant de stratégie. Le vendredi 8 janvier, à travers un communiqué, le groupe reconnait enfin l’existence d’un incident survenu le 1er janvier 2021… Mais tend à le minimiser au maximum. Il est ainsi question d’un « incident opérationnel mineur ». Multisol continue d’ailleurs de minorer cet événement dans la suite de son communiqué :

« Certaines huiles de base lubrifiantes et certains polymères ont été surchauffés au dessus de leur température de fonctionnement habituelle. À aucun moment, le produit n’a atteint une température à laquelle il aurait pu s’enflammer, il n’y a pas eu d’incendie. (…) Il n’est pas certain que ces odeurs proviennent de l’usine (bien que la surchauffe de ces produits puisse émettre) une odeur désagréable, grasse et brûlée. (…) Nous confirmons toutefois qu’ils ne présentent pas de danger sur la santé. (…) Une enquête interne et une enquête de la Dreal sont menées pour savoir exactement ce qu’il s’est passé. »

Les témoignages clés des salariés

Il faut attendre le mardi 12 janvier pour connaître ce qui semble être le fin mot de cet incident, par le biais d’une enquête complète menée par Actu76. Le média récolte en effet les témoignages de plusieurs salariés de l’usine Multisol de Sotteville-lès-Rouen.

Selon eux, c’est bien de là que provenaient les « odeurs de pneus brûlés » ressenties dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier.

« Quand nous sommes arrivés le lundi (4 janvier), ça puait partout autour de l’usine. (…) On a eu des maux de tête, des nausées. Mais on ne nous a rien dit. Il y avait juste écrit sur un cahier de consignes qu’il ne fallait pas toucher à l’unité de fabrication qui avait surchauffé. On n’était au courant de rien », lance un premier témoin auprès d’Actu76. Celui-ci de conclure que « sur le thermomètre du mélangeur concerné, il était affiché encore 150°C le lundi matin… ».

Une « erreur humaine » à la base de l’incident chez Multisol

D’autres témoignages rassemblés au sein de cette enquête permettent d’aller plus loin dans les détails concernant l’origine de ces odeurs, faisant peu à peu de l’incident industriel la thèse prioritaire. Il devient alors question d’une erreur humaine.

« Nous avons tous fini à midi jeudi 31 décembre. Et malheureusement, il y a une équipe qui a oublié de couper la « recirculation » sur une unité de fabrication, qui permet de chauffer le produit », précise ainsi un autre témoin pour Actu76.

Il faudra attendre plusieurs heures pour que les conséquences de cette erreur humaine se fassent ressentir. Une alarme se déclenche « vers 3 heures du matin (le lundi 1er janvier) » en raison des fumées. Site enfumé, thermomètre atteignant les 251°C… au lieu des 120°C habituels. Le pire aurait alors pu arriver.

Prévenu par l’entreprise Securitas, « un responsable est arrivé tard (vers 8 heures du matin le 1er janvier), mais tout de même à temps pour éviter une catastrophe. Car l’unité de fabrication se trouve juste à côté de la chaufferie à gaz. S’il y avait eu une étincelle ou si l’on n’avait pas arrêté à temps, tout aurait explosé ! », explique une autre source à Actu76. Avant qu’un témoin ajoute : « on est passé à côté d’une grosse catastrophe industrielle, bien pire que Lubrizol ».

Et un dernier salarié de conclure anonymement : « on a dû tout nettoyer et tout cacher pour que les services de l’État ne voient rien. La direction n’a rien dit, a noyé le poisson ».

Arrêté préfectoral et enquête ouverte contre Multisol

La situation s’est décantée à la suite de cet article publié par Actu76. Dans un communiqué daté du mardi 12 janvier, le Préfet de la Seine-Maritime a en premier lieu fait un point sur cet incident.

Le dépassement de la température de fonctionnement habituelle a été confirmé. Le fait que cet événement n’ait pas « entraîné d’alarme directe, ni la mise en œuvre rapide d’action corrective de la part de l’exploitant permettant de maintenir des conditions normales d’exploitation » a été perçu comme « un manquement aux dispositions de l’arrêté préfectoral réglementant les activités de Multisol ».

La thèse avancée par Multisol selon laquelle « les produits incriminés (mélange d’huile et de polymères) » lors de cet incident ne sont pas classés comme « dangereux » par leur fiche de données de sécurité a en outre été confirmée.

Le fait que « l’exploitant n’a pas alerté les services de l’inspection des installations classées de cet événement, ni transmis le rapport d’incident prescrit à l’article R.512-69 du code de l’environnement » a également été souligné.

Le préfet a par ailleurs annoncé deux décisions :

  • Multisol a été mis en demeure par « un arrêté préfectoral du 11 janvier 2021 de respecter les prescriptions des textes susvisés (…) car il y a lieu de prévenir la survenue d’un nouvel incident en imposant, en urgence, des mesures compensatoires dans l’attente de la mise en œuvre des actions correctives permettant de lever ces écarts » ;
  • Suite à l’article d’Actu76 du 12 janvier, indiquant « que l’exploitant aurait volontairement omis de transmettre des informations aux services de l’inspection des installations classées», « le Préfet a saisi le 12 janvier le Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rouen. (…) Ces omissions, si elles étaient confirmées, sont susceptibles de relever de suites pénales au regard du code de l’environnement qui fait obligation à tout exploitant d’informer sans délai les services de l’État ».

Dans un tweet remontant au mercredi 13 janvier 2021, Charlotte Goujon – maire de Petit-Quevilly (Seine-Maritime) – apporte quelques précisions sur ces décisions du Préfet.

L’arrêté du 11 janvier concernant Multisol inclus :

  • « un rapport de l’incident sous 15 jours ;
  • des mesures organisationnelles ;
  • des mesures structurelles sous 1 mois (incluant notamment la mise en place d’un système de d’alerte automatique) ».

Une « mise à jour de l’étude de danger du site Multisol, qui devra inclure l’élaboration d’un plan de défense incendie » est également programmée.

Eitel Mabouong – Journaliste

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