Le collaborateur clé, un risque à envisager

17 décembre 201810 min
Collaborateur clé. Photo Mphotoz/Fotolia.com

Le risque du collaborateur clé est lié aux situations d’absence temporaire ou définitive des collaborateurs identifiés comme étant des ressources rares et précieuses dans une organisation.

Face aux diverses réalités du risque collaborateur clé, la question se pose de savoir quels moyens de maîtrise sont vraiment adaptés pour l’entreprise. Les solutions sont variées.

Au titre des moyens de maîtrise possibles, on peut noter le développement important des contrats d’assurance dits « homme clé » qui peuvent contenir plusieurs types de garanties. Certaines actions de maîtrise se traduisent par le versement d’un capital à l’entreprise en cas de décès, arrêt, départ d’une ressource clé. Ce capital permet le financement d’une solution de remplacement. Certains contrats comportent également des garanties assistance se traduisant par la mise à disposition de cabinets de recrutement experts, de cabinets de conseil experts mettant à disposition de l’entreprise les ressources manquantes.

Ne jamais être seul sur un sujet

Un moyen peu coûteux financièrement mais chronophage à mettre en place consiste à systématiser, sur les activités critiques, les systèmes de back-up : un expert métier ne doit jamais être seul sur son sujet, il doit formaliser son savoir, ses connaissances clés dans des procédures (règles de gestion, vérifications associées) ainsi que dans des modes opératoires (comment réaliser certaines tâches très techniques, avec quels points d’attention et erreurs à éviter, comment les réaliser de la meilleure des manières dans les règles de l’art, etc.).

En préparation d’une éventuelle période d’absence, l’expert concerné doit former un collègue qui va le remplacer et intervenir tout comme lui sur ces sujets, de manière à acquérir les savoirs mais aussi les savoir-faire.

Bien entendu, dans de nombreux cas, cette solution n’est pas applicable et cela suppose de maintenir les procédures à jour, ce qui constitue la gageure de tout dispositif de ce type. À titre complémentaire, figure la formation de ces back-up qui implique nécessairement d’être anticipée, planifiée et budgétée.

Se donner les moyens de garder les experts

Un autre moyen de maîtrise consiste à cartographier (recenser) pour chaque activité (production, support, de pilotage) les ressources en tension, difficiles à retrouver en cas d’absence ou de départ, et de déterminer, pour les cas les plus prioritaires, des budgets permettant de financer des mesures de rétention des ressources clés.

Ces mesures de rétention concernent notamment un alignement sur les hausses de salaires proposées par les entreprises concurrentes ayant démarché le collaborateur. Cela peut concerner des hausses de 15 à 30 % du salaire dans certains cas. Cela peut également résider dans le financement d’une formation onéreuse pour le salarié (de type MBA, master spécialisé, etc.), ou encore de financer d’autres demandes du salarié (aménagement du temps de travail, recours accru au télétravail, etc.).

Exemple dans le e-commerce

La matrice ci-dessous illustre le risque dans une approche sectorielle concernant les profils en tension dans le secteur du commerce en ligne.

Matrice collaborateur clé

En axe des abscisses (horizontal) figure le temps moyen de recherche d’un collaborateur sur le marché du travail, ce par type de profession (les métiers inscrits dans les bulles sur la matrice).

En axe des ordonnées (vertical) se trouve le contexte interne de l’entreprise : soit la probabilité que le collaborateur soit démarché par des concurrents, soit celle qu’il aille tout simplement à la concurrence compte tenu du nombre d’années de présence dans le poste. Au-delà de deux à trois ans pour des profils junior et confirmés, on estime que cette probabilité est forte.

Le risque du collaborateur clé ne date pas d’aujourd’hui. En 1964, le décès du designer phare de la marque Citroën, Flaminio Bertoni, est un exemple de risque collaborateur clé ayant des répercussions vitales sur l’avenir d’une entreprise.

Le cas du projet « F » est à ce titre évocateur. Ce projet majeur et innovant pour la marque avait comme objectif de développer une nouvelle gamme intermédiaire (avec une innovation majeure : le coffre à hayon). Suite au décès du designer, le projet prit du retard et son principal concurrent, Renault développa très rapidement un projet similaire donnant lieu au dépôt du brevet de ce système de coffre à hayon, empêchant Citroën de sortir son véhicule.

Au-delà de ce cas d’espèce, il est intéressant de noter que si l’abandon du projet est dû à diverses causes, le décès du designer à un moment clé constitue un facteur aggravant. Les répercussions de l’échec de ce projet résidant aussi dans la perte d’importantes parts de marché ayant finalement abouti au rachat de la marque Citroën par Peugeot en 1974.

Extrait tiré de l’ouvrage Comprendre les risques Ressources Humaines, Gereso, 2017, N. Dufour, A. Bencheikh.

Les activités techniques sont souvent complexes à gérer. En général, cela concerne des services de taille raisonnable où les collaborateurs deviennent de plus en plus spécialisés au point de devenir des experts. Les évolutions sont plutôt transversales. Beaucoup d’experts ne souhaitent pas manager et préfèrent continuer dans l’opérationnel et le technique. Pour autant, en France, le statut d’expert en entreprise est très peu reconnu.

Le manager de l’expert

Pour espérer une évolution salariale en conséquence et un positionnement important dans l’entreprise, il faut devenir manager. Pire, plus on manage de personnes, plus on pèse dans l’organisation et plus on est rétribué et considéré.

Le type de situation invraisemblable qui conduit à des directions patchwork où la finance, le juridique, le middle office, l’informatique… se rapportent au même manager qui ne comprend pas exactement toutes les fonctions et les enjeux qu’il a sous ses ordres. Les collaborateurs experts se retrouvent souvent à traiter directement avec les dirigeants. Parfois le manager, qui craint pour sa légitimité, crée une « échelle de perroquets » entre ses collaborateurs experts et les dirigeants alors qu’il ne maîtrise pas la matière.

Mieux encore, il y a les managers qui ne managent personne ! Pour faire évoluer un expert, on le positionne dans l’organigramme sous un manager de managers afin qu’il grimpe dans la hiérarchie et qu’il puisse accéder aux avantages réservés aux managers, dont la rémunération, et faire partie des différents cercles et instances de l’entreprise.

Autre problématique à laquelle les experts peuvent être confrontés : la difficulté d’évoluer en changeant de service et de fonction. Les virages professionnels restent exceptionnels. Imaginer qu’un collaborateur venant d’un autre métier puisse avoir des idées nouvelles et un regard neuf n’est pas toujours bien accepté.

La gestion prévisionnelle des emplois

Le premier plan d’actions est d’abord de s’assurer que tous les collaborateurs travaillent en binôme (back-up) et que le recueil des procédures est rédigé correctement et en permanence à jour. Pour ce dernier point, il faut profiter des absences non programmées pour tester la qualité des procédures opérationnelles. À cet effet, on peut demander à un collaborateur d’un autre service, voire à un stagiaire, de tenir le poste pendant un ou deux jours et de faire part de son analyse pour améliorer le processus. Bien entendu, ce plan d’actions résout le problème de la production mais n’apporte aucune solution pour la partie recherche et développement et la partie sur-mesure de certains dossiers.

Il faut en permanence penser au plan de succession pour gérer correctement les départs. L’exercice de la people review, ou revue du personnel, consiste, avec la DRH, à passer en revue annuellement tout le personnel pour identifier les collaborateurs clés et les plans de succession les concernant.

Cet exercice, qui fait partie de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), reste intéressant à plusieurs égards. Il permet non seulement d’anticiper les plans d’actions en cas de départ imprévu, mais aussi de proposer des mesures concrètes pour fidéliser les collaborateurs clés.

Diffuser l’information

Enfin, à travers la transmission des compétences et des connaissances, le management de proximité, la formation adaptée, l’accompagnement dans les projets, le partage du savoir-faire valorisent et fidélisent le collaborateur. Les réunions internes pour échanger avec les collaborateurs sur des sujets concernant l’entreprise, le groupe, voire le secteur, avec des informations descendantes et en toute transparence permet d’impliquer et de partager avec eux les ambitions et les objectifs collectifs. Il faut éviter les chutes de type « il y a effectivement un sujet mais c’est confidentiel, je ne peux pas vous en parler » car si on est au courant soi-même, c’est forcément pour diffuser l’information de manière locale et maîtrisée à moins de faire partie des dirigeants.

Écouter et défendre ses collaborateurs clés

Le manager doit aussi être à l’écoute de signaux faibles tels que la baisse de motivation, le désintérêt pour les projets en cours ou les changements d’habitude et d’attitude, annonciateurs de potentiels départs. Parfois, un déjeuner ou une collation après le travail permet de se rendre compte de la situation et de prendre rapidement les mesures qui s’imposent.

Les entretiens individuels (one to one) réguliers avec les collaborateurs directs sont indispensables pour minimiser les risques de départ. Il faut être à l’écoute et savoir décrypter les messages. Il faut être réactif et apporter des réponses et des solutions concrètes aussi bien aux problèmes techniques et opérationnels qu’aux problèmes relationnels.

La défense de ses collaborateurs et de leur travail, la valorisation de leurs contributions, leur mise en avant de la scène lorsque cela est possible, les remerciements individuels et collectifs pour le travail bien accompli, les encouragements et les félicitations sont autant de comportements importants pour minimiser les risques de départ et développer les sentiments de fierté, d’estime de soi et d’appartenance au groupe.

Un échange avec le directeur des risques d’un grand groupe du secteur du luxe avait révélé que leur taux de rotation était quasi nul. Finalement cela posait un souci car l’entreprise avait aussi besoin de sang neuf, disait-il. Est-ce que leur grille salariale était supérieure à celle du marché ? Non, elle était même en dessous. En revanche, la marque employeur, le bien-être et la qualité de vie au travail étaient tels que les collaborateurs étaient tout simplement fiers de travailler pour l’entreprise et heureux d’en faire partie.

Nicolas Dufour

Nicolas Dufour

Docteur en sciences de gestion, professeur des universités associé au CNAM, Nicolas Dufour est également Risk Manager dans le secteur assurance. Ses domaines de spécialisation concernent la mise en œuvre des politiques de maîtrise des risques, la gestion de la fraude, la gestion et l’intégration des normes dans les organisations.

Abdel Bencheikh, directeur des risques et de l'audit interne du groupe House of HR

Abdel Bencheikh

Docteur en Physique, directeur des risques et de l’audit interne du groupe House of HR, Abdel Bencheikh travaille dans les domaines de la gouvernance, la conformité, les contrôles et la gestion des risques depuis plus de 20 ans.

---

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.