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La place du numérique dans la formation
Le monde de la formation professionnelle n’échappe pas au numérique. De nouveaux outils entraînent de nouvelles manières d’apprendre. Plus souples, plus personnalisables et mieux suivies. Le point avec Karim Hilaly, directeur de la formation chez CNPP.
Face au Risque. Quels constats faites-vous sur le numérique dans la formation professionnelle ?
Karim Hilaly. Aujourd’hui, la formation numérique est incontournable. Les entreprises à avoir connecté 80 à 100 % de leurs salariés à une plateforme e-learning étaient 27 % seulement en 2016, 41 % en 2018 et devraient être 59 % en 2020, ce qui représente une progression de 50 % tous les 2 ans. Par ailleurs, la proportion de formations digitales au sein des catalogues de formation interne proposés par les entreprises à leurs collaborateurs est passée en 3 ans de 38 % à 56 %… C’est une tendance lourde, qui bouleverse structurellement le secteur de la formation. La formation présentielle reste indispensable sur des domaines d’approfondissement, de mise en pratique assez poussée ou pour des formations très opérationnelles.
Mais elle ne suffit pas car il y a un vrai besoin et une vraie attente des entreprises et des individus pour des dispositifs de formation souples. C’est ce qu’offre le numérique, à travers des formations que l’on peut suivre à son rythme, à l’heure que l’on souhaite, à distance…
Le numérique dans la formation s’impose aussi de plus en plus par la loi et c’est une excellente chose. La réforme de 2018 pousse à une individualisation des parcours de formation et à un meilleur accompagnement à distance de l’apprenant. C’est un objectif que cherchent à atteindre aussi bien les organismes financeurs que les entreprises depuis quelques années pour financer au plus juste le besoin de montée en compétences et aussi une attente qui émane des participants en formation. En allant à son rythme, on n’est pas soumis à un planning, ni à l’hétérogénéité d’un groupe.
En quoi la réforme donne-t-elle plus de place au numérique ?
K.H. La réforme redéfinit la notion d’action de formation et instaure, de manière claire, qu’elle peut se dérouler en tout ou partie à distance, sous réserve d’un accompagnement réel de l’apprenant désormais défini par décret (avec une assistance technique et pédagogique, une information claire sur le travail attendu et des évaluations régulières). L’action de formation peut aussi être réalisée en situation de travail, c’est ce qu’on appelle l’afest.
L’idée est d’accompagner les participants sans les sortir de leur environnement de travail et de les former directement sur leur poste. Cette action doit être tutorée et nécessite également des outils digitaux spécifiques. L’afest va être amenée à se développer dans les prochaines années, poussée par les départements formation au sein des entreprises qui connaissent bien les métiers de leurs collaborateurs.
C’est par contre un sujet, voire une difficulté, pour les organismes de formation : comment se positionner par rapport à ça, quelle valeur ajoutée apporter quand on ne connaît pas précisément le travail au quotidien à chaque poste de l’entreprise ? L’accompagnement se fera plus au niveau du tutorat : quelle structure, quelle méthodologie d’accompagnement, quels outils pédagogiques apporter à des équipes d’encadrants de formation interne.
La réforme met aussi en évidence la faiblesse du financement de la formation via le CPF (compte personnel de formation). Avec 500 € par an, on ne va pas bien loin. Il faut donc une formation qualifiante qui permette d’en « avoir pour son argent », la plus qualitative, la plus courte et la plus individualisée possible. Répondre à ces objectifs avec une offre de formation présentielle en groupe et au format figé, c’est difficile. En revanche, avec le digital, en proposant différents niveaux de contenus, c’est possible.
Quels sont les différents dispositifs de formations numériques ?
K.H. Il y a deux grands types de formation, en présentiel et à distance. Et le distanciel se divise lui-même en deux catégories : synchrone, autrement dit en interaction avec un animateur ou formateur, et asynchrone – je mets ma formation à disposition et chacun y va à son rythme. Dans le premier cas, on retrouve la classe virtuelle, d’un format idéal d’1 heure à 1 heure 30. On peut y intégrer des quiz pour favoriser l’interaction ou évaluer les acquis, savoir qui a participé, et remettre une attestation à l’issue…
Dans le second cas, et c’est le plus répandu en formation à distance, on a le e-learning, avec des parcours qui peuvent être composés de plusieurs modules, de 20 à 40 minutes chacun généralement, qui mêlent du notionnel, de l’illustration, de la mise en pratique et de l’évaluation. En tant que manager, je peux savoir combien de temps chaque collaborateur de mon équipe a passé dessus, quels résultats il a obtenus et identifier précisément ce qu’il a assimilé ou n’a pas compris. Le e-learning peut être souple et laisser le choix aux participants de revenir en arrière. On peut aussi, dans le cadre d’une formation réglementaire, mettre en place un module avec consultation obligatoire dans lequel la navigation sera imposée.
Mais le présentiel est également concerné par le digital. Un tableau blanc interactif peut permettre de rendre plus collaboratives des sessions en salle. On peut faire travailler des petits groupes de 2 ou 3 personnes, qui vont ensuite directement partager ou interagir sur le tableau depuis leur smartphone, en répondant à des quiz, en priorisant les notions abordées… Des applications spécialisées, comme Klaxoon ou Beekast, proposent par exemple des activités interactives pour animer un groupe. C’est stimulant.
La formation digitale
Le digital, c’est aussi des vidéos, des supports pédagogiques dématérialisés, des quiz en ligne, des infographies, des évaluations en ligne, du chat, du forum. À distance ou en présentiel. Et bien sûr la réalité virtuelle ou augmentée, très importante dans le cadre de formations en sécurité opérationnelle, notamment. Elles permettent de simuler certaines situations sans pour autant détruire du matériel ou risquer sa vie. La conduite à tenir en cas d’incendie, de confinement, de travail en hauteur…
Les formations aux métiers de la prévention des risques se prêtent d’ailleurs particulièrement à ces différentes modalités pédagogiques, qu’il s’agisse de formations très opérationnelles auprès d’équipes terrain, en situation de travail ou en réalité virtuelle ou augmentée, de formations plus managériales en maîtrise des risques, en e-learning, classe virtuelle et présentiel collaboratif dans le cadre de parcours diplômants multimodaux, ou d’actions plus massives, très ponctuelles et courtes, sur un sujet réglementaire ou obligatoire, auprès de tous les collaborateurs de l’entreprise.
Quels sont les avantages du numérique pour la formation professionnelle ?
K.H. Le numérique permet de passer de parcours exclusivement présentiels et donc rigides en temps et peu personnalisables, à des parcours multimodaux ou mixtes (blended learning), c’est-à-dire combinant plusieurs modalités de formation (des modules e-learning, des classes virtuelles, du présentiel…) et donc nécessairement plus souples, plus aisément personnalisables et permettant un apprentissage continu. Selon son niveau, un participant ne va pas avoir besoin de suivre 100 % d’une formation… En présentiel, il n’est pas concevable de le dispenser d’une séquence au milieu d’une journée de formation. Avec un parcours de formation numérique, tout devient possible : exonérer un apprenant d’une partie du parcours, permettre à un autre de revoir à son rythme certaines séquences, alors qu’il n’aurait peut-être pas osé redemander une explication au formateur devant tout le groupe.
On peut aussi, dans le cadre de cursus de formation longs, plutôt que de mobiliser les gens sur du présentiel qui n’est pas toujours indispensable, imaginer débuter le parcours par une classe virtuelle pour établir un contact humain, puis proposer des modules e-learning de prérequis avec lesquels chaque participant peut progresser à son rythme. On peut également, à intervalles réguliers, programmer d’autres classes virtuelles pour permettre aux apprenants d’interagir avec un animateur et consolider leurs acquis distanciels, et réserver les sessions de regroupement à du présentiel plus enrichi, avec des séquences pratiques de travail en petits groupes, en mode collaboratif.
Enfin, sur les parcours davantage axés sur les techniques opérationnelles, il est bien sûr nécessaire de préserver une partie pratique « terrain », qui peut cependant être préparée en amont avec, pourquoi pas, une partie en réalité augmentée ou virtuelle.
« L’aspect limitation des coûts et économies d’échelle n’est bien sûr pas neutre. Déplacer le curseur formation vers plus de distanciel permet de réduire nettement les coûts de déplacements, d’hébergement et de restauration. »
Le e-learning permet en plus d’atteindre des publics beaucoup plus larges et de sensibiliser davantage de monde à la prévention des risques, avec des contenus « sur étagère » fondamentaux, courts, théoriques ou réglementaires. Si on prend l’exemple de la cybersécurité, là où une formation poussée peut intéresser quelques personnes très ciblées au sein d’une grande entreprise de plusieurs milliers de collaborateurs, une action de sensibilisation plus générale sur les bons réflexes à acquérir va concerner tout le monde. Comment se comporter par rapport aux pièces jointes, penser à fermer sa session, être vigilant à la protection de son mot de passe… Là, le e-learning a toute sa valeur ajoutée en permettant une action de formation concise, ponctuelle et massive.
Et qu’apporte le numérique aux entreprises qui souhaitent former leurs équipes ?
K.H. L’aspect limitation des coûts et économies d’échelle n’est bien sûr pas neutre. Déplacer le curseur formation vers plus de distanciel permet de réduire nettement les coûts de déplacements, d’hébergement et de restauration. S’y ajoutent les coûts indirects (absences dans l’équipe, soucis organisationnels, remplacements à prévoir…). Avec un fort degré de personnalisation et d’individualisation, le numérique est, en ce sens, à la fois un avantage pour le collaborateur et un poste d’économie pour l’entreprise.
Par ailleurs, la plateforme e-learning, ou LMS (Learning management system), qui est l’environnement qui va accueillir les différents modules et sur lequel vont s’inscrire les apprenants, génère des résultats qui intéressent l’entreprise. Le DRH ou le directeur formation peut les suivre en temps réel et bénéficie d’un reporting détaillé à la fin, avec les compétences acquises ou restant à acquérir. Le numérique permet une cartographie précise des compétences et des besoins de formation complémentaires.
Quels sont les écueils à éviter ?
K.H. Le principal avantage du e-learning, c’est sa souplesse : on est autonome, on se forme où on veut, quand on veut, comme on veut. Le risque, c’est que cela se traduise par « on n’y pense jamais ». C’est une difficulté classique que rencontrent nombre d’entreprises et qu’il faut absolument anticiper. La simple mise à disposition d’un contenu ne suffit pas. Il faut mettre en place des dispositifs pour inciter, relancer, stimuler les apprenants… C’est la valeur ajoutée attendue d’un organisme de formation : apporter son expertise pédagogique et pratique bien entendu, mais aussi et surtout, tout un savoir-faire en accompagnement organisationnel et logistique, une expertise réelle en ingénierie pédagogique numérique.
Concrètement, du teaser de lancement de l’action pédagogique, aux différents emailing de communication sur le contenu et les modalités du parcours, en passant par l’envoi des identifiants, d’invitation aux classes virtuelles, de mise à disposition progressive des différentes briques e-learning ou de quiz, de relance, de communication des résultats, de félicitations… c’est tout un accompagnement, piloté par une équipe spécialisée en « digital learning », qui va se mettre en place pour stimuler l’apprenant. C’est indispensable au succès de l’action.
Le e-learning permet une action de formation concise, ponctuelle et massive.
Par expérience, sur des parcours multimodaux, on peut compter deux tiers d’actions de gestion pour un tiers d’actions pédagogiques. Pour un parcours étalé sur plusieurs semaines ou mois, cela peut très rapidement représenter un nombre considérable d’actions à planifier et réaliser.
La loi impose d’ailleurs cet accompagnement. Il n’est plus question de faire ce qui s’est beaucoup fait par le passé. L’entreprise achetait des contenus, les mettait à disposition, s’étonnait quelques mois plus tard que seuls 5 à 10 % des collaborateurs les avaient consultés et en concluait que le e-learning n’était pas efficace… Au contraire, avec un accompagnement de ce type, des niveaux de suivi de l’ordre de 90 à 95 % sont monnaie courante.
Il est par ailleurs nécessaire de connaître les pratiques professionnelles et usages numériques au sein de l’entreprise, pour proposer la combinaison la plus adaptée aux participants, entre présentiel et distanciel. Par exemple, pour certains publics plus ciblés et très opérationnels, rarement devant leur écran, la question du support sur lequel suivre la formation et de la durée de la formation à distance se pose. Inversement, pour ces publics, la réalité virtuelle ou augmentée peut se révéler très adaptée.
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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