Incendies et façades : état des lieux

1 avril 202012 min

La rénovation énergétique des logements, l’isolation thermique par l’extérieur, l’incendie de Grenfell et celui de plusieurs tours d’habitation françaises ont déclenché une réévaluation des risques liés aux feux de façade en France, débouchant sur une évolution de la réglementation.

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Trois jours après le drame de la tour Grenfell à Londres, le ministre de la Cohésion des territoires en charge du logement, Richard Ferrand, demande au CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) « de procéder à une évaluation rapide de la réglementation sécurité incendie en France ». Alors que le décompte macabre des victimes n’est pas encore achevé, le monde entier est sous le choc. Personne n’imagine encore qu’il s’agit du pire incendie survenu en Europe en temps de paix.

Les conclusions du CSTB

Au creux de son rapport post-Grenfell, le CSTB mentionne qu’il n’existe pas de définition réglementaire précise de ce qu’est une façade dans le code de construction et de l’habitation (CCH). Il est vrai que les textes les plus anciens datent des années 1970-1980. Une époque où les pratiques constructives concernant les immeubles de plusieurs étages privilégiaient la maçonnerie béton, avec parfois une isolation par l’intérieur. La paroi de béton isolée par l’intérieur à l’aide d’un isolant incombustible comme la laine de verre, derrière un écran thermique tel qu’une plaque de plâtre, c’était fantastique d’un point de vue du comportement au feu ! Car l’utilisation de ces matériaux éloignait bon nombre de risques orientés vers la façade, en favorisant le compartimentage intérieur tout en éloignant la propagation du feu par l’extérieur.

Le risque d’incendie de façade n’était finalement prégnant que dans le parc résidentiel des stations de montagne, où la technique traditionnelle du bardage bois a toujours été très présente.

La politique de rénovation énergétique des logements, initiée en France par la RT 2007, et la pratique de l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) sont venues rebattre les cartes. On est ainsi passé d’une quasi-absence d’isolant en façade en 1982 à des épaisseurs pouvant atteindre jusqu’à 38 cm, rappelle le CSTB. Le drame de Grenfell est venu pointer du doigt un certain nombre de défaillances possibles. Déclenchant une salutaire réévaluation des risques liés aux feux de façade en France.

Quelques retours d’expérience

Si la variété des façades n’avait pas été anticipée clairement dans la réglementation incendie jusqu’à la publication récente des arrêtés d’août 2019 (où l’on parle de systèmes de façade), un certain nombre de sinistres apparentés à des feux de façade sont tout de même répertoriés dans la littérature. En France, on peut citer des cas emblématiques (lire ci-dessous) : Avoriaz (2009), Dijon (2010), Roubaix (2012), Grigny (2017), Draguignan (2019). À l’étranger, plusieurs cas sont aussi recensés, notamment à Dubaï avec l’incendie de The Torch, gratte-ciel de 79 étages, le 21 février 2015 (photo ci-contre).

L’ancienneté du bâtiment n’est pas toujours directement en cause, mais bien plutôt la qualité combustible de l’enveloppe extérieure : une isolation réalisée avec des composants inflammables et/ou un revêtement combustible conduisent souvent à la propagation rapide du feu sur toute la façade.

Tour The Torch à Dubaï en feu, le 21 février 2015

Ce qui complique évidemment l’intervention des secours, notamment dans l’hypothèse d’un déploiement de la grande échelle. Le pire scénario est évidemment celui où le feu de façade se propage ensuite à l’intérieur d’un bâtiment de plus de 28 mètres, inaccessible aux échelles.

En France, où la tradition des gratte-ciel est moins développée qu’ailleurs, les incendies d’édifices très élevés ont statistiquement moins de risque de se produire. On recensait 447 IGH en 2015 sur le territoire (source DGSCGC), dont 217 situés sur le secteur de la BSPP. Les tours les plus hautes de l’Hexagone (ITGH) sont au nombre de deux : la tour First à la Défense (231 m) et la tour Montparnasse (210 m) à Paris. Le risque d’incendie de façade sur un IGH est d’autant plus faible que la réglementation relative aux IGH est très stricte, interdisant notamment les revêtements combustibles en façade.

En France, des cas emblématiques

14 novembre 2010 – 7 morts, 130 intoxiqués
Il est 1 h 30 du matin. Un feu de poubelles situées en pied d’immeuble se transmet à la façade de ce bâtiment de 9 étages abritant un foyer. Le renfoncement d’une partie du bâtiment crée un effet cheminée, et l’isolant en polystyrène sous enduit entretient le feu tout en dégageant une importante fumée toxique. Sous la violence des flammes, les fenêtres en PVC cèdent, laissant entrer des volutes mortelles pour les nombreux occupants.

14 mai 2012 – 1 mort
Un premier appel, à 14 h 42 prévient d’un feu au 1er étage sur l’immeuble Mermoz de 48 m de haut (4e famille) de 18 étages, datant de 1966 et renové. 12 minutes après, un autre appel signale un immeuble en feu. Le parement de la façade, en aluminium, a commencé à brûler. Sa constitution en panneaux sandwich de feuilles de métal rigidifiées par une âme en plastique entraîne la production de gouttes enflammées et de la fumée noire. Quatre appartements ont pris feu, les habitants de la façade sauvegardée sont confinés tandis que les autres sont évacués. Le feu en façade finira par s’éteindre de lui-même, faute de combustible.
Les suites. En septembre 2014, le gestionnaire prend l’initiative de retirer le revêtement incriminé dans l’incendie de la tour Mermoz sur les 2 immeubles identiques à proximité, pour un budget de 1,5 million d’euros. Après une phase de désamiantage, les travaux de réhabilitation de la tour débutent en janvier 2018. Au terme d’un chantier ayant coûté 5 millions d’euros, la mise en location de 109 appartements est lancé en février 2020.

21 août 2017 
En début d’après-midi, les secours sont appelés pour un feu d’appartement au 12e étage avec sortie de flammes. Le bâtiment de 14 étages fait partie de la 4e famille (entre 28 et 50 m de haut). Bientôt des flammes sortent des 12e, 13e et 14e étages, entraînant des écoulements d’isolant et des chutes de matières enflammées sur les balcons encombrés des étages inférieurs. Le feu se propage régulièrement par la façade. 7 appartements sont détruits, 5 autres le sont partiellement à cause des eaux d’extinction.

19 mars 2019
Un feu se déclare dans l’appartement de l’un des derniers étages de cet immeuble qui en comprend cinq (3e famille), construit en 2008. Tout va très vite sur la façade de ce bâtiment possédant une partie de bardage bois ventilé sur béton, agrémenté de larges balcons revêtus aussi de bois. Des débris enflammés tombent, si bien que l’intégralité de la façade de 40 mètres de large de l’immeuble devient bientôt la proie des flammes ! L’évacuation des occupants, dont certaines familles de militaires, se pratique en bon ordre. Au final, 21 des 42 appartements seront ravagés par les flammes.
Les suites. En 2020, un an après le drame, une expertise judiciaire est en cours pour déterminer l’origine du sinistre. Un temps menacé de destruction, l’immeuble datant de 2008 va pouvoir être réhabilité. Joint par téléphone, le gestionnaire du bâtiment nous a indiqué avoir vérifié les dispositifs de sécurité incendie des deux immeubles identiques de la résidence. Dans l’attente du retour de l’expertise, aucune autre mesure n’a été mise en place.

Les facteurs de risques génériques

Quels sont les risques d’incendie liés à la façade d’un immeuble ? Ils sont traditionnellement de trois ordres :

  • la propagation par rayonnement d’un bâtiment en feu à proximité (en 2001, l’incendie des tours jumelles s’est propagé à des immeubles voisins) ;
  • la transmission d’un feu d’origine extérieure vers le bâtiment (un feu de poubelle, comme ce fut le cas à Dijon en 2010) ;
  • la transmission du feu depuis l’intérieur de l’immeuble, d’un niveau à l’autre (c’est le cas de la tour Grenfell en 2017).

À ces trois grands facteurs de risques, on peut ajouter ceux liés à l’usage du bâtiment : la présence d’un grand nombre de personnes, le degré de vigilance et de mobilité des occupants (locaux à sommeil…), la non-connaissance des lieux par les occupants (ERP), la pluriactivité au sein du bâtiment, la présence d’objets ou de substances combustibles (notamment sur les balcons), les périodes de travaux et de réfection.

Réduire les risques

Des mesures organisationnelles permettent de diminuer ces risques.

Concernant le bâtiment en lui-même, un certain nombre de mesures techniques viennent limiter le risque de propagation du feu en façade. C’est tout d’abord l’isolement et l’indépendance du bâtiment. La réglementation IGH impose ainsi une distance de 8 mètres par rapport aux autres immeubles, ou une paroi coupe-feu 2 heures. L’indépendance du bâtiment sur l’une de ses façades facilite l’accessibilité des secours, surtout si elle donne sur une voie. Ensuite, un certain nombre de barrières techniques visent à empêcher la rupture du compartimentage et le risque de propagation du feu au travers du système de façade. L’examen de l’IT 249 et des guides de préconisation permet d’énumérer (lire aussi notre article « Ravalement de façade pour la réglementation incendie ») :

  • la règle du C + D pour les ouvertures ;
  • l’étanchéité au feu de la jonction nez de dalle – façade ;
  • le potentiel calorifique de l’isolation (intérieure ou extérieure), si elle est combustible ;
  • la pose d’un écran thermique en cas de combustibilité du revêtement extérieur ;
  • le traitement de la lame d’air par des barrières de recoupement, en cas de bardage extérieur ;
  • la rupture de continuité de l’isolant (système ETICS-PSE) ;
  • le traitement des embrasures de fenêtres ;
  • le risque de chute de débris ou de gouttes enflammées provenant du revêtement ;
  • la protection des cages d’escalier et des dégagements par des matériaux incombustibles et des parois coupe-feu.
Règle du C+D

Un Grenfell en France ?

La question est lancinante. Elle est légitime, car les « trous » de la réglementation doublée de pratiques professionnelles approximatives pourraient avoir débouché sur des bâtiments à l’enveloppe vulnérable. Le rapport du CSTB évaluait ainsi entre 10 000 et 15 000 le nombre d’immeubles de 4e famille en France. Combien existe-t-il d’immeubles de type Grenfell, aux normes de sécurité trop anciennes (un seul escalier central sur Grenfell) ayant fait l’objet d’une rénovation de façade mettant en jeu des matériaux combustibles, avec possiblement une lame d’air entre le revêtement et l’isolant ? D’autant que la rénovation énergétique des bâtiments anciens avait été fortement incitée par le décret n° 2016-711 du 30 mai 2016 (application en 2017), en la rendant obligatoire en cas de gros travaux.

Musée du Quai Branly à Paris - Crédit: Jean-Pierre Dalbéra/Flickr

L’audit commandé en 2017 par Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, est toujours en cours. Pour mémoire en Angleterre, 600 tours avaient été diagnostiquées du même type que Grenfell. Un budget de 450 millions de livres avait été débloqué par le gouvernement de Theresa May pour démonter les revêtements dangereux sur certains de ces édifices. Les habitants des autres « pièges potentiels » étant contraint de vivre dans une ambiance anxiogène et un logement invendable.

En France, un élément rassurant provient des différentes filières, construction et protection passive incendie, qui œuvrent depuis au moins dix ans vers l’amélioration du système de façade au regard du risque de propagation du feu. Le ministère de l’Intérieur avait d’ailleurs indiqué en 2012, via le Cecmi (Comité d’étude et de classification des matériaux et éléments

de construction – dissous en 2014) qu’il souhaitait que toutes les solutions de façade présentes dans l’IT 249 soient validées par un essai de comportement au feu. Reste à s’assurer de la mise en œuvre correcte de ces dispositions techniques, à la fois pointues et délicates, sur les chantiers. Et de leur contrôle.

Nouveaux modes constructifs, nouveaux risques

L’enjeu environnemental et l’ère de la rénovation thermique ont induit de nouveaux risques. En particulier, la campagne d’isolation thermique par l’extérieur et l’augmentation de la charge potentiellement combustible ont révélé de nouveaux points critiques concernant les incendies de façade. Les diverses filières impliquées dans le bâtiment en ont pris conscience et la réglementation est venue encadrer la pratique. La transformation qui touche tous les pans de la société est cependant en marche, y compris celui du secteur de la construction. Avec l’afflux d’habitants et la tension immobilière dans les grands centres urbains, les constructions prennent de la hauteur et les reconversions d’immeubles de bureaux deviennent nécessaires. La contrainte climatique implique un stockage du carbone et des constructions non-polluantes. De nouvelles filières d’avenir apparaissent potentiellement en grande hauteur, telles que celles de la construction bois ou des isolants bio-sourcés. Les nouvelles technologies s’invitent sur les toitures ou en façade, telles que les panneaux photovoltaïques. La végétalisation des murs demande à avoir droit de cité en façade, nouvelle carte à jouer en faveur de la biodiversité et du bio-climatisme. De nouveaux matériaux et des techniques inédites de construction autorisent toutes les audaces aux architectes, qui rivalisent de formes dynamiques et d’enveloppes performantes. Bientôt des façades intelligentes ? Sûrement. Il faudra seulement ne pas oublier d’intégrer la sécurité dans ces nouvelles manières de concevoir et de construire. Sans quoi le système de façade y perdrait l’une de ses fondations essentielles.


Article extrait du n° 561 de Face au Risque : « Après-Grenfell : plein feu sur les façades » (avril 2020).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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